Dossier Constas / Congrès 2024 Maîtriser les changements de cette nouvelle ère
Au départ, il s’agit d’avoir une vision stratégique de la manière par laquelle on va intégrer l’IA dans la stratégie globale de l’organisation – après tout, c’est l’implication des gestionnaires et de l’exécutif qui va «tirer» l’innovation au sein de l’entreprise. — Lynda Robitaille
Il y a différentes attitudes possibles envers l’intelligence artificielle (IA). Certains y voient une panacée à tous nos problèmes, d’autres s’en méfient et répéteraient volontiers le fameux mot de Goethe : « À la fin, nous devenons les esclaves des créatures que nous avons faites. » Pour nous éclairer sur l’IA, et mieux comprendre ce qu’elle peut ou ne peut pas faire pour les entreprises, nous avons rencontré Lynda Robitaille, directrice administrative, développement et partenariats de l’Institut intelligence et données (IID) de l’Université Laval. Créé en 2019, l’IID est reconnu aujourd’hui comme « le Pôle d’excellence régional en intelligence artificielle à Québec ».
Par Jean Brindamour
Q / Y a-t-il une définition consensuelle de l’IA ?
R / Si on cherche une définition consensuelle de l’IA, il faut d’emblée se tourner vers les dictionnaires et les encyclopédies en ligne. Essentiellement, on l’y présente comme un ensemble de théories et techniques qui visent à réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine. Cela dit, lorsqu’on parle d’un ensemble de pratiques, cela implique qu’il y a également plusieurs sous-ensembles qui méritent d’être définis ! Par exemple, on peut penser à l’apprentissage automatique (Machine Learning) qui regroupe des théories et techniques liés à la production d’algorithmes par d’autres algorithmes en vue de réaliser un ensemble de tâches qui, elles, auraient été traditionnellement inexplicables à la machine par des moyens traditionnels comme la programmation. L’apprentissage automatique inclut également d’autres approches, comme l’apprentissage profond (Deep Learning) qui, lui, regroupe les techniques à base de réseaux de neurones qui sont, entre autres usages, employées pour l’analyse et la génération d’images et de textes.
Q / Y a-t-il une bonne et une mauvaise façon d’adopter l’IA et de l’utiliser pour une entreprise ?
R / C’est en effet très facile de vouloir « faire de l’IA pour faire de l’IA » ou encore de vouloir faire trop gros, trop vite… Ce faisant, on arrive parfois avec des solutions qui sont mal adaptées au besoin. Comme le dit souvent Pierre Prévot, un professionnel de recherche en intelligence artificielle membre de l’équipe scientifique de l’IID, la clef, c’est de partir du besoin d’affaires : l’IA, elle, c’est une possibilité de solution parmi d’autres – parfois c’est la bonne, parfois non. Dans ses accompagnements auprès d’entreprises, il recommande souvent de commencer par de petits projets avec un retour sur investissement important et sans trop de risque – des quick wins ! – question de gagner en expérience sans impliquer des montants trop importants. Ce sont des projets avec des besoins qu’on peut facilement délimiter, des impacts qu’on peut aisément mesurer, des risques qu’on peut bien évaluer. Dans tout ça, il n’y a pas d’obligation d’avancer tout seul non plus ! Il est possible de se faire accompagner par des experts du domaine et plusieurs avenues sont possibles selon l’ampleur des besoins et l’avancée du projet – quitte à également partir à la recherche de formations ou d’ateliers dédiés, question de soutenir la réflexion.
Q / Comment mesurer l’aptitude d’une entreprise à utiliser l’IA ?
R / Nos équipes ont répertorié six dimensions importantes qui permettent d’évaluer la maturité et la capacité d’une organisation à déployer des modèles d’IA. Au départ, il s’agit d’avoir une vision stratégique de la manière par laquelle on va intégrer l’IA dans la stratégie globale de l’organisation – après tout, c’est l’implication des gestionnaires et de l’exécutif qui va « tirer » l’innovation au sein de l’entreprise. Ensuite, il faut s’assurer qu’on possède – ou à tout le moins qu’on ait accès – à des données adéquates, fiables et de qualité qui répondent aux besoins de modèles à développer. Comme le répète souvent notre chef d’équipe scientifique Julien Laumônier : « Les données restent le carburant de l’IA ! ». Dans un troisième temps, il y a la question de l’infrastructure : c’est elle qui sous-tend et supporte l’opérationnalisation de l’IA dans l’organisation. Elle peut être interne ou « dans les nuages ». Quatrièmement, il faut porter un regard sur la connaissance de ses processus. Après tout, c’est en regardant d’abord les processus « automatisables » qu’on a accès aux meilleurs retours sur investissement et gains de temps pour les employés. Ensuite, viennent la culture et les talents : est-ce que l’organisation est prête au changement ? Est-ce qu’elle possède les compétences, à l’interne ou même temporairement, afin de développer et maintenir de tels systèmes ? Rappelons-nous que c’est ici l’un des freins majeurs des organisations d’un certain âge ! Enfin, il ne faut pas oublier les éléments liés à l’éthique et la normalisation, c’est-à-dire la manière par laquelle l’organisation englobe l’ensemble des principes indissociables d’un usage responsable de l’IA, comme la diversité, la responsabilité, la transparence, le respect de la vie privée, le développement durable.
