MAGAZINE CONSTAS

Des infrastructures publiques au service de l’économie

Rencontre avec Jean-Denis Garon

Jean-Denis Garon est professeur agrégé au département des Sciences Économiques de l’ESG-UQAM, spécialisé en finances publiques et en taxation. Très présent auprès des médias, il collabore régulièrement à l’émission de Gilles Parent au FM 93 et à CKOI. Nous l’avons rencontré pour discuter de l’impact économique des infrastructures publiques.

Par Jean Brindamour

Jean-Denis Garon, professeur agrégé au département des Sciences Économiques de l’ESG-UQAM

Il paraît évident au premier abord que les investissements publics dans les infrastructures, c’est bon pour l’économie. « En fait, la chose n’est pas aussi évidente, répond Jean-Denis Garon. Il faut d’abord s’assurer que les investissements des gouvernements ne remplacent pas simplement ceux des entreprises. Par exemple, certains ont soulevé ce point concernant le Plan Nord : est-ce que le gouvernement du Québec va payer des infrastructures que les sociétés minières auraient elles-mêmes financées ? Ensuite, il faut s’assurer que les infrastructures publiques soient produites de la façon la plus efficiente (ou la moins coûteuse) possible. Dans certains cas, on peut facilement dire que les investissements publics sont un peu futiles. On peut penser à l’anneau de glace qui sera construit à Québec et qui est subventionné par le programme fédéral d’infrastructures. Parfois des décisions douteuses sont prises. Je pense que les gouvernements peuvent mieux utiliser les fonds publics et mieux sélectionner leurs investissements.

« Il ne faut pas entendre le terme “politique” comme étant nécessairement péjoratif, souligne M. Garon. On élit des politiciens pour prendre des décisions au nom de la collectivité. »

Historiquement, de bonnes infrastructures de transport ont servi de locomotive au développement économique du pays. Le développement des chemins de fer vers l’Ouest canadien (CP) est un exemple d’infrastructure dont l’effet a été indéniable. Il y avait un intérêt du secteur privé à le complémenter avec des investissements privés (agricoles). Dans d’autres cas (le National Transcontinental ) le développement d’infrastructures similaires s’est soldé par des échecs économiques cuisants, notamment parce que le tracé du chemin de fer avait été choisi pour des raisons politiques. »

Cela dit, poursuit l’expert, si les investissements sont bien choisis ils peuvent engendrer des bénéfices importants. On parle souvent de l’effet des grands investissements en infrastructures sur la croissance économique. Typiquement, les gouvernements utilisent leur capacité d’emprunt pour faire de tels investissements lorsque l’économie est en récession ou lorsqu’elle croît à un rythme suffisamment en-dessous de son potentiel. C’est ce que fait présentement Justin Trudeau. Cependant, on attribue aux investissements en infrastructures – et tout particulièrement celles de transport – des bénéfices supplémentaires. Par exemple, certains affirment que ces infrastructures réduisent les disparités de richesse entre les régions et les villes en augmentant la croissance en régions. Dans ce cas, ce ne sont pas les emplois directs liés à la construction de l’infrastructure qui jouent gros, mais plutôt le fait que les entreprises privées (le capital privé) sont plus intéressées à s’installer dans des zones munies d’infrastructures de qualité. Pour une entreprise située en région, la qualité des infrastructures de transport assure l’accès à un marché extérieur. C’est une bonne chose, mais les bonnes infrastructures attirent aussi des concurrents. Il faut donc offrir aux entreprises un bon environnement d’affaires, soutenir leur productivité et encourager l’investissement lorsqu’on développe le réseau routier ou ferroviaire, et spécialement lorsqu’on le connecte davantage avec les juridictions voisines. »

Selon Jean-Denis Garon, «l’un des rares côtés positifs de la dépréciation de nos infrastructures est qu’elle nous permet de revoir entièrement le design de nos systèmes de transport et de les modifier à l’image du 21e siècle. Montréal, par exemple, a en partie saisi cette opportunité avec l’échangeur Turcot. »

Quels critères ?

