MAGAZINE CONSTAS

Innover par la collaboration

Le sens du partage

Pour discuter de l’essor du savoir et de l’innovation dans l’industrie de la construction, Constas a rencontré trois intervenants qui travaillent, chacun dans leur domaine, à implanter l’innovation dans les entreprises et dans l’ensemble de notre économie. Sans qu’ils se consultent entre eux, des mots clés sont sans cesse revenus : collaboration, partenariat, partage, un partage de l’information et du savoir ouvrant la voie à une véritable culture de l’innovation dans l’Industrie.

Par Jean Brindamour

L’innovation par la collaboration

Pascal Monette a œuvré au sein de la fonction publique québécoise durant 25 ans. Depuis décembre 2014, il est à la tête de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ-RCTi). L’ADRIQ avait constaté dès sa première année d’existence, en 1978, la faiblesse de la recherche industrielle au sein des PME québécoise. Quand on demande à M. Monette si ce retard a été comblé en 40 ans, sa réponse est en demi-teinte. « Le plus important, souligne-t-il, est de se comparer aux autres. Entre 2000 et 2010, un grand nombre d’indicateurs montrent que le Canada est en recul sur plusieurs aspects. Mais la progression de l’innovation n’est pas facile à mesurer. Quant à l’introduction du numérique, il y a du progrès. Et il semble que le Québec soit en avance sur les autres provinces. Le progrès est dû à des gens comme Bernard Landry, qui avait compris, dès sa nomination comme ministre d’État au Développement économique, que la Recherche-Développement (R&D) devait être une priorité. »

 

Pascal Monette, Marc Vézina et Daniel Forgues

 

« Toutefois, poursuit Pascal Monette, il y a encore de l’amélioration à apporter. Un des freins, c’est le manque de vision. Un autre est le manque de ressources. Mais les deux sont liés. Les entreprises peinent à capitaliser le budget de R&D. Pourtant le R&D, ce n’est pas qu’une dépense, c’est un investissement. Une culture de l’innovation part des têtes dirigeantes et exige un certain temps pour s’implanter. Une fin de semaine de formation ne suffit pas. Pour mettre en branle une culture de l’innovation, je conseille de commencer par de petits projets. Les grandes entreprises peuvent aussi en aider d’autres. Il y a quelques jours, la présidente d’EBC, Marie-Claude Houle, dans une entrevue donnée à La Presse, notait qu’aujourd’hui il faut se mettre à plusieurs pour réaliser les contrats. Cela oblige à la collaboration. »

Et les petites entreprises ? « Les PME ont évidemment peu de ressources, répond Pascal Monette. Mais l’avantage des petites entreprises, c’est de pouvoir bouger plus vite que d’autres. Il ne faut pas réduire l’innovation à la technologie; il peut également y avoir innovation dans le modèle d’affaires et c’est une innovation qui ne coûte pas cher. Un des domaines où il faut innover, ce sont les ressources humaines. C’est un grand enjeu en période de pénurie de main-d’œuvre. Il faut pouvoir trouver la main-d’œuvre et surtout la garder. »

Une culture collaborative grâce à la grappe industrielle

L’idée de collaboration et de partage est présente dans la notion de « grappe » industrielle, ces grappes que le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) tentent de mettre en place. « Les grappes, explique Marc Vézina, Directeur de la construction et de l’analyse sectorielle au MEI, regroupent généralement des entreprises, des associations, les gouvernements provincial et fédéral, le milieu de la recherche et de la formation ainsi que le monde municipal pour favoriser de nouveaux modes de partenariats entre ces acteurs. L’inter­action entre les acteurs des grappes favorise l’innovation et l’apprentissage économique. Au Québec, il existe actuellement dix grappes industrielles: Aéro Montréal, Alu Québec, Bureau du cinéma et de la télévision du Québec, Cargo M, Écotech, Mmode, Montréal InVivo, Propulsion Québec, Finance Montréal et Techno Montréal. »

C’est le 6 août 2018, en vue d’appuyer le développement d’une culture collaborative, la convergence de savoir-faire, l’innovation, la productivité et la compétitivité de l’ensemble de l’écosystème de la construction, que le gouvernement du Québec a annoncé la démarche visant à créer une grappe dans le secteur de la construction.

