MAGAZINE CONSTAS

Produire plus ou consommer mieux ?

Le dilemme d’Hydro-Québec

Hydro-Québec devrait avoir besoin de 29,5 TWh de puissance électrique supplémentaire d’ici 10 ans pour répondre à la demande, selon le dernier rapport annuel sur l’état de l’énergie au Québec réalisé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie HEC Montréal.

Le Québec aura besoin de beaucoup d’électricité dans les prochaines années alors qu’il travaille à faire croître son secteur industriel. Or, le gouvernement Legault cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. Une situation qui pourrait mener à réaménager la place d’Hydro-Québec dans le paysage énergétique de la province.

Francis Hébert-Bernier

Hydro-Québec devrait avoir besoin de 29,5 TWh de puissance électrique supplémentaire d’ici 10 ans pour répondre à la demande, selon le dernier rapport annuel sur l’état de l’énergie au Québec réalisé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie HEC Montréal. Une tendance qui devrait s’accélérer par la suite si le gouvernement du Québec élimine, comme souhaité, les combustibles fossiles du régime énergétique de la province tout en soutenant la croissance des secteurs industriel et minier.

Le privé préconisé

Pour combler l’écart, le gouvernement du Québec mise actuellement sur l’apport du privé, notamment grâce au développement de la filière éolienne, explique l’analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal, Gabriel Giguère.

Gabriel Giguère

Un bon départ selon lui, mais qui devrait servir d’exemple pour pousser encore plus loin la libéralisation du secteur énergétique de la Belle Province. « Sans dire qu’il faut absolument que ce soit privé, on peut simplement donner la chance au privé de prendre sa place », soutient-il.

Il propose entre autres de mettre fin au monopole d’Hydro-Québec en matière de distribution pour permettre à des entreprises productrices d’électricité de vendre leur production directement à d’autres entités sans passer par la société d’État.

« Par exemple, Innergex, un fleuron québécois qui fournit en énergie des centres de données d’Amazon aux États-Unis avec des panneaux solaires, ne peut tout simplement pas opérer ici à cause de la réglementation », illustre l’analyste.

« Sans dire qu’il faut absolument que ce soit privé, on peut simplement donner la chance au privé de prendre sa place  (…). Par exemple, Innergex, un fleuron québécois qui fournit en énergie des centres de données d’Amazon aux États-Unis avec des panneaux solaires, ne peut tout simplement pas opérer ici à cause de la réglementation », illustre Gabriel Giguère.



Il espère aussi que le gouvernement permettra aux entreprises privées de proposer de grands projets comme des centrales hydroélectriques, qui sont pour l’instant la chasse gardée d’Hydro-Québec. « Si Hydro-Québec décide de ne pas exploiter une rivière parce qu’elle ne la considère pas comme suffisamment rentable, mais qu’un investisseur est prêt à risquer son capital pour le faire, je ne vois pas quel est le problème », argumente-t-il.

Se donner les moyens de changer

Normand Mousseau

Le directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier, à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau, n’est toutefois pas convaincu que la solution passe par une augmentation de la présence du privé dans le secteur énergétique de la province. Il rappelle que le fait d’ouvrir la porte au privé a notamment mené à une hausse des coûts de l’énergie dans plusieurs territoires qui s’y sont essayés.

« Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’enjeu, ce n’est pas l’énergie, mais la puissance, prévient-il. C’est-à-dire d’avoir de l’énergie au moment où l’on en a besoin. » En effet, le Québec aura toujours besoin de plus d’énergie l’hiver en raison du chauffage, explique-t-il, et ce, même si l’électrification des transports et la multiplication des canicules augmenteront la demande estivale en électricité dans les prochaines années.

« Cette année, la pointe a duré seulement une trentaine d’heures. On ne peut pas y remédier seulement avec des projets de production, parce que c’est beaucoup d’investissements pour composer avec une trentaine d’heures par année », fait remarquer Normand Mousseau.

« Cette année, la pointe a duré seulement une trentaine d’heures. On ne peut pas y remédier seulement avec des projets de production, parce que c’est beaucoup d’investissements pour composer avec une trentaine d’heures par année », fait remarquer le chercheur.

Le défi des prochaines années sera donc aussi d’amener la population et les entreprises à utiliser plus efficacement l’énergie, souligne Normand Mousseau. Un changement de comportement qui pourrait être partiellement amené en revoyant la tarification de l’électricité à la hausse, selon Gabriel Giguère. « Par exemple, les clients commerciaux d’Hydro-Québec qui paient présentement relativement peu cher l’électricité vont peut-être arrêter de laisser les lumières allumées le soir dans des bureaux vides si l’électricité coûte plus cher », illustre-t-il.



Un argumentaire que conteste Normand Mousseau, qui croit que pour changer le comportement de la population, il faut d’abord mettre en place les infrastructures pour lui permettre d’y arriver.

« Ça commence par un meilleur aménagement du territoire, où les gens vont avoir accès à du transport en commun et à des services de proximité, explique le chercheur. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, c’est un travail de longue haleine, mais que nous devons impérativement amorcer dès maintenant. »

S’ils ne s’entendent pas nécessairement sur les méthodes, les deux spécialistes s’accordent toutefois pour dire que les prochaines années nécessiteront des changements majeurs dans le rapport des Québécois à l’énergie. Un passage obligé pour faire face aux défis d’aujourd’hui et, surtout, de demain. ■

Source : Whitmore, J. et Pineau, P.-O., 2023. État de l’énergie au Québec 2023, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le gouvernement du Québec.
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