MAGAZINE CONSTAS

The BentWay

Remettre au goût du jour une infrastructure du siècle dernier

Les 80 ans de l’ACRGTQ
Un héritage en construction

À Toronto, d’importants travaux de réfection de l’autoroute Gardiner se révèlent une occasion à saisir pour revitaliser les environs de ce mastodonte du siècle dernier.

par Julien Lamoureux

 

 

The Bentway
The Bentway. Photo: NIC LEHOUX

Les membres du collectif d’urbanistes The Bentway Conservancy croient que l’espace sous la voie express a le potentiel de se transformer en des lieux publics d’exception. «C’est une ­occasion qui se présente une fois par génération», selon l’organisation.

 L’autoroute Gardiner est surélevée entre la rue Dufferin et l’autoroute Don Valley, sur une distance d’environ 6,5 km. «En fait [le dessous de l’autoroute] est déjà un espace public. Ce n’est pas comme si on créait une nouvelle zone, estime Sam Carter-Shamai, gestionnaire de la planification à la Bentway Conservancy. On ne fait que prendre conscience de son existence et l’améliorer.» Environ 200000 personnes habitent aux abords de cette portion de l’autoroute.

«La Gardiner n’est pas seulement une des colonnes vertébrales de Toronto, elle connecte aussi de nombreux projets achevés ou en cours», comme le parc Rees, en bordure du lac Ontario, et le futur quartier résidentiel Quayside, fait remarquer Robert Douglas McKaye, gestionnaire principal, planification et conception, au sein du collectif. En parte­nariat avec la municipalité, The Bentway Conservancy a produit l’Under Gardiner Public Realm Plan (UGPRP). Ce plan, présenté l’automne dernier, est une collaboration entre différents acteurs publics et privés et vise à guider le développement de ces places publiques.

«C’est un peu l’étoile polaire qui servira à guider tout projet encore à ses balbutiements», explique Robert Douglas McKaye. En supposant que les travaux de réfection soient terminés en 2030, l’UGPRP, lui, permettra d’établir une stratégie au-delà de cette pé­riode. «Jusqu’à maintenant, il n’existait pas de document unique ayant pour objectif de ­définir une vision cohérente de cet espace», ajoute Sam Carter-Shamai.

Après une période de consultation de deux ans, l’UGPRP a rassemblé ses conclusions sous trois grands axes: les sites spécifiques à potentiel élevé sous la Gardiner, les éléments que chaque projet devrait rassembler et les stratégies pour les implémenter.

Patinoire de The Bentway
Patinoire de The Bentway. Photo: Andrew Williamson

Une première phase réussie

Nul besoin de lire l’UGPRP pour comprendre les concepts du projet et comment ils s’arti­culeront. Robert Douglas McKaye donne l’exemple de ce qu’il appelle la «phase un»: une section d’un peu moins d’un kilomètre, mise au point sous la direction de The Bentway Conservancy et inaugurée en 2018.

«C’est à la fois une galerie d’art extérieure et un lieu de loisirs qui sert de cour arrière pour le quartier autour», résume-t-il. L’hiver, un sentier de patinage y est aménagé. Avec les années, il est devenu l’une des caractéristiques les plus reconnues de l’endroit.

En plus d’identifier des endroits où le potentiel de développement était élevé, le ges­tionnaire devait travailler avec les différentes parties prenantes, c’est-à-dire des agences municipales, des lotisseurs et le grand public.

Démonstration concrète de concepts abstraits

Cette première phase, appelée communément The Bentway, est l’occasion de montrer concrètement au public des concepts de développement urbain prisés par plusieurs urbanistes, se réjouit Sam Carter-Shamai. «On parle beaucoup d’idées comme l’adaptation des infrastructures, la gestion des eaux de pluie, les réseaux de ­transport, le développement communautaire, la connectivité… Mais pour le grand public, ces thèmes peuvent rester assez abstraits.»

«[The Bentway] rend les choses tangibles, poursuit-il. Il ne s’agit pas simplement d’un document. C’est un lieu, une expérience que les gens peuvent vivre et apprécier.»

Le projet s’inscrit dans une tendance de réappropriation des infrastructures routières – comme le réseau piétonnier High Line, à New York, sur une ancienne route surélevée –, mais à la sauce torontoise. «Il fallait considérer que l’autoroute ­au-­dessus est encore utilisée, et considérer aussi le climat hivernal», entre autres choses, indique Robert Douglas McKaye.

Le budget de 25 M$ pour la construction de la première phase est venu d’un don de la Judy and Wilmot Matthews Foundation. «[La fondation] voulait non seulement s’assurer que le projet serait terminé, mais aussi qu’il le soit en un temps record», explique-t-il. La conception et la construction ont été menées par la firme PUBLIC WORK en collaboration avec Greenberg Consultants et huit autres entreprises. The Bentway Conservancy agit en tant qu’intendant des lieux pour s’assurer du bon fonctionnement du chantier.

The Bentway rend les choses tangibles. Il ne s’agit pas simplement d’un document. C’est un lieu, une expérience que les gens peuvent vivre et apprécier.

– Sam Carter-Shamai

Rendu conceptuel de futurs espaces sous l’aurotoute Gardiner.
Rendu conceptuel de futurs espaces
sous l’aurotoute Gardiner. Illustration: PUBLICWORK

L’occasion du siècle

Les deux représentants de la Bentway Conservancy sont caté­goriques: tout ce brassage d’idées autour de l’autoroute Gardiner a lieu parce que l’infrastructure a besoin de réparations majeures. Les investissements et l’attention du public sont au rendez-vous. The Bentway Conservancy compte surfer sur cette vague.

«L’autoroute Gardiner montre l’approche de la construction des villes du milieu du siècle dernier», une époque où la voiture prenait l’ascendant sur d’autres usages de l’espace public, indique Robert Douglas McKaye. «Je crois que [les projets que Bentway Conservancy soutient] sont une manifestation d’un changement de mentalité et d’un désir […] de garder notre ville à jour et de lui permettre de regarder vers l’avenir», complète son collègue.

C’est pourquoi les idées contenues dans l’UGPRP à la fois mettent l’accent sur les gens qui se déplacent à vélo et à pied et réfléchissent au verdissement des lieux, à la gestion des eaux de pluie et de fonte des neiges, au choix des matériaux qui serviront à la réalisation de futures installations…

Robert Douglas McKaye
Robert Douglas McKaye, gestionnaire principal, planification et conception, au sein du collectif. Photo: ANDREW WILLIAMSON

Cette réflexion sur le développement durable et le verdissement a mené à la création de Staging Grounds, un peu à l’est de la première phase de la Bentway. Véritable laboratoire à ciel ouvert, ce jardin expérimental permet d’étudier les plantes susceptibles de pousser à l’ombre d’une route surélevée en étant exclusivement nourries par l’eau de ruissellement récupérée. Le site du projet, créé par les firmes Agency-Agency et SHEEEP, est accessible au public depuis septembre 2023.

Cette expérimentation et d’autres qui sont en cours aideront la ville et les promoteurs à faire des choix éclairés dans l’avenir. Les conclusions qui en découlent ne sont peut-être pas applicables à toutes les villes, Toronto ayant son propre climat et ses propres enjeux d’espace. En revanche, l’idée de réappropriation d’infrastructures promue par The Bentway Conservancy devrait inspirer d’autres municipalités nord-américaines, croit Robert Douglas McKaye.«Toutes les grandes villes ont leur équivalent de l’autoroute Gardiner», conclut-il. ■

 


 

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