L’industrie de la construction avait particulièrement besoin d’être stimulée. « Depuis une trentaine d’années, poursuit M. Vézina, l’industrie de la construction accumule un retard de productivité par rapport à l’ensemble des secteurs industriels du Québec. Le gouvernement du Québec a donc recherché la façon la plus efficace pour combler ce retard de productivité qui touche l’industrie. En 2016, le milieu s’est mobilisé afin de faire reconnaitre l’industrie de la construction comme étant l’un des piliers importants de développement économique au Québec. Une étude de l’écosystème d’affaires de la construction a été réalisée par la firme Deloitte. Celle-ci concluait que l’apport de l’écosystème est colossal pour l’économie québécoise. »

C’est le 6 août 2018, en vue d’appuyer le développement d’une culture collaborative, la convergence de savoir-faire, l’innovation, la productivité et la compétitivité de l’ensemble de l’écosystème de la construction, que le gouvernement du Québec a annoncé la démarche visant à créer une grappe dans le secteur de la construction. « Cette démarche comprend, note M. Vézina, la réalisation d’une étude qui présentera, entre autres, des modèles d’affaires ainsi que des structures et des stratégies économiques utilisées au Québec et à l’international en ce qui a trait aux grappes industrielles, ainsi que l’organisation de chantiers de réflexion qui rassembleront l’ensemble des parties prenantes de l’industrie afin de définir des enjeux communs propres à cet écosystème. »

« Ces chantiers de réflexion, ajoute Marc Vézina, qui rassembleront plus de 300 parties prenantes de l’industrie de la construction, permettront aux acteurs du secteur de la construction de s’exprimer concernant les principaux enjeux de l’Industrie, notamment, la qualité et la durabilité, l’innovation et la collaboration, les marchés et le rayonnement ainsi que la main-d’œuvre et la formation. » Les premières rencontres ont eu lieu en décembre.

 


Bruno Guglielminetti
APARTÉ AVEC BRUNO GUGLIELMINETTI
L’importance pour l’industrie de la construction d’être sur les médias sociaux
Aujourd’hui conseiller numérique indépendant, « le Fernand Séguin du high-tech », Bruno Guglielminetti, pendant 23 ans, réalisateur et spécialiste maison des nouvelles technologies à Radio-Canada, et récipiendaire de nombreux prix, parmi lesquels le prix d’Excellence dans le journalisme scientifique et technique de la Canadian Advanced Technology, a répondu à cinq questions de Constas.
Pourquoi l’industrie de la construction devrait-elle utiliser les médias sociaux ? D’une part pour faire la promotion de ses projets, mais aussi pour informer la population, les élus, les personnes impliquées de l’avancement d’un projet, des travaux réalisés, des défis relevés. Dans les médias, on ne parle en général d’un projet de construction que lorsqu’il y a des problèmes. Les réseaux sociaux permettent de donner la version de l’entrepreneur ou de l’Industrie, quand il y a quelque chose à clarifier, mais aussi de raconter l’histoire du projet ou de l’entreprise et de prendre de l’avance sur les médias.
Et comment utiliser les médias sociaux? C’est l’entrepreneur qui connaît l’échéancier d’un projet, c’est lui qui peut envoyer de l’information, la publier, la rendre disponible en amont des médias. Et cette information peut être un outil pour les journalistes qui veulent suivre un projet ou pour le grand public, qui peut en retirer des informations pratiques, par exemple pour les travaux de voirie. C’est aussi une façon de donner de la visibilité à votre savoir-faire, et ainsi séduire des élus ou des partenaires potentiels. Et puis, cela peut mettre en valeur la marque « employeur » et faciliter le recrutement : la présence sur les réseaux sociaux envoie un signe positif aux jeunes.
Et quels sont les dangers ? Qu’une entreprise soit ou non sur les réseaux sociaux n’empêche pas qu’elle puisse être critiquée. Mais être présente permet de corriger les perceptions des mécontents ou d’apporter, lorsque nécessaire, des rectifications.
Quels médias sociaux privilégiés ? D’abord Twitter, parce que Twitter s’adresse aux influenceurs. Puis Facebook, parce que la majorité de la population québécoise est sur Facebook, et cela vous permet de présenter différents volets de votre entreprise. Et aussi LinkedIn.
Les petits entrepreneurs ont-ils suffisamment de ressources pour gérer leur présence sur les réseaux sociaux ? Le défi, il est là. Cette tâche s’ajoute aux autres. On peut obtenir une formation, planifier des stratégies, mais ça demande un effort et un certain investissement : un temps partiel ou un temps complet. Il est possible de faire appel à quelqu’un d’extérieur, mais personnellement, je recommande que ce soit fait par des gens qui connaissent l’ADN de l’entreprise.

