MAGAZINE CONSTAS

Vers une réglementation favorable

Entretien avec Sonia LeBel, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor

Dossier Constas / Congrès 2024
Maîtriser les changements
de cette nouvelle ère

Nouveaux modes de réalisation collaboratifs / 1

Tous les efforts sont déployés depuis une année et demi pour moderniser la réglementation sur les contrats de travaux de construction des organismes publics et la bonifier avec de nouveaux modes de réalisation collaboratifs. Mon souhait est qu’elle soit adoptée en 2024. — Sonia LeBel

Le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) a la responsabilité de l’encadrement contractuel des donneurs d’ouvrage publics assujettis à la Loi sur les contrats des organismes publics, ce qui comprend les ministères et organismes de l’Administration gouvernementale ainsi que les établissements des réseaux de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Santé et des Services sociaux. Les deux principales pièces de cet encadrement sont la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) et le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics (RCTC). Nous avons rencontré la ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor, Mme Sonia LeBel, pour discuter des nouveaux modes de réalisation collaboratifs sous l’angle de la loi et des règlements en place et de leur éventuelle mise à jour afin qu’ils permettent un meilleur accès aux entreprises québécoises à ces nouveaux modes.

Par Jean Brindamour

Q / Pouvez-vous résumer succinctement le mandat du SCT en matière d’encadrement des marchés publics et, plus spécifiquement, dans le domaine de la construction ?

R / La pièce maîtresse de l’encadrement des marchés publics est la Loi sur les contrats des organismes publics. Cette loi est entrée en vigueur en 2008 et elle vise à promouvoir, dans le respect des accords de libéralisation des marchés publics, certains principes tels que la confiance du public dans les marchés publics, la transparence dans les processus contractuels, le traitement intègre et équitable des concurrents et l’accessibilité aux contrats publics. En tant que ministre responsable de l’application de la LCOP, je m’assure qu’elle évolue pour répondre aux défis et enjeux qui se présentent en matière de marchés publics. Par exemple, j’ai déposé un projet de loi en 2022* qui est venu modifier substantiellement la LCOP en y introduisant notamment des dispositions concernant le développement durable et le développement économique du Québec et de ses régions, des objectifs importants pour notre gouvernement. Ces nouvelles dispositions vont ainsi permettre aux organismes publics d’être davantage proactifs et de mieux performer en matière d’acquisitions responsables et d’achats québécois. En ce qui concerne le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), il joue un rôle central au regard de la gestion contractuelle des organismes publics. Le SCT propose notamment des textes législatifs et réglementaires ainsi que des directives en gestion contractuelle dans le domaine des travaux de construction, mais également dans les domaines de l’approvisionnement, des services et des technologies de l’information. Il tient également des activités de concertation avec des représentants des organismes publics et de l’industrie pour discuter de problématiques particulières et d’enjeux en lien avec les marchés publics. Par exemple, dans le domaine de la construction, de telles discussions ont actuellement lieu sur des sujets comme les délais de paiement et les modes collaboratifs de réalisation de projet. Enfin, le SCT offre un accompagnement aux organismes publics qui peut revêtir diverses formes, afin qu’ils disposent de l’information et des outils requis pour bien remplir leur rôle en matière contractuelle.



Q / La LCOP et le RCTC datent de 2008. 15 ans, c’est beaucoup dans une période de vastes changements comme celle que nous connaissons. Pensez-vous introduire de nouveaux modes collaboratifs dans la réglementation actuelle et, si oui, lesquels ?

Robert Villeneuve du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) fut un des participants du panel consacré aux modes de réalisation collaboratifs au Québec lors du 80e congrès de l’ACRGTQ.