Comment discerner si un investissement est avantageux ou non ? « On juge la qualité d’un investissement à son rendement, explique M. Garon. Dans le cas de l’investissement en capital public (routes, aéroports, systèmes d’aqueducs, communications) le calcul du rendement est plus complexe que pour les investissements privés traditionnels. Il faut déterminer si l’investissement public facilite le mouvement des travailleurs et des biens. Il faut aussi déterminer si ces investissements attireront de nouvelles entreprises privées ou si elles augmenteront la productivité des entreprises existantes. Présentement, les coûts de financement des investissements publics (les taux d’intérêts) sont bas et de nouveaux investissements en transport en commun, en réfection de routes et en modernisation des infrastructures de transport et de communications valent probablement la peine d’être financés. Cependant, j’ai l’impression que les gouvernements sélectionnent les projets en faisant de leur mieux, sans nécessairement en connaître le rendement précis. »

« Pour une entreprise située en région, la qualité des infrastructures de transport assure l’accès à un marché extérieur.»

Mais ces bénéfices sont-ils quantifiables ? « Depuis une vingtaine d’années, indique le spécialiste, beaucoup d’économistes ont tenté de quantifier le taux de rendement social des investissements publics. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux s’entendent pour dire que les investissements publics permettent d’augmenter la productivité des entreprises privées. Par exemple, une étude récente évaluait (pour des pays de l’OCDE) qu’une augmentation de 1% des investissements publics en infrastructures pouvait augmenter d’environ 0,1% la production privée. »

Un nouveau mode de financement ?

Le cas du train électrique à Montréal est intéressant, parce que la Caisse de dépôt a décidé d’investir. Elle a vu qu’il y avait là un profit possible pour elle et pour tous les Québécois. « Ce projet est particulier, commente l’économiste, puisqu’il se financera avec l’augmentation de la valeur foncière des terrains qui sont à proximité de l’infrastructure. Dans ce cas, non seulement l’infrastructure pourra attirer des entreprises et des investissements privés, mais elle pourra aussi être financée à l’aide d’argent privé. Avec ce type de financement du projet, le rendement de l’infrastructure sera capté par l’augmentation de la valeur des terrains et cette plus-value sera versée au promoteur. Sans ce mécanisme, aucun promoteur privé n’aurait intérêt à développer de l’infrastructure publique. Il faut quand même faire attention quand on calcule le rendement d’un tel projet. Plusieurs des terrains dont la valeur augmentera appartiennent déjà au gouvernement du Québec. Pour permettre la complétion du projet, celui-ci vendra des terrains qui gagneront beaucoup de valeur ces prochaines années. Cela dit, le projet du train électrique nous confirme qu’il existe bel et bien un rendement financier quantifiable même si l’infrastructure est publique. En soi, c’est donc un mode de financement à saluer. »

Politique et infrastructures publiques

En définitive, les décisions pour les investissements en infrastructures ne sont-elles pas généralement plus politiques, et même électoralistes, qu’économiques ? « Il ne faut pas entendre le terme “politique” comme étant nécessairement péjoratif, souligne M. Garon. On élit des politiciens pour prendre des décisions au nom de la collectivité. Le Québec a laissé ses infrastructures de transport se déprécier exagérément au cours des dernières décennies. Cela explique que le Québec ait besoin d’investissements importants aujourd’hui. L’un des rares côtés positifs de cette dépréciation est qu’elle nous permet de revoir entièrement le design de nos systèmes de transport et de les modifier à l’image du 21e siècle. Montréal, par exemple, a en partie saisi cette opportunité avec l’échangeur Turcot.

Depuis plusieurs années, le gouvernement du Québec a beaucoup travaillé pour améliorer la qualité de nos infrastructures. Le gouvernement de Jean Charest s’est particulièrement illustré à ce propos avec le Plan québécois des infrastructures. Philippe Couillard suit maintenant ce leadership. Les citoyens doivent demeurer vigilants et demander des comptes à leurs gouvernements. D’autant plus que le Plan québécois des infrastructures investira des sommes colossales au cours des prochaines années. » •


À retenir / « Depuis une vingtaine d’années, indique Jean-Denis Garon, beaucoup d’économistes ont tenté de quantifier le taux de rendement social des investissements publics. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux s’entendent pour dire que les investissements publics permettent d’augmenter la productivité des entreprises privées. Par exemple, une étude récente évaluait (pour des pays de l’OCDE) qu’une augmentation de 1% des investissements publics en infrastructures pouvait augmenter d’environ 0,1% la production privée. »