Collaborer et partager de l’information par le BIM

Le partage est aussi central dans le BIM (Building Information Modeling), une méthode de construction fondée sur l’utilisation d’un modèle informatique à plusieurs dimensions. En septembre dernier, l’École de technologie supérieure (ÉTS) a inauguré la nouvelle Chaire de recherche industrielle sur l’intégration des technologies numériques en construction, héritière de la fameuse Chaire de recherche industrielle Pomerleau. Son titulaire, Daniel Forgues, professeur en génie de la construction à l’ÉTS, a bien voulu nous parler du BIM et de la transition numérique dans l’industrie de la construction.
Le BIM, selon Daniel Forgues, en plus d’être efficace, permet des réductions de coût substantielles. Qu’est-ce qui empêche sa propagation dans l’Industrie ? « L’approche traditionnelle, répond le professeur, avec la règle du plus bas soumissionnaire, préconise des contrats séparés pour chacun des professionnels et pour le constructeur. Chacun a des obligations de résultats différents et leurs contrats ne sont pas liés entre eux. Donc s’il y a une faute, la stratégie est d’en faire porter la responsabilité à un autre fournisseur, d’où la nature conflictuelle de ce type de contrat. Pire, le fait que collaborer et partager de l’information (le cœur du BIM), en plus de ne pas être une obligation contractuelle, représente un risque. Dans nos enquêtes et ce qui est ressorti des grands chantiers, c’est que l’approche traditionnelle est le principal frein au virage numérique en construction. »

Le modèle de gestion Lean Construction et le BIM se complètent mutuellement : « Le BIM ouvre la porte à des approches industrielles de gestion et contrôle de la production, la base du Lean, explique Daniel Forgues. Aussi le Lean Construction soutient une approche collaborative à la gestion, en harmonie avec le BIM et en opposition de la gestion de projet qui impose une planification et un contrôle exercés par une entité extérieure au processus de réalisation. »

En définitive, Daniel Forgues est optimiste : « La situation a considérablement évolué ces dernières années, entre autres avec l’engagement de deux donneurs d’ouvrage publics majeurs à déployer le BIM pour leurs projets, soit la Société québécoise d’infrastructure et la Ville de Québec. Aussi, l’engagement de Pomerleau à prendre le virage numérique et à soutenir la recherche universitaire dans ce domaine a eu une influence majeure sur l’industrie. Avec le récent engagement du MEI à supporter le virage numérique dans la construction à travers le groupe BIM Québec, ainsi que l’investissement privé pour la création de trois chaires de recherche en construction, on sent un mouvement de fond qui s’amorce pour créer une culture d’innovation dans l’industrie. » •