MAGAZINE CONSTAS

Le défi budgétaire et humain des infrastructures

Rencontre avec Jonatan Julien, ministre responsable des infrastructures et de la Capitale-Nationale

Depuis notre arrivée au gouvernement, le niveau d’investissements annuels en maintien du parc est passé en 5 ans de 5,3 G$ en 2018-2019 à 9,1 G$ en 2023-2024, soit une augmentation de plus de 70 %.

Jonatan Julien, qui occupe depuis 2018 des postes importants au sein du gouvernement Legault, possédait déjà une vaste expérience, notamment en matière d’infrastructures, avant d’entrer en politique provinciale et d’être élu député de Charlesbourg. Actuellement ministre responsable des Infrastructures et ministre responsable de la Capitale-Nationale, il a bien voulu répondre aux questions de Constas sur les principaux enjeux concernant les infrastructures au Québec et en particulier sur les défis propres à la Capitale-Nationale.

Par Jean Brindamour

Q / En tant que ministre responsable des Infrastructures, vous êtes en lien étroit avec le Secrétariat du Conseil du trésor [SCT]. En quoi consiste exactement votre mandat ?

R / Mon mandat est de mettre les conditions gagnantes en place et de suivre la performance de l’État pour livrer des projets de qualité au meilleur coût et plus rapidement. C’est aussi de veiller à l’équité intergénérationnelle en prenant soin des infrastructures existantes, afin de laisser à ceux qui nous suivront un parc dans le meilleur état possible. Bien humblement, je joue le rôle de chef d’orchestre pour amener les processus à devenir plus agiles et plus efficients. Nous avons d’importants chantiers d’optimisation des processus en cours afin d’identifier les meilleures actions à entreprendre sur les grands axes, dont la planification gouvernementale intégrée, les allégements des processus administratifs, l’amélioration de l’accès aux contrats publics et le suivi de la performance dans la réalisation des projets.



Q / Quels sont les ministères avec lesquels vous collaborez le plus ? J’imagine que le MTQ en est un, mais aussi le ministère de l’Éducation ou celui de la Santé, puisqu’ils sont responsables d’un grand nombre d’infrastructures.

R / Il y a effectivement certains ministères, dont ceux que vous nommez, qui ont une grande proportion des investissements en infrastructures (Santé, Éducation et Transports représentent 70 % du Plan québécois des infrastructures [PQI] 2023-2033 ), mais je travaille avec la presque totalité des ministères en raison de leurs besoins en infrastructures, que ce soit pour le PQI par la Société québécoise des infrastructures [SQI] qui, en tant qu’expert gouvernemental en infrastructures, dessert les ministères et organismes [M/O]. Je collabore donc activement avec mes collègues du MFQ, SCT, MES, MCC, MSLPA, MAMH, MTO, MERN, MELCCFP, MAPAQ, MCN, MJQ, MSP, MFA, etc.

Q / Avant d’en arriver aux nouvelles infrastructures en cours, j’aimerais vous entendre sur l’enjeu énorme que constitue le simple maintien des infrastructures. Le dernier PQI annonçait des sommes record pour l’entretien des infrastructures, mais leur état continue à se dégrader. Comment l’expliquer ? Est-il possible d’inverser une telle tendance de fond ?

R / Le niveau d’investissement en infrastructures publiques entre les années 1990 et 2010 a créé un retard important en maintien du parc. Plusieurs infrastructures ont été construites dans les années 60 et sont un héritage de la modernisation de l’État québécois. Découlant de cette période d’effervescence, bon nombre d’infrastructures datant ainsi de plus de 50 ans nécessitent des travaux de maintien importants jusqu’à la fin de leur vie utile (taux de dégradation élevé). Les nouvelles inspections réa­lisées chaque année, combinées à l’inflation du coût des travaux, ajoutent de nouveaux besoins d’investissement qui font augmenter le déficit en maintien d’actifs. Évidemment, notre gouvernement a pris les choses en main en posant des actions concrètes et responsables pour pallier ce retard. Dans le PQI, nous priorisons les investissements en maintien du parc d’infrastructures du gouvernement : nous appliquons une stratégie d’augmentation progressive des investissements en maintien (versus bonification), tout en prenant en compte du mieux possible la capacité du marché. C’est pourquoi depuis notre arrivée au gouvernement, le niveau d’investissements annuels en maintien du parc est passé en 5 ans de 5,3 G$ en 2018-2019 à 9,1G$ en 2023-2024, soit une augmentation de plus de 70 %.

« Dans le Plan québécois des infrastructures [PQI], nous priorisons les investissements en maintien du parc d’infrastructures du gouvernement : nous appliquons une stratégie d’augmentation progressive des investissements en maintien (versus bonification), tout en prenant en compte du mieux possible la capacité du marché.» — Jonatan Julien

Q / Quelques mots sur l’augmentation des coûts des projets. Le PQI 2023-2033 prévoit 150 G$ d’investissements (81 G$ pour le maintien des actifs, le reste dans de nouveaux projets). C’est 50 G$ de plus par rapport au PQI 2018-2028. Est-ce qu’une telle hausse compensera l’inflation et suffit-elle à répondre aux besoins ?

R / Comme gouvernement responsable, nous n’avons de choix que de répondre au mieux de nos capacités aux besoins de nos communautés en infrastructures tant par le maintien de l’existant, qu’en réalisant de nouvelles constructions. La hausse de 50 G$ sert donc à répondre aux besoins prioritaires du Québec, en incluant une part d’investissement pour faire face aux fluctuations des coûts pour les projets en réalisation. C’est un défi, mais nous continuons d’être stratégique dans nos choix. Des mesures seront également déployées dès cette année pour s’assurer que le gouvernement est plus efficient que jamais dans ses projets. Dans le contexte inflationniste actuel et pour faire face aux hausses de coûts, on va s’assurer de la meilleure utilisation possible de chaque denier public investi en infrastructure.

« J’ai présenté en mars dernier notre vision pour la Capitale-Nationale, qui s’appuie sur trois grands axes : établir un pôle économique prospère et durable, favoriser l’effervescence culturelle et assurer la qualité de vie des citoyens. Ce sont trois fondements essentiels pour soutenir l’attractivité et la rétention des résidents et des travailleurs dans une région, de surcroît, en situation de rareté de main-d’œuvre. Aussi, le déploiement de la ZEM mettra à contribution l’expertise de leaders issus de divers milieux, à travers des ateliers dont deux, dédiés à la main-d’œuvre et la productivité. De ces travaux qui se dérouleront au cours de l’automne émergeront une vision et un plan d’action qui seront dévoilés en décembre prochain.» — Jonatan Julien

Q / Mais que peut faire le gouvernement devant les coûts des grands projets qui augmentent sans cesse ?

R / Le contexte de surchauffe du marché, jumelé à la pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie de la construction et à la hausse du prix des matériaux, exerce toujours une forte pression sur les coûts de construction, ce qui a évidemment un impact sur les projets aussi bien dans le secteur public que privé. Évidemment, il y a certains éléments conjoncturels que nous ne contrôlons pas. Toutefois, nous sommes déjà en action pour implanter des solutions afin de mieux planifier, réaliser et suivre la performance de nos projets. D’autre part, je collabore avec mes collègues Kateri Champagne Jourdain, Jean Boulet et Bernard Drainville pour augmenter les capacités dans le secteur de la construction. Par ailleurs, lorsque des réponses à certains appels d’offres sont déraisonnables par rapport au contexte actuel, les M/O, notamment la SQI, n’hésitent pas à reporter ou à revoir certains éléments (besoins, échéances, portée) pour obtenir les meilleurs rapports qualité-prix possibles. Nous sommes bien conscients des défis, ce pourquoi nous mettons tout en œuvre pour trouver le meilleur équilibre entre le volume de projets que le gouvernement entreprend et la capacité du secteur de la construction à les réaliser. On veut en faire le plus possible, le plus rapidement possible, au meilleur coût possible pour répondre aux besoins des citoyens de tout le Québec.

 

Ci-contre à gauche la future Station Desjardins – Campus de l’Université Laval, CR : Ville de Québec. « Lors d’une rencontre en décembre dernier à Montréal, les premiers ministres Trudeau et Legault se sont entendus pour que nos gouvernements soient au rendez-vous pour le partage des dépassements de coûts pour le tramway avec une contribution de 40 % du fédéral. » — Jonatan Julien

 

Q / Je veux passer à votre chapeau de ministre responsable de la région de Québec. La création d’une « zone économique métropolitaine » [ZEM] a été annoncée en mars dernier. Quels sont les objectifs d’une telle zone ?

R / Les objectifs visés par la mise en place de la ZEM sont de se donner une vision stratégique rassembleuse basée sur les grands enjeux économiques et les besoins du milieu, d’assurer un développement orienté sur la collaboration de tous les acteurs de l’économie régionale et de réaffirmer la contribution primordiale de la région à l’essor économique du Québec. Le rôle du gouvernement du Québec est d’assumer un leadership pour mobiliser les intervenants de la région afin que celle-ci soit attrayante, productive, innovante et compétitive face aux autres régions métropolitaines. Les intervenants sont très mobilisés et les travaux avancent très bien.

