MAGAZINE CONSTAS

Réglementation, contrat social et transport

Défis de l’industrie québécoise du granulat : entretien avec Gervais Simard, propriétaire de Ressources Environnement

Dossier Constas
CARRIÈRES ET SABLIÈRES
DES RESSOURCES ESSENTIELLES

« On pourrait dire que le nouveau Règlement vise surtout à obliger les plus vieux sites à se conformer a posteriori aux critères qui s’appliquent actuellement aux nouveaux sites. Le hic, c’est que bien souvent, quand ces sites ont été mis en exploitation, il n’y avait pas un “chat” autour ! » — Gervais Simard

Le Québec compterait environ 450 carrières et sablières exploitées sur une base régulière, selon les chiffres de l’ACRGTQ, auxquelles s’ajoutent des centaines de sites de plus petite envergure qui ne sont exploités que sporadiquement. Elles produisent plus de 85 millions de tonnes de granulats chaque année et emploient, directement et indirectement, quelque 3 000 personnes. Indispensable à la construction de routes, d’aqueducs et de bâtiments, « on dit même que le granulat est le produit le plus utilisé après l’eau et l’air ! », lance Gervais Simard, propriétaire de Ressources Environnement, une firme de services techniques en environnement qui œuvre principalement auprès de l’industrie du granulat. Entrevue.

Par Steve Proulx

Q. Le nouveau Règlement sur les carrières et sablières est en vigueur depuis avril 2019. Quel a été son impact sur les entreprises de l’Industrie ?

R. Ce nouveau Règlement avait entre autres pour objectif de recadrer certaines activités existantes et d’autres qui le sont en vertu d’autorisations émises avant son avènement. Par exemple, sur la base de droits acquis, certaines exploitations n’avaient pas de réelles obligations en ce qui concerne les niveaux de bruit, à moins de faire l’objet de plaintes. Certaines nouvelles obligations ont été imposées à ces sites. Il en va de même en ce qui concerne la proximité des exploitations par rapport aux milieux humides et hydriques.



Dans les faits, outre certaines dispositions comme celle mentionnée précédemment, le nouveau Règlement ne pose pas trop de problèmes et prévoit même certains allègements par rapport à l’ancien. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce n’est pas que ce Règlement qui s’applique aux sites d’exploitation, mais un cadre réglementaire beaucoup plus large associé notamment à la mise en application du Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE).

Q. Pouvez-vous nous donner un exemple de ces nouvelles obligations ?

R. Actuellement, le Règlement prévoit qu’une carrière ne peut ouvrir à moins de 600 mètres d’une habitation sans avoir au préalable réalisé une étude de bruit démontrant le respect des normes en vigueur. Or, les carrières mises en activité avant le premier Règlement (soit avant le 17 août 1977) et qui sont exploitées en vertu d’un droit acquis n’avaient pas à démontrer leur conformité en regard des niveaux de bruit produits. Maintenant, on leur impose de s’assurer qu’elles respectent, elles aussi, le Règlement. Si on résume, on pourrait dire que le nouveau Règlement vise surtout à obliger les plus vieux sites à se conformer a posteriori aux critères qui s’appliquent actuellement aux nouveaux sites. Le hic, c’est que bien souvent, quand ces sites ont été mis en exploitation, il n’y avait pas un « chat » autour !

« Il me semble que la question du bon voisinage ne devrait pas relever seulement de l’exploitant. C’est un contrat social qui lie tous les intervenants concernés, y compris les municipalités. En fin de compte, les carrières et sablières doivent se plier aux règles de zonage et s’installer là où la municipalité les y autorise. Au moment où l’entreprise dépose sa demande, si le site est proche d’un secteur qui doit être pris en considération en ce qui concerne le bruit, l’entreprise a le devoir de démontrer qu’elle pourra se conformer aux règles. Mais que fait-on si, par la suite, la municipalité autorise des développements qui se rapprochent encore plus du site ? La situation change autour de lui, mais l’exploitant d’une carrière se retrouve seul face à des obligations qui peuvent engendrer des coûts importants, voire carrément mettre en péril ses activités. » — Gervais Simard

Avec les années, le développement a été fait de telle sorte que des habitations se sont rapprochées de ces sites. Et aujourd’hui, ce sont ces carrières et sablières qui doivent faire des pieds et des mains pour s’assujettir aux critères du gouvernement, alors que dans les faits, il y a peut-être une problématique d’aménagement du territoire qui ne relève pas nécessairement des seuls exploitants. »



Q. À votre avis, les municipalités qui autorisent les projets de développement auraient donc à prendre une partie de la responsabilité ?

R. Il me semble que la question du bon voisinage ne devrait pas relever seulement de l’exploitant. C’est un contrat social qui lie tous les intervenants concernés, y compris les municipalités. En fin de compte, les carrières et sablières doivent se plier aux règles de zonage et s’installer là où la municipalité les y autorise. Au moment où l’entreprise dépose sa demande, si le site est proche d’un secteur qui doit être pris en considération en ce qui concerne le bruit, l’entreprise a le devoir de démontrer qu’elle pourra se conformer aux règles. Mais que fait-on si, par la suite, la municipalité autorise des développements qui se rapprochent encore plus du site ? La situation change autour de lui, mais l’exploitant d’une carrière se retrouve seul face à des obligations qui peuvent engendrer des coûts importants, voire carrément mettre en péril ses activités.

« Avec les années, le développement a été fait de telle sorte que des habitations se sont rapprochées de ces sites. Et aujourd’hui, ce sont ces carrières et sablières qui doivent faire des pieds et des mains pour s’assujettir aux critères du gouvernement, alors que dans les faits, il y a peut-être une problématique d’aménagement du territoire qui ne relève pas nécessairement des seuls exploitants. » — Gervais Simard

Q. Quels sont les défis d’avenir pour l’industrie du granulat ?

R. Il est clair que les sites où les carrières et sablières peuvent s’installer sont de plus en plus difficiles à trouver, compte tenu de l’encadrement des différentes autorités, qu’il s’agisse des municipalités, du ministère de l’Environnement ou de la Commission de protection du territoire agricole du Québec — car les nouvelles carrières se retrouvent de plus en plus souvent en zone agricole. On a l’habitude de dire que les carrières et sablières sont un « mal nécessaire »; on peut bien continuer de leur compliquer la vie, et bien des gens seraient sans doute heureux de les voir disparaître, surtout ceux qui vivent à proximité