MAGAZINE CONSTAS

Le projet de La rivière Rouge

Une force de la nature à maîtriser

Longue de ses huit cent et quelques kilomètres, la rivière Rouge prend naissance à la confluence des rivières Otter Tail et Bois de Sioux, entre le Minnesota, le Dakota du Nord et le Dakota du Sud. Elle traverse ensuite la frontière canado-américaine avant de se jeter dans le lac Winnipeg. Cette rivière qui coule du sud au nord est reconnue pour ses crues importantes qui, au cours des dernières décennies, ont inondé à plusieurs reprises les terres manitobaines. Faisant face à un tel bouleversement et devant les impacts économiques liés aux inondations, le gouvernement manitobain a décidé de construire un canal de dérivation de 47 km dans les années soixante afin de limiter les dommages lors de la crue des eaux. D’ailleurs, en mars dernier, le ministère de l’Infrastructure et des Transports du Manitoba a lancé l’alerte pour activer ce canal et ainsi éviter que la rivière Rouge ne sorte de son lit une fois de plus. Portrait de cette force de la nature.

Par Magalie Hurtubise

Entre le milieu du 19e siècle et la fin du 20e siècle, la rivière Rouge est sortie de son lit à de nombreuses reprises, créant des inondations majeures au Manitoba et au sud de la frontière. « La situation précaire de Winnipeg est accrue par le fait qu’elle se trouve à la confluence des rivières Rouge et Assiniboine », explique Glenn Benoy, conseiller principal à la Commission internationale mixte (CMI) en lien avec la qualité de l’eau et l’intégrité des écosystèmes.

Des investissements de plus de 600 M$ ont permis d’agrandir le canal de dérivation.  Mètre cube (m3) de terre déplacés ? 21 millions !

Le gouvernement manitobain de l’époque, aux prises avec un territoire constitué essentiellement de vastes plaines agricoles, a fait construire un canal de dérivation passant à l’est de Winnipeg afin de scinder la rivière en deux. L’objectif était de maintenir l’eau de la rivière Rouge à un niveau stable en période de crue. Ce grand projet, au coût de 63 millions de dollars, s’inscrit dans la même lignée qu’une foule d’autres travaux du genre réalisés au cours des années soixante. Il figurait à l’époque parmi les plus grands ouvrages de ce type dans le monde, après le canal de Panama et le canal de Suez.

 

Longue de ses huit cent et quelques kilomètres, la rivière Rouge prend naissance à la confluence des rivières Otter Tail et Bois de Sioux, entre le Minnesota, le Dakota du Nord et le Dakota du Sud. Elle traverse ensuite la frontière canado-américaine avant de se jeter dans le lac Winnipeg. On la voit ici, filtrée de rouge, traverser la ville de Winnipeg jusqu’au lac du même nom.

 

L’inondation du siècle

En 1997, Winnipeg a été le théâtre de l’une des plus importantes inondations jamais recensées en un siècle et demi, qui avait d’abord affecté les voisins américains pour ensuite se diriger au nord où les résidents manitobains étaient déjà sur un pied d’alerte. Ces inondations avaient alors touché plus de 140 000 hectares de terres manitobaines, quelque mille maisons et 350 exploitants agricoles. Elles avaient forcé l’évacuation de plusieurs municipalités et causé des dommages évalués à plusieurs centaines de millions de dollars. La rivière avait atteint un niveau de 7,5 mètres au centre-ville et sans les ouvrages de régulation des inondations, ce niveau aurait été de 10,5 mètres selon les évaluations du gouvernement alors qu’en temps normal, le niveau de la rivière est de cinq mètres. « La rivière Rouge serpente un territoire au relief peu élevé et le sol argileux possède une capacité d’absorption très limitée. Les sols sont rapidement saturés. Ces conditions, jumelées à un printemps pluvieux et à une abondante accumulation de neige en hiver créent des conditions propices aux inondations », indique M. Benoy.

Sainte-Agathe, ville située à environ 40 km au sud de Winnipeg, figure parmi les villes les plus durement touchées par les inondations de 1997.
CR: Gouvernement du Manitoba

 

Au lendemain de cette «inondation du siècle», le gouvernement a demandé à la Commission mixte internationale (CMI) de transmettre ses recommandations sur les mesures à prendre pour réduire la sévérité et les impacts des inondations dans le futur. La CMI a travaillé de concert avec l’International Red River Board (IRRB) afin de faire l’évaluation de données hydrologiques et climatiques. Quelques années plus tard, des investissements de l’ordre de plus de 600 millions de dollars ont permis d’agrandir le canal de dérivation. En déplaçant 21 millions de m3 de terre, le débit de 2550 m3/seconde est ainsi passé à 4 000 m3/seconde, soit presque le double de sa capacité initiale. «Les gouvernements ont donné suite aux recommandations et sans aucun doute, les mesures implantées au sud et au nord de la frontière ont réduit considérablement les risques d’inondations majeures», soutient Glenn Benoy.

Malgré ces importants travaux, la rivière est à nouveau sortie de son lit au printemps 2009 pour inonder quelque 80 000 hectares de terres agricoles; certaines zones ont même été touchées pendant plus d’un mois. Un scénario semblable s’est reproduit en 2011. Ces deux épisodes d’inondation ont toutefois été atténués par la mise en marche du canal de dérivation.

La prévention

Le gouvernement manitobain émet chaque année une prévision sur les crues printanières. En date de mars dernier, les autorités manitobaines estimaient qu’une fois le canal activé, le niveau de la rivière serait légèrement au-dessus de ce seuil, mais que la formation d’embâcles pourrait faire augmenter le niveau à plus de six mètres et ce, en plein centre-ville. Le gouvernement prévoyait plus tôt cette année que le phénomène toucherait également les rivières Pembina, Assiniboine et Roseau, mais de nouvelles alertes d’inondations ont été plus tard émises pour la rivière Fisher et le ruisseau Pipestone.

 

Le canal de dérivation de la rivière Rouge, construit dans les années soixante, a subi d’importants travaux dès 2005 pour quasi doubler sa capacité. CR: Commission internationale mixte

« En date du début mai, nous observons une diminution du niveau de la rivière, mais il faut demeurer alerte. La saison des inondations peut sembler derrière nous, mais de fortes pluies peuvent rapidement faire basculer la situation», estime le conseiller.
La rivière Assiniboine, située à l’ouest de Winnipeg, possède également un canal de dérivation permettant de rediriger l’eau vers le lac Manitoba. « Certes, il existe peu de moyens pour minimiser les dégâts des inondations, mais les mesures mises en place au cours des dernières décennies ont certainement contribué à diminuer les risques », ajoute M. Benoy. Fait intéressant, depuis les plus récents travaux, le canal de dérivation de la rivière Rouge permet désormais de faire face à une inondation majeure comme on en voit seulement tous les 700 ans en comparaison d’une fois tous les 90 ans.