R / Lorsque la LCOP et le RCTC sont entrés en vigueur, en 2008, ils répondaient aux besoins des organismes publics. La LCOP prévoyait des dispositions pour les contrats de partenariat public-privé et le RCTC offrait notamment la possibilité de conclure des contrats mixtes de travaux de construction et de services professionnels (conception-construction) et des contrats visant à procurer des économies découlant de l’amélioration du rendement énergétique. Mais depuis 15 ans, je vous le concède, les pratiques ont évolué. D’ailleurs, pour des projets d’envergure ou complexes, le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) ainsi que la Société québécoise des infrastructures (SQI) ont obtenu à quelques reprises l’autorisation du Conseil du trésor de déroger aux règles en vigueur pour leur permettre d’utiliser d’autres modes de réalisation, comme le mode « conception-construction-financement » (CCF) ou le mode « conception-construction-progressif » (CCP). D’importants travaux sont en cours pour actualiser les pratiques en matière de travaux de construction. Dans cette optique, je souhaite introduire de nouveaux modes de réalisation dans le cadre normatif, des « modes collaboratifs ». À cet effet, nous pouvons tirer profit des apprentissages qui découlent des projets réalisés par le MTMD et la SQI ces dernières années. Mais nous souhaitons également expérimenter de nouveaux modes de réalisation de projet. D’ailleurs, dans les modifications apportées en 2022 à la LCOP, il y a notamment l’introduction d’un chapitre intitulé Espace d’innovation des marchés publics, qui permet justement d’expérimenter de nouvelles façons de faire par arrêté ministériel. C’est dans ce contexte que nous souhaitons expérimenter en 2024 la réalisation de projet intégrée (RPI). Et lorsque l’expérimentation sera concluante, ce mode pourra être intégré à la réglementation.

« Recourir à de tels modes collaboratifs requiert une certaine maturité de l’ensemble des intervenants. Pour les utiliser et en retirer les pleins bénéfices, les organismes publics, les entrepreneurs, les professionnels et les sous-traitants doivent être au diapason. Actuellement, le MTMD, la SQI et quelques entrepreneurs ont réalisé des projets selon des modes CCF ou CCP. Mais ça demeure très peu par rapport à l’ensemble des organismes publics, des entreprises et des projets publics de construction. »
— Sonia Lebel


Q / Pensez-vous pouvoir alléger la réglementation ?

R / En tant que ministre responsable de l’application de la LCOP, je souhaite bien sûr la mise en place et le maintien de règles contractuelles optimales, c’est-à-dire des règles qui vont permettre aux organismes publics d’être davantage performants, efficaces et efficients, et aux entreprises d’accéder aux marchés publics par des processus transparents, intègres et équitables. Et pour ce faire, la LCOP a toujours évolué et elle continuera de le faire pour maintenir un environnement sain et concurrentiel pour nos marchés publics. En plus d’introduire des modes collaboratifs, je veux également alléger, voire moderniser la réglementation afin d’offrir davantage d’agilité aux organismes publics et de simplifier leurs processus contractuels avec les entreprises.

« Pour cet important chantier réglementaire dans le domaine des contrats de travaux de construction, nous collaborons avec plusieurs intervenants : évidemment avec le MTMD et la SQI, les deux principaux donneurs d’ouvrage en construction assujettis à la LCOP, ainsi que le ministère de l’Éducation, le ministère de l’Enseignement supérieur et celui de la Santé et des Services sociaux pour avoir le point de vue des établissements des réseaux. Nous sollicitons également l’apport de l’Industrie, par l’intermédiaire des associations d’entreprises qui regroupent des professionnels et des entrepreneurs. L’objectif d’une telle collaboration est de parvenir à obtenir le meilleur consensus, et ce, au bénéfice de l’ensemble des intervenants. » — Sonia Lebel

Q / Y a-t-il des obstacles qu’on pourrait qualifier de systémiques qui expliquent que ces nouveaux modes collaboratifs ne soient guère accessibles au Québec ? La règle du plus bas soumissionnaire y est-elle pour quelque chose ?

