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Projet de loi C-45 sur la légalisation du cannabis

Quels enjeux en matière de santé et sécurité du travail ?

En novembre dernier, un pas supplémentaire était franchi vers la légalisation de la marijuana avec l’adoption, par les Communes, du projet de loi C-45. À sept mois de l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, plusieurs s’inquiètent de ses répercussions possibles sur la sécurité au travail, et notamment au chantier. Qu’ils se rassurent : le cadre juridique actuel leur permet déjà de s’outiller pour parer à toute éventualité.

Par Marie Gagnon

« La légalisation prochaine du cannabis pourrait avoir des conséquences désastreuses au chantier. Mieux vaut réfléchir à la question dès maintenant. »
– Mohamed Badreddine

En juillet prochain, la consommation de cannabis à des fins récréatives sera, selon toute vraisemblance, permise au Canada. Alors qu’un flou juridique règne toujours quant à sa mise en application, la Loi sur le cannabis fait craindre le pire sur les chantiers, où les conséquences de sa consommation pourraient s’avérer désastreuses. D’où l’importance de trouver le juste équilibre entre ses obligations légales en matière de santé et de sécurité du travail (SST) et les droits de ses employés.

De lourdes responsabilités

Et ces obligations, quelles sont-elles? Avocat et médiateur accrédité, Mohamed Badreddine renvoie aussitôt au Code civil du Québec et à la Loi sur la santé et la sécurité du travail. « Les articles 2087 et 2088 du Code civil prévoient des dispositions pour l’employeur et l’employé, qui ont l’obligation réciproque de prendre les mesures nécessaires pour que le travail soit fait de façon diligente et prudente, résume-t-il. De plus, à l’article 1463, il établit la responsabilité civile de l’employeur en lui imposant de réparer tout préjudice causé par son employé ».

Me Badreddine signale que l’employeur n’a pas que des obligations, il a aussi des droits. Il est en effet en droit de s’attendre à ce que l’employé fournisse le travail pour lequel il a été embauché de façon diligente et responsable. Il peut également mettre en place et appliquer à la lettre une politique de tolérance zéro en matière de consommation et de facultés affaiblies au travail.

« Et ça peut aller loin, parce que la conduite avec facultés affaiblies est aussi sanctionnée par le Code criminel, ajoute-t-il. L’article 217.1 du Code criminel dit qu’il incombe à quiconque dirige un travail de prendre les mesures voulues pour qu’il n’en résulte pas de blessure corporelle pour autrui. Maintenant, comment on réagit face à un employé qui consomme au travail, ça dépend du contexte. »

Pour trancher la question de la consommation de cannabis ou des facultés affaiblies au travail, l’approche sera soit disciplinaire, soit administrative, indique Me Badreddine. Si l’employé reconnaît sa dépendance à la marijuana, on adoptera des mesures administratives, puisque la dépendance à la marijuana est considérée comme un handicap par la Charte des droits et libertés de la personne. Le cas échéant, l’employeur sera tenu d’accommoder l’employé jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Autrement, l’approche sera disciplinaire.

Des recours possibles

Me Badreddine signale du même souffle que l’employeur n’a pas que des obligations, il a aussi des droits. Il est en effet en droit de s’attendre à ce que l’employé fournisse le travail pour lequel il a été embauché de façon diligente et responsable. Il peut également mettre en place et appliquer à la lettre une politique de tolérance zéro en matière de consommation et de facultés affaiblies au travail.

« L’adoption d’une telle politique est fortement recommandée, surtout dans l’industrie de la construction où la moindre erreur peut avoir des conséquences graves, dit-il. Cette politique doit cependant être claire et sans équivoque, en plus d’établir les règles à observer et les conséquences en cas de manquement. Elle doit aussi être communiquée aux employés. C’est un outil très important, qui envoie un signal clair des règles du jeu en milieu de travail. »

Il reste que, avec le cannabis, le défi est particulier. Contrairement à l’alcool, dont les effets sont facilement observables et pour lequel il existe des tests de dépistage précis, les tests de dépistage du cannabis ne sont pas aussi précis et sont plus intrusifs. Son principe actif, le THC, peut en outre persister plusieurs jours dans le sang d’un individu.

Un dépistage encadré

Cela étant, dans quelles circonstances peut-on procéder à un test de dépistage ?
Me Badreddine fait deux distinctions. « Il faut distinguer les tests de dépistage faits à l’embauche de ceux faits durant l’emploi, expose-t-il. Pour ce qui est des tests de dépistage à l’embauche, ceux-ci ne seront permis que dans des circonstances exceptionnelles. »

Pour les tests de dépistage durant l’emploi, le juriste réfère à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Irving Pulp and Paper. Dans cette cause, la Cour a déterminé les paramètres pour la tenue de tels tests dans un contexte de consommation d’alcool au travail.

La Cour reconnaît par ailleurs trois cas de figure où de tels tests pourraient être effectués lorsque le milieu de travail est dangereux et que l’employé occupe un poste à risque : lorsqu’on a un motif raisonnable de croire que l’employé a les facultés affaiblies au travail; lorsqu’un employé a été impliqué dans un accident ou un incident de travail; ou lorsqu’il reprend le service après avoir suivi une cure pour régler un problème de consommation.

« Pour éviter les dérives, il faudra faire beaucoup de sensibilisation quant à la consommation de cannabis, que ce soit sous forme de cigarettes ou de produits dérivés, et s’assurer d’avoir une politique adéquate en place », conclut Me Badreddine. •