MAGAZINE CONSTAS

Les Cinq ans de l’Autorité des marchés publics

Quel chemin parcouru?

Les 80 ans de l’ACRGTQ
Un héritage en construction

L’Autorité des marchés publics (AMP) célèbre ses cinq années d’existence. Son président-directeur général, Yves Trudel, mesure le chemin parcouru avec Constas.

Par Stéphane Desjardins

Instaurée dans la foulée de la Commission Charbonneau, l’AMP a bouleversé bien des façons de faire dans l’industrie. Mais a-t-elle contribué à un changement de culture? Yves Trudel est catégorique: «On l’a constaté, tant chez les donneurs d’ouvrage, les municipalités que les entrepreneurs. Tous comprennent désormais l’importance du respect des normes et la saine gestion des fonds publics.»

Il ajoute que les changements ne se sont pas produits du jour au lendemain. Au début, on se méfiait des enquêteurs de l’AMP, qui étaient perçus avant tout comme une couche additionnelle de bureaucratie qui allait compliquer les choses.

«Nos démarches, on les a faites avec une approche très ­terrain, ajoute-t-il. On a rencontré les associations, dont l’ACRGTQ évidemment, les donneurs d’ouvrage, les municipalités, les entrepreneurs. On a fait beaucoup de sensibilisation. Aujourd’hui, le rapport s’est un peu inversé: on a des entrepreneurs, des élus ou des fonctionnaires qui communiquent avec nous pour dénoncer une situation. Je peux même citer le cas d’un entrepreneur qui jugeait qu’en raison d’un devis mal conçu, il aurait fallu refaire le travail deux ans plus tard. Évidemment, on a agi, et le devis a été corrigé.»

Partir de zéro

Yves Trudel salue son équipe qui a dû bâtir une institution à partir de rien. Il a fallu embaucher du personnel et instaurer des méthodes de travail. Le PDG souligne que la grande force de l’AMP est son approche multidisciplinaire. Ses troupes proviennent de différents milieux, avec des expertises et des formations diverses.

Aujourd’hui, l’AMP surveille annuellement 50000 contrats d’une valeur de 34 G$.

Notre but, c’est qu’il y ait une saine concurrence, et l’industrie le veut également. – Yves Trudel

«Au quotidien, nous appliquons trois principes directeurs: équité, transparence, saine concurrence», reprend-il. Depuis l’adoption de la Loi 18, l’AMP a hérité de pouvoirs additionnels qui lui permettent d’enquêter sur toute entreprise soupçonnée de manquer d’intégrité, peu importe la valeur du contrat.

L’AMP effectue aussi des veilles et des vigies des marchés publics, en consultant notamment le Service électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (SEAO), dans le but de veiller au respect du cadre normatif applicable. Cela permet ainsi de s’assurer que les donneurs d’ouvrage apportent les correctifs nécessaires lorsque des manquements sont identifiés dans les appels d’offres et d’éviter qu’une décision publique soit rendue.

«En 2022-2023, 780 manquements et non-conformités ont été corrigés en mode alternatif par les organismes publics et municipaux. Cette approche proactive a permis à nombre de donneurs d’ouvrage de s’améliorer et d’éviter que, pendant le processus d’attribution d’un contrat, surviennent des obstacles à une saine concurrence ou transparence», dit Yves Trudel.

Yves Trudel, président-directeur général de l’Autorité des marchés publics (AMP)

«Notre but, c’est qu’il y ait une saine concurrence, et l’industrie le veut également, poursuit-il. Nous sommes conscients que les changements de mentalités prennent du temps. Personne, non plus, n’aime se faire sermonner. Mais nous insistons sur l’aspect éducatif de notre approche. On veut améliorer les processus en ayant toujours en tête la saine gestion des deniers publics.»

Il donne comme exemple que, dans certains dossiers, les ­donneurs d’ouvrage doivent se prévaloir du cautionnement de tout entrepreneur lorsque la situation le permet. L’AMP les a «fortement incités» à le faire.

Des partenariats

L’AMP travaille étroitement avec des organismes comme la Commission de la construction du Québec (CCQ), la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et Revenu Québec dans le cadre de la vérification d’intégrité des entreprises. Elle a aussi consolidé ses partenariats avec d’autres organismes municipaux, tels que le Bureau d’intégrité et d’éthique de Laval, le Bureau d’inspection contractuelle de Longueuil et la Division de l’optimisation des contrats et de l’éthique de la Ville de Saint-Jérôme.

L’AMP fait-elle peur? «Au début, personne n’aimait qu’on débarque sur un chantier ou dans ses bureaux, répond Yves Trudel. Ce genre de visite n’est jamais agréable. Mais notre approche avant tout pédagogique a changé cette perception. Désormais, on nous remercie parfois d’indiquer la marche à suivre. C’est certain qu’en 2019, c’était assez tranquille. Il a fallu du temps avant que les gens commencent à communiquer avec nous. Au fil des ans, le nombre de demandes d’informations, de dénonciations et de plaintes a beaucoup augmenté. Les entrepreneurs, surtout, ont désormais un endroit bien identifié où ils peuvent communiquer de l’information. Et ils savent qu’on va y donner suite, même si l’information est fournie de façon anonyme.»

Personne n’aime se faire sermonner. Mais nous insistons sur l’aspect éducatif de notre approche. On veut améliorer les processus en ayant toujours en tête la saine gestion des deniers publics.

– Yves Trudel

De fait, l’AMP a traité 439 dénonciations en 2022-2023. Le monde municipal est le secteur qui a fait l’objet du plus grand nombre de dénonciations avec 135, suivi des ministères et organismes publics avec 105 et du réseau de la santé et des services sociaux avec 102 dénonciations. Au total, 89 de ces dénonciations concernaient des contrats de travaux de construction. Le délai moyen de traitement d’une dénonciation une fois que l’AMP possède toute l’information en main est de 8,5 jours.

D’autre part, l’AMP poursuit son important travail d’optimisation du processus lié au traitement des demandes d’auto­risation. Le délai moyen de traitement des demandes se situe en ce moment à 117 jours, contrairement à 174 jours en 2019-2020. Signalons que le Registre des entreprises autorisées à contracter ou à sous-contracter (REA) compte près de 7500 entreprises admissibles et que le registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA) compte 2300 entreprises.

«Nous assistons à certaines réunions de chantiers, nous nous limitons à un rôle d’observateur, commente Yves Trudel. Ça change le ton. Des entrepreneurs ou donneurs d’ouvrage nous demandent même d’être présents sur d’autres chantiers.»

L’AMP ne ferme pas la porte aux entreprises qui collaborent et qui fournissent des efforts pour s’améliorer, insiste-t-il. Elle a le pouvoir d’amener des correctifs, comme le remplacement d’un administrateur ou l’adoption de nouveaux processus d’affaires, évitant qu’une entreprise soit exclue des processus d’appels d’offres.

«Ultimement, les grands gagnants sont les contribuables et les entrepreneurs, qui peuvent agir dans un marché transparent et équitable», conclut Yves Trudel. ■