R / Je ne pense pas que les obstacles soient systémiques ni que le mode d’adjudication du plus bas prix conforme soit en cause. Je vois deux raisons qui pourraient expliquer le faible recours aux modes collaboratifs. Premièrement, les organismes publics sont responsables de leurs acquisitions. Ils leur reviennent donc de déterminer leur stratégie d’acquisition, dont le mode de réalisation. Ainsi, lorsqu’un organisme public veut recourir à un mode de réalisation différent de ce qu’offre la réglementation, il doit obtenir préalablement l’autorisation du Conseil du trésor, comme le MTMD et la SQI l’ont fait au cours des dernières années pour certains projets d’envergure ou complexes. Obtenir une telle autorisation peut rebuter les organismes publics, mais la LCOP offre cette possibilité. Deuxièmement, recourir à de tels modes collaboratifs requiert une certaine maturité de l’ensemble des intervenants. Pour les utiliser et en retirer les pleins bénéfices, les organismes publics, les entrepreneurs, les professionnels et les sous-traitants doivent être au diapason. Actuellement, le MTMD, la SQI et quelques entrepreneurs ont réalisé des projets selon des modes CCF ou CCP. Mais ça demeure très peu par rapport à l’ensemble des organismes publics, des entreprises et des projets publics de construction. En revanche, l’introduction de nouveaux modes collaboratifs amènera assurément un défi d’appropriation de ces nouvelles règles par les organismes publics et les entreprises. Un des facteurs de réussite à leur implantation sera assurément la communication des attentes et des orientations gouvernementales auprès des entreprises. D’ailleurs, une rencontre coordonnée par le SCT a eu lieu en mars 2023 entre des représentants des organismes publics et de l’Industrie, dont l’ACRGTQ, pour échanger sur les modes collaboratifs. Une autre rencontre aura lieu le mois prochain avec les mêmes intervenants pour les consulter cette fois-ci sur un processus contractuel de réalisation de projet intégrée (RPI) proposé par le SCT. Nous souhaitons prochainement expérimenter ce processus contractuel avec quelques projets.

Je souhaite introduire de nouveaux modes de réalisation dans le cadre normatif, des « modes collaboratifs ». À cet effet, nous pouvons tirer profit des apprentissages qui découlent des projets réalisés par le MTMD et la SQI ces dernières années. Mais nous souhaitons également expérimenter de nouveaux modes de réalisation de projet. D’ailleurs, dans les modifications apportées en 2022 à la LCOP, il y a notamment l’introduction d’un chapitre intitulé « Espace d’innovation des marchés publics », qui permet justement d’expérimenter de nouvelles façons de faire par arrêté ministériel. C’est dans ce contexte que nous souhaitons expérimenter en 2024 la réalisation de projet intégrée (RPI). Et lorsque l’expérimentation sera concluante, ce mode pourra être intégré à la réglementation. — Sonia LeBel

Q / Y a-t-il d’autres instances qui collaborent avec vous à cette mise à jour ?

R/ Pour cet important chantier réglementaire dans le domaine des contrats de travaux de construction, nous collaborons avec plusieurs intervenants : évidemment avec le MTMD et la SQI, les deux principaux donneurs d’ouvrage en construction assujettis à la LCOP, ainsi que le ministère de l’Éducation, le ministère de l’Enseignement supérieur et celui de la Santé et des Services sociaux pour avoir le point de vue des établissements des réseaux. Nous sollicitons également l’apport de l’Industrie, par l’intermédiaire des associations d’entreprises qui regroupent des professionnels et des entrepreneurs. L’objectif d’une telle collaboration est de parvenir à obtenir le meilleur consensus, et ce, au bénéfice de l’ensemble des intervenants.



Q / Et pouvez-vous préciser quel est l’échéancier envisagé pour la mise à jour de la réglementation ?

R / Tous les efforts sont déployés depuis une année et demi pour moderniser la réglementation sur les contrats de travaux de construction des organismes publics et la bonifier avec de nouveaux modes de réalisation collaboratifs. Mon souhait est qu’elle soit adoptée en 2024. Il est primordial pour notre gouvernement d’améliorer l’efficacité et la performance de l’État, et ce dans le but d’assurer une saine gestion des finances publiques. Cette nouvelle réglementation contribuera à cet objectif. Cela fait partie de mes priorités. ■

* Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics.