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Montréal, une ville plus intelligente

Entretien avec François William Croteau, maire d’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie et membre du comité exécutif de la Ville de Montréal

« Dès la présentation du cahier de candidature, nous avons reçu des appels d’autres villes canadiennes pour voir comment ce projet pouvait s’intégrer à leur ville », nous dévoile François William Croteau. ­­

Quelle meilleure personne pour nous parler de Montréal, ville intelligente, que François William Croteau ! Docteur en gouvernance urbaine, élu maire d’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie en 2009, il est, depuis 2017, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal en tant que responsable de la ville intelligente, des technologies de l’information, de l’innovation et de l’enseignement supérieur. Cette entrevue a aussi valeur de bilan puisque M. Croteau ne s’est pas représenté aux élections de novembre 2021.

Par Jean Brindamour

Q/ Montréal a remporté, il y a plus de deux ans, le Défi des villes intelligentes du gouvernement du Canada. Un prix de 50 millions de dollars récompensait votre proposition d’améliorer la mobilité et l’accès à l’alimentation. Vous avez participé de près à ce défi. Quels sont à votre avis les éléments principaux ayant permis à Montréal d’être préféré à d’autres candidatures ?

R / Deux facteurs ont été prépondérants. D’abord la capacité de mettre en œuvre une démarche participative, en mobilisant la communauté – les organismes, les citoyens – pour faire en sorte que ce soit la communauté elle-même qui définisse et décide quels seraient les deux éléments prioritaires propres à améliorer la qualité de vie des Montréalais, en l’occurrence l’alimentation et la mobilité. C’était un des critères majeurs du concours : la mise en place d’une démarche de mobilisation et de concertation qui aboutisse à une décision des citoyens et non des fonctionnaires.

L’autre critère fondamental était celui de la réplicabilité. Il fallait que le projet soit applicable à d’autres municipalités ailleurs au Canada. Ce qui a aidé Montréal est que dès la présentation du cahier de candidature, nous avons reçu des appels d’autres villes canadiennes pour voir comment ce projet pouvait s’intégrer à leur ville. Ainsi, avant même que Montréal obtienne le prix, la mairesse de Victoria, Lisa Helps, est venue pour nous rencontrer.

 

« Une définition de la ville intelligente qui met au centre la qualité de vie et non la technologie. » Parc Jean-Drapeau : vue des canaux tels qu’ils seront à la suite des travaux, près du Casino de Montréal. CR: NIPpaysage / Société du parc Jean-Drapeau)

 

Q / On parlait, il y a un an, de 13 projets. Pouvez-vous résumer où en sont ceux qui concernent la mobilité ?

R / L’axe principal consistait à améliorer la mobilité des quartiers et la mobilité transactionnelle, c’est-à-dire l’interconnexion des différents réseaux; il fallait aussi que les deux objectifs, la mobilité et l’alimentation, soient connectés. L’idée était de mettre en place des projets expérimentaux d’une durée de cinq ans pour démontrer au bout de ces cinq années leur faisabilité et, par la suite, les implanter de façon permanente. Ces expériences ont lieu sur le terrain, dans des quartiers de Montréal. On permet, par exemple, à des citoyens de partager la propriété d’un même véhicule qui pourrait avoir trois ou quatre propriétaires. Desjardins a développé un produit d’assurance qui s’applique à ce modèle inédit. On devra aussi s’assurer qu’il y ait une vignette particulière pour ce type de véhicule. Ce projet est en cours dans Ahuntsic et dans Rosemont–La Petite-Patrie : on y fait la collecte des données, les réajustements nécessaires, etc.

« Il existe une corrélation entre mobilité et alimentation : les quartiers ciblés comme des déserts alimentaires sont souvent ceux où l’offre de transport actif et collectif est plus faible et la dépendance à l’auto plus grande. »

Il y aussi la question des vélos-cargos ou de vélos-remorques. Comment permettre aux citoyens, un peu partout dans la ville, d’avoir accès à de la location de vélos-cargos ou de vélos-remorques pour qu’ils puissent faire leurs courses à vélo ? Encore là, des applications le permettront.

 

Montréal en juin dernier. Vélos en libre-service au centre-ville. CR: Franklin McKay

 

Un projet de mobilité intégrée est également en cours de développement. On travaille présentement avec le RTM [le Réseau de transport métropolitain, actuel Exo] pour déterminer comment planifier un trajet de transport grâce à un accès à toutes les données de mobilité. Une analyse algorithmique nous dira quels moyens de mobilité sont les plus efficaces pour tel parcours. Par exemple, vous pourrez réserver l’utilisation d’un BIXI pour une partie du parcours, puis le métro, puis une « communauto » pour la fin du trajet. Tout le parcours serait ainsi planifié à l’avance. Idéalement, vous recevriez une facturation à la fin du mois pour votre usage réel de ces services de mobilité.

On prépare finalement une base de données complète prodiguant les données de mobilité pour l’ensemble du territoire de l’île de Montréal. Accessible à tous, les fournisseurs de mobilité pourront l’utiliser pour connaître les besoins à combler, tandis que pour la Ville, ce sera un outil extraordinaire de planification, tant pour les travaux que pour l’offre de mobilité.



Q / Et les projets concernant l’alimentation ?

R / L’un des objectifs est de viser l’autonomie alimentaire. La plupart des villes travaillent là-dessus. On a vu avec la Covid à quel point on est dépendant de l’importation. Je dis bien viser : il s’agit de tendre à l’autonomie alimentaire, non de l’atteindre.

On veut implanter des serres urbaines pour alimenter les marchés locaux dans certains quartiers qu’on peut qualifier de déserts alimentaires parce qu’ils sont privés d’offre alimentaire de proximité. On souhaite établir un réseau de distribution capable d’approvisionner ces quartiers moins bien nantis : ils auraient ainsi accès à une alimentation de qualité à moindre prix. On veut bâtir une base de données qui permettrait l’établissement d’un système logistique de distribution locale des différents producteurs locaux. Un projet, soutenu par le marché solidaire Frontenac, de bons donnés aux résidents de quartiers plus vulnérables est aussi en cours; ces bons seraient échangeables dans des marchés qui vendent des produits locaux (québécois). On projette également de créer une base de données sociales pour rassembler l’ensemble des données sociales et des acteurs socio-économiques du territoire : rendre accessibles ces données permettra aux différents acteurs d’améliorer leur offre de services.

On travaille actuellement avec le RTM pour déterminer comment planifier un trajet de transport grâce à un accès à toutes les données de mobilité. Une analyse algorithmique nous dira quels moyens de mobilité sont les plus efficaces pour tel parcours.

Il existe une corrélation entre mobilité et alimentation : les quartiers ciblés comme des déserts alimentaires sont souvent ceux où l’offre de transport actif et collectif est plus faible et la dépendance à l’auto plus grande. Nous voulons parvenir à répondre à ces deux besoins fondamentaux en jumelant nos deux approches.

Q / Le thème de la ville intelligente, du fait même de ses aspects innovateurs, comporte nécessairement un côté évolutif. Quelle est votre vision de Montréal, ville intelligente ?

R / On a commencé à implanter cette vision par une définition de la ville intelligente qui met au centre la qualité de vie et non la technologie. Au cours de la dernière année de pandémie, la Ville a été capable de réaliser une transition numérique de plusieurs services essentiels aux citoyens, comme les permis par exemple; on est aujourd’hui en mesure d’être plus résilient comme ville, toujours en misant sur l’amélioration de la qualité de vie. La ville de Montréal de demain sera plus intelligente, parce qu’elle aura travaillé à réduire les « inéquités » et à donner un meilleur accès aux services : ce sera une ville plus juste et plus résiliente. ■