MAGAZINE CONSTAS

Exigences de vaccination en chantier chez les donneurs d’ouvrage

L’entrepreneur doit-il adopter une politique de vaccination obligatoire?

Chronique Management et santé/ Avis d'expert

Un grand nombre d’employeurs, y compris dans le secteur de la construction, exigent désormais, que l’ensemble de leurs employés soient vaccinés contre la COVID-19. Dans plusieurs cas, cela vise à répondre aux exigences venant des donneurs d’ouvrage. Bien que la jurisprudence portant sur la validité de ce type de politiques demeure relativement limitée, et ce, particulièrement au Québec, certaines tendances ressortent des quelques décisions rendues et peuvent guider les employeurs à mieux comprendre leurs droits et obligations.

Par Arianne Bouchard et Laurence Jolicoeur *

De manière générale, le fait qu’un donneur d’ouvrage exige que les travailleurs soient vaccinés n’est pas une considération suffisante pour justifier, à elle seule, le caractère raisonnable d’une politique et une atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Charte des droits et libertés de la personne. Il s’agit cependant d’une des considérations pertinentes à prendre en compte.

Il ressort de la jurisprudence que les autres facteurs qui seront considérés pour déterminer si l’adoption d’une politique est raisonnable incluent :

  1. la cohésion qui existe entre la politique et la convention collective, c’est-à-dire que la convention collective ne doit pas empêcher l’application d’une telle politique;
  2. le secteur d’emploi et la nature des fonctions exercées par les employés;
  3. le fait que le travail soit effectué à l’extérieur ou puisse l’être pour accommoder les employés non vaccinés;
  4. la possibilité pour les employés d’effectuer du télétravail;
  5. la fréquence des contacts avec les autres travailleurs, fournisseurs ou clients;
  6. les exigences des clients en matière de vaccination;
  7. les mesures administratives et/ou disciplinaires prévues en cas de non-respect de la politique.

Lorsqu’une atteinte aux droits fondamentaux est soulevée, l’exigence de la vaccination obligatoire est plutôt évaluée sous l’angle de la poursuite d’un objectif légitime et important. Cette exigence doit constituer une mesure proportionnelle à l’objectif visé.

Dans une des seules décisions rendues au Québec, un arbitre a autorisé un groupe d’employeurs œuvrant dans le secteur de l’entretien ménager à recueillir des informations relatives au statut vaccinal de leurs employés afin de répondre aux exigences de certains clients. En analysant différents facteurs, dont le caractère essentiel du travail effectué, l’arbitre en est venu à la conclusion que l’atteinte au droit à la vie privée était sans conséquence par rapport aux inconvénients majeurs reconnus par les « constats scientifiques actuels » résultant de la présence de personnes non vaccinées dans les milieux de travail. Dans le contexte particulier de cette affaire, le cadre suivant a cependant été imposé aux employeurs :

  1. Seule la preuve de vaccination des employés affectés à un contrat où il existait une obligation de vaccination pouvait être demandée;
  2. La nature des informations demandées devait être limitée à celles qui étaient nécessaires pour confirmer que l’employé était « adéquatement protégé »;
  3. La collecte devait être effectuée par le service des ressources humaines, plutôt que par le superviseur de l’employé;
  4. L’information sur le statut vaccinal d’une personne pouvait être conservée tant que l’exigence demeurait pertinente;

Les informations relatives au statut vaccinal d’une personne ne devaient pas être communiquées à des tiers, y compris les clients de l’employeur (l’employeur devait uniquement certifier que les employés affectés à un contrat spécifique étaient « adéquatement protégés »).

Nous estimons qu’il s’agit de paramètres intéressants pouvant guider les employeurs qui souhaitent ou doivent implanter une telle politique.

Il est important de noter qu’un employeur pourrait avoir un devoir d’accommodement à l’endroit d’un employé qui refuse ou ne peut se faire vacciner en raison d’un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Ce sera notamment le cas d’un employé refusant d’être vacciné en raison d’une invalidité documentée, d’un motif religieux ou d’une grossesse.

Finalement, dans la mesure où un employeur décidait de mettre en place une politique de vaccination obligatoire, il sera important d’assurer une révision continue de celle-ci, en prenant en considération la situation épidémiologique qui continuera d’évoluer au fil des mois. ■

* Arianne Bouchard est CHRA et associée chez Dentons Canada sencrl. Laurence Jolicoeur y est avocate.