L’Entente bilatérale intégrée (EBI) que le Québec a signée en 2018 avec le gouvernement fédéral, prévoyait une contribution fédérale de 7,5 G$ sur 10 ans pour des projets d’infrastructures au Québec. Bien que le gouvernement fédéral ait décidé unilatéralement de devancer la date de dépôt des projets à 2023, nous avons rapidement travaillé pour transmettre une liste complète de projets, incluant bien sûr le projet du tramway de Québec, pour se prévaloir de l’entièreté des sommes encore disponibles. J’ai eu plusieurs échanges avec le ministre LeBlanc qui a démontré beaucoup d’ouverture et nous avons donc conclu une entente modifiant l’EBI initiale pour sécuriser les sommes restantes (2,7 G$) pour les projets d’infrastructures prioritaires du Québec. — Jonatan Julien

Q / Il y a finalement une entente entre Québec et Ottawa pour le financement des coûts du tramway. Vous avez joué un rôle clef dans cette entente avec Dominic LeBlanc, qui était alors ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités au fédéral. Pouvez-vous nous raconter un peu comment ça s’est passé ?

R / Certainement. En fait, l’Entente bilatérale intégrée (EBI) que le Québec a signée en 2018 avec le gouvernement fédéral, prévoyait une contribution fédérale de 7,5 G$ sur 10 ans pour des projets d’infrastructures au Québec. Bien que le gouvernement fédéral ait décidé unilatéralement de devancer la date de dépôt des projets à 2023, nous avons rapidement travaillé pour transmettre une liste complète de projets, incluant bien sûr le projet du tramway de Québec, pour se prévaloir de l’entièreté des sommes encore disponibles. J’ai eu plusieurs échanges avec le ministre LeBlanc qui a démontré beaucoup d’ouverture et nous avons donc conclu une entente modifiant l’EBI initiale pour sécuriser les sommes restantes (2,7 G$) pour les projets d’infrastructures prioritaires du Québec. Je suis fier de constater que la collaboration ait pu donner des résultats positifs pour la suite des choses, notamment avec l’ouverture du gouvernement fédéral à contribuer aux dépassements de coûts.



Q / Cet accord comprend donc les dépassements de coûts ?

R / Lors d’une rencontre en décembre dernier à Montréal, les premiers ministres Trudeau et Legault se sont entendus pour que nos gouvernements soient au rendez-vous pour le partage des dépassements de coûts pour le tramway avec une contribution de 40 % du fédéral. On a pu compter sur l’ouverture de M. LeBlanc et du ministre Duclos pour la contribution du fédéral au projet. Suivant le remaniement ministériel à Ottawa, j’aurai bientôt le plaisir de rencontrer le nouveau ministre responsable des Infrastructures, Sean Fraser. Je suis optimiste sur la poursuite des échanges productifs que nous avions avec Messieurs LeBlanc et Duclos.

Q / Comme ministre responsable de la Capitale-Nationale, vous vous êtes aussi intéressé au problème de la rareté de la main-d’œuvre, qui touche l’ensemble du marché du travail, et en particulier l’industrie de la construction. Vous avez noté qu’il y avait plus de postes à combler dans la région de la Capitale-Nationale qu’ailleurs au Québec. Quelles sont les solutions ?

R / J’ai présenté en mars dernier notre vision pour la Capitale-Nationale, qui s’appuie sur trois grands axes : établir un pôle économique prospère et durable, favoriser l’effervescence culturelle et assurer la qualité de vie des citoyens. Ce sont trois fondements essentiels pour soutenir l’attractivité et la rétention des résidents et des travailleurs dans une région, de surcroît, en situation de rareté de main-d’œuvre. Aussi, le déploiement de la ZEM mettra à contribution l’expertise de leaders issus de divers milieux, à travers des ateliers dont deux, dédiés à la main-d’œuvre et la productivité. De ces travaux qui se dérouleront au cours de l’automne émergeront une vision et un plan d’action qui seront dévoilés en décembre prochain. Enfin, il faut souligner l’apport non négligeable d’initiatives telles que des missions de recrutement menées à l’étranger par Québec International. Elles visent à attirer des travailleurs dans des secteurs névralgiques. Ce ne sont que quelques exemples, nous continuons de trouver des solutions avec des partenaires. ■