« C’est très facile de vouloir « faire de l’IA pour faire de l’IA » ou encore de vouloir faire trop gros, trop vite… Ce faisant, on arrive parfois avec des solutions qui sont mal adaptées au besoin. Comme le dit souvent Pierre Prévot, un professionnel de recherche en intelligence artificielle membre de l’équipe scientifique de l’IID, la clef, c’est de partir du besoin d’affaires : l’IA, elle, c’est une possibilité de solution parmi d’autres – parfois c’est la bonne, parfois non. » — Lynda Robitaille
Q / Quelles sont les erreurs à ne pas commettre dans l’usage de l’IA ?
R / On pourrait en parler longtemps ! Il suffit de regarder les six dimensions que je viens d’évoquer… et de faire l’inverse de ce qui est recommandé : partir sans vision ou sans besoin d’affaires; faire de l’IA pour faire de l’IA; utiliser des données de mauvaise qualité, en quantité insuffisante ou mal adaptée aux besoins; ne pas avoir d’infrastructure ou au contraire avoir une infrastructure ingérable, dispendieuse et lourde à maintenir; ne pas évaluer les impacts sur les processus de l’entreprise ou sur les utilisateurs des systèmes; ne pas prendre en considération les enjeux éthiques et légaux. Bref, beaucoup de choses peuvent aller mal, d’autant si on est mal accompagné ou pas accompagné du tout ! Une dernière chose : il faut éviter le déploiement de l’IA sans supervision humaine. Pour nous, l’humain doit toujours être dans la boucle.
Q / Mais l’IA est un domaine qui évolue si rapidement, tandis que les entreprises ont besoin de stabilité et de ne pas changer leurs modus operandi et leur matériel trop fréquemment.
R / Ici, je crois que je me dois de reprendre les mots de notre coordonnateur de stages à la maîtrise professionnelle en informatique – IA, Camille Besse : « L’important n’est pas d’utiliser le dernier cri à chaque trimestre. L’important, c’est d’être sur le chemin de l’amélioration continue et d’identifier le meilleur retour sur investissement au moment où on a la capacité de faire des changements ». Certaines organisations utilisent des processus très dynamiques, où la donnée est continuellement collectée. Dans un cas comme celui-là, il faudra probablement réentraîner des modèles régulièrement de façon à éviter d’avoir des problèmes de « dérives de données » où les modèles deviennent obsolètes quand l’environnement dans lequel ils évoluent se transforme. Par ailleurs, il est indispensable selon moi d’auditer en continu les solutions dont dispose une entreprise afin de s’assurer de la fiabilité et de la protection des données : l’audit aide à détecter les faiblesses de ses outils et ainsi faire de meilleurs choix. Enfin, je dirais qu’il faut aussi considérer l’importance de la veille stratégique et technologique, c’est-à-dire savoir et comprendre ce qui se fait, ce qui est possible et ce qui s’en vient, de façon à ne pas être pris au dépourvu. Et là-dessus, ce ne sont pas les contenus qui manquent !
« L’important n’est pas d’utiliser le dernier cri à chaque trimestre. L’important, c’est d’être sur le chemin de l’amélioration continue et d’identifier le meilleur retour sur investissement au moment où on a la capacité de faire des changements ». — Camille Besse, coordonnateur de stages à la maîtrise professionnelle en informatique – IA
Q / Quel usage à votre avis doit-on attendre de l’IA dans l’industrie de la construction ?
R / Un peu comme ailleurs, les outils basés sur l’IA pourraient être appliqués un peu partout, dans une panoplie de secteurs ou de contextes d’usages. Je pense, d’entrée de jeu, aux aspects administratifs, notamment pour simplifier la gestion des documents. Sinon, il y a la recherche dans la documentation liée à la santé et sécurité au travail à partir d’approches basées sur le traitement du langage naturel, ou encore la maintenance préventive et prédictive, la détection de défauts et d’anomalies dans les constructions – et tout le processus qualité, ou encore tout ce qui a trait à la planification – chantiers, travaux, horaires, synergies, emplois et le reste. Du reste, en vrac : localisation d’équipements, vérification automatisée, sécurité des chantiers, optimisation énergétique, capacité accrue des ouvriers par exosquelette, engins de chantier autonomes… En ce qui concerne le côté opérationnel et logistique, alors là, on peut considérer une utilisation des données récoltées et des métadonnées pour la planification des routes, par exemple pour le déneigement, pour le suivi de l’usure des pièces sur les véhicules ou encore sur la planification des agendas du personnel. Entre vous et moi, il y a là de beaux sujets pour des projets à court, moyen ou long terme et de belles collaborations entre la recherche et l’entreprise dans tout ce que je viens de vous énumérer ! ■
L’IA dans l’industrie de la construction
«Un peu comme ailleurs, les outils basés sur l’IA pourraient être appliqués un peu partout, dans une panoplie de secteurs ou de contextes d’usages. Je pense, d’entrée de jeu, aux aspects administratifs, notamment pour simplifier la gestion des documents. Sinon, il y a la recherche dans la documentation liée à la santé et sécurité au travail à partir d’approches basées sur le traitement du langage naturel, ou encore la maintenance préventive et prédictive, la détection de défauts et d’anomalies dans les constructions – et tout le processus qualité, ou encore tout ce qui a trait à la planification – chantiers, travaux, horaires, synergies, emplois et le reste. Du reste, en vrac : localisation d’équipements, vérification automatisée, sécurité des chantiers, optimisation énergétique, capacité accrue des ouvriers par exosquelette, engins de chantier autonomes… En ce qui concerne le côté opérationnel et logistique, alors là, on peut considérer une utilisation des données récoltées et des métadonnées pour la planification des routes, par exemple pour le déneigement, pour le suivi de l’usure des pièces sur les véhicules ou encore sur la planification des agendas du personnel.» — Lynda Robitaille