MAGAZINE CONSTAS

La maison Holt, foyer de l’ACRGTQ

Entre influences anglo-saxonnes et histoire de prestige

Les 80 ans de l’ACRGTQ
Un héritage en construction

L’ACRGTQ occupe, depuis 1965, la prestigieuse maison John-Henderson-Holt sur la Grande Allée Est à Québec. Un édifice dessiné par un architecte à l’identité inconnue et érigé en 1900, dont l’histoire et l’éclectisme captivent les passionnés de patrimoine.

par Philippe Couture

 

La maison Holt
La maison Holt

En 1900, la maison Holt est une propriété cossue située un peu à l’écart de la ville fortifiée. C’est l’époque où la Grande Allée a encore des allures rurales. L’ambiance de village ne va toutefois pas perdurer aux abords de l’imposante construction habitée par John Henderson Holt et sa petite famille. Le secteur s’urbanise peu à peu depuis l’érection dans les années 1870 de l’hôtel du Parlement, pas très loin de là.

Propriété luxueuse de près de 40 pièces, la maison, aujourd’hui investie par l’ACRGTQ, est un ouvrage signature dont la prestance fait écho à la puissance économique de ce riche homme d’affaires, président des magasins Holt Renfrew. Quelques kilomètres plus bas, le siège social de son entreprise s’érige fièrement rue De Buade. Si le magasin a le vent dans les voiles à Québec, son dirigeant s’enrichit aussi grâce à l’expansion de l’entreprise partout au pays au cours de la première décennie du 20e siècle.

Un architecte mystérieux

Martin Dubois, consultant en patrimoine et en architecture au sein de la firme Patri-Arch, est l’un des plus grands connaisseurs du patrimoine urbain de la Capitale-Nationale. «Beau­coup de juges, d’avocats, de parlementaires et d’hommes d’affaires viennent s’établir sur la Grande Allée à cette époque, raconte-t-il. Tout comme M. Holt, ils exposent leur opulence en faisant construire des maisons monumentales à l’architecture raffinée et complexe. Certains historiens pensent que, pour faire concevoir la sienne, John Henderson Holt a pu faire appel à un architecte étranger, probablement de New York ou de Boston. Malheureusement, l’identité du concepteur nous est inconnue.»

Autre hypothèse: la maison a pu être dessinée par l’architecte de Québec Harry Staveley, qui a conçu la maison voisine, au style apparenté. La belle maison Smith, aussi appelée maison Louis-Alexandre-Taschereau, arbore en effet les mêmes matériaux et se compose de volumes similaires à ceux de sa voisine, construite à la même époque.

Mélange des genres

Vues intérieures de la Maison Holt

Qu’elle ait été ou non dessinée par un architecte local, la maison Holt puise indénia­blement ses influences architecturales chez les Anglo-Saxons et «rompt avec le style néo-­classique alors omniprésent à Québec», pré­cise Martin Dubois. Fidèle à une pratique de plus en plus en vogue à l’époque, la maison conjugue au moins trois «néo-styles». Pré­cisions de l’expert: «Les tourelles rondes en façade appartiennent au style néo-Queen Anne. La maison adopte en partie le style néo-roman popularisé aux États-Unis par l’architecte Henry Hobson Richardson, avec des reliefs et des bossages ainsi que l’usage de la pierre. Finalement, le pignon en façade évoque le style néo-colonial et reproduit l’allure de certaines maisons hollandaises, qui se construisaient beaucoup aux États-Unis à l’époque coloniale.»

C’est une bonne chose que ces anciennes maisons luxueuses soient aujourd’hui la propriété d’associations et d’institutions qui prennent au sérieux la préservation du patrimoine.

– Martin Dubois

À l’intérieur, le riche commerçant a souhaité la présence de nombreuses chambres et il a bien sûr voulu une décoration ­luxuriante et des matériaux nobles, surtout dans les pièces communes du rez-de-chaussée. «Ce sont les espaces où étaient reçus les invités, rappelle Martin Dubois. On y ­trouvait une grande salle à manger, un grand salon, un fumoir, une bibliothèque et un bureau, chacune de ces pièces étant fortement ornementées. Un autre point d’intérêt esthétique était évidemment le bel escalier menant aux étages supérieurs.»

Une seconde vie et une préservation exemplaire

Avant le rachat de la maison par l’ACRGTQ, qui en a fait son siège social et y a aménagé de sublimes espaces de bureaux, quelques particuliers en ont été successivement propriétaires. Mais nul n’y est demeuré aussi longtemps que l’Association. «Je pense que c’est une bonne chose que ces anciennes maisons luxueuses soient aujourd’hui [la] propriété d’associations et d’institutions qui prennent au sérieux la préservation du patrimoine, avance Martin Dubois. Ces organismes ont davantage de moyens que les particuliers, lesquels sont d’ailleurs peu nombreux à souhaiter aujourd’hui vivre dans ce genre de demeure exubérante et monumentale.»

La maison Holt a ainsi été particulièrement bien préservée. «Il n’y a eu à l’extérieur aucune transformation majeure, rien qui soit propre à la dénaturer. C’est important, car cette maison témoigne d’une époque architecturale foisonnante et qu’elle est un peu hors norme dans le paysage de Québec, étant donné son éclectisme particulier. Même si elle n’est pas classée ni citée en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec, elle a une importance historique indéniable, et sa splendeur raconte aussi une période de prospérité économique et de développement urbain à Québec.»

Dans le paysage d’antan tout à la fois que dans la géo­graphie actuelle, son emplacement est également intéressant, selon Martin Dubois. «Elle est située au cœur d’une enfilade de maisons patrimoniales bien conservées, au sein d’un ­environnement urbain qui a toujours été très enviable. Je trouve qu’elle participe à l’intérêt de l’ensemble de la rue tout en restant bellement à l’écart de la partie Est de la Grande Allée, qui est aujourd’hui une artère commerciale ­festive présentant des architectures très variées et toutes sortes de volumes.»

«Un bâtiment tout à fait exemplaire qu’il est essentiel de continuer à bien entretenir!» conclut l’architecte-historien. ■