MAGAZINE CONSTAS

Entretien avec Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor et ministre responsable de l’Administration gouvernementale

Le développement durable dans la mire du projet de loi no 12

DOSSIER CONSTAS : LES ENJEUX D’UN AVENIR VERT

« Les organismes publics devront privilégier l’inclusion, dans les documents d’appel d’offres ou du contrat, d’au moins une condition relative au caractère responsable d’une acquisition, sur le plan environnemental, social ou économique. »

 

Sonia LeBel, avocate de formation, est députée de Champlain depuis le 1er octobre 2018. D’abord ministre de la Justice et procureure générale du Québec, elle a été nommée ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor le 22 juin 2020, postes qu’elle occupe depuis. Elle a bien voulu répondre à quelques-unes de nos interrogations sur les enjeux contractuels se rapportant au développement durable dans le projet de loi no 12.

Par Jean Brindamour

Q/ L’intitulé de la Loi 12 « Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics » ne semble pas à première vue avoir une relation quelconque avec le développement durable. Pouvez-vous nous dire en quoi cette loi pourrait y contribuer ?

R / En février 2022, nous avons annoncé l’importante Stratégie gouvernementale des marchés publics, qui vise à favoriser l’achat de biens et de services québécois. Elle met l’accent sur trois priorités : l’achat québécois, l’innovation et les acquisitions responsables. Le projet de loi no 12 s’inscrit dans cette stratégie en arrimant la Loi sur les contrats des organismes publics et la Loi sur le développement durable. De plus, la Loi fait en sorte que les organismes publics considèreront désormais le développement durable dans le cadre de leurs acquisitions. L’État donnera l’exemple et, ce faisant, stimulera la recherche et l’innovation québécoises. Nous avons, à ce titre, créé l’Espace d’innovation des marchés publics afin de favoriser l’évolution des règles contractuelles pour permettre aux organismes publics de mieux contribuer à l’atteinte des objectifs gouvernementaux, notamment en ce qui concerne le développement durable.

« La notion de développement durable inscrite dans la Loi sur les contrats des organismes publics prend appui sur les définitions inscrites dans la Loi sur le développement durable. » — Sonia LeBel

Q / On peut lire dans les notes explicatives du projet de loi : « La loi prévoit également que les organismes publics doivent procéder, préalablement au processus d’adjudication ou d’attribution d’un contrat, à une évaluation de leurs besoins qui s’inscrit dans la recherche d’un développement durable. » Pouvez-vous nous préciser ce que cette exigence de la loi signifie concrètement ?



R / Le but, ici, est de susciter en amont une réelle réflexion lors des processus d’appels d’offres publics et de nous assurer que tout processus d’adjudication ou d’attribution d’un contrat public soit précédé d’une évaluation qui tienne compte du développement durable. Je veux pousser nos organismes publics à développer cette expertise et inciter l’État à innover dans ses façons de faire. Par exemple, les organismes publics devront privilégier l’inclusion, dans les documents d’appel d’offres ou du contrat, d’au moins une condition relative au caractère responsable d’une acquisition, sur le plan environnemental, social ou économique. Une telle condition peut notamment prendre la forme d’une condition d’admissibilité, d’une exigence technique, d’un critère d’évaluation de la qualité ou d’une marge préférentielle. Bien entendu, cette condition d’admissibilité doit être en lien avec l’objet du contrat à conclure.

« En février 2022, nous avons annoncé l’importante Stratégie gouvernementale des marchés publics, qui vise à favoriser l’achat de biens et de services québécois. Elle met l’accent sur trois priorités : l’achat québécois, l’innovation et les acquisitions responsables. » — Sonia LeBel

Q / Le développement durable n’est-il pas d’abord et avant tout un concept lié à l’environnement ?

R / Le développement durable s’appuie sur trois piliers : économique, social et environnemental. L’obligation, pour les organismes publics, de privilégier l’inclusion dans leurs documents contractuels d’au moins une condition d’admissibilité relative aux différents piliers du développement durable est en vigueur depuis le 2 décembre 2022. Je souhaite que mon ministère accompagne et conseille les organismes publics dans l’application des règles auxquelles ils sont assujettis.

Q / On voit bien que le développement durable est une notion très large. Sur quelles grilles d’analyse se basera le Conseil du trésor pour déterminer les actes à poser afin que les besoins en développement durable soient satisfaits ?



R / Comme je l’ai mentionné lors de l’étude détaillée du projet de loi no 12, nous reprenons cette idée d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. La notion de développement durable inscrite dans la Loi sur les contrats des organismes publics prend appui sur les définitions inscrites dans la Loi sur le développement durable. Nous avons également introduit dans la loi des dispositions qui instituent l’Espace d’innovation des marchés publics afin de permettre l’évolution des règles contractuelles. Je suis très fière de cette avancée, car il sera maintenant possible d’expérimenter le recours à des outils ou à des grilles d’analyse relatifs au développement durable. Nous pourrons évaluer, par exemple, des outils fondés sur une approche de cycle de vie ou bien encore d’économie circulaire. C’est une façon différente d’aborder l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ces changements. Ce sera un processus d’amélioration continue et je vais compter sur l’implication de tous les acteurs.

« L’État donnera l’exemple et, ce faisant, stimulera la recherche et l’innovation québécoises. Nous avons, à ce titre, créé l’Espace d’innovation des marchés publics afin de favoriser l’évolution des règles contractuelles » — Sonia LeBel

Q / Y a-t-il des conséquences pour l’organisme public, s’il n’inclut pas une condition ayant trait au développement durable ?

R / Si un organisme public n’inclut pas de considération de développement durable dans les documents d’appel d’offres ou le contrat, il devra consigner les circonstances ou les motifs considérés. Le Secrétariat du Conseil du trésor publiera un rapport faisant état de l’inclusion de conditions relatives au caractère responsable d’une acquisition dans les appels d’offres ou les contrats des organismes publics. Nous pourrons donc suivre l’évolution de nos organismes publics dans leur prise en considération du développement durable et ajuster le tir, au besoin.

« Les entrepreneurs qui souhaitent soumissionner dans le cadre d’appels d’offres publics ou obtenir un contrat de gré à gré devront démontrer qu’ils répondent aux conditions en matière de développement durable que les organismes publics auront inscrites dans leurs documents contractuels. » — Sonia LeBel

Q / Et quelles conséquences ont ces aspects de la loi no 12 sur les entrepreneurs et sur leurs chantiers ?

R / Les entrepreneurs qui souhaitent soumissionner dans le cadre d’appels d’offres publics ou obtenir un contrat de gré à gré devront démontrer qu’ils répondent aux conditions en matière de développement durable que les organismes publics auront inscrites dans leurs documents contractuels. Il s’agit d’une opportunité de faire progresser nos marchés publics ensemble, dans une vision d’un Québec plus vert et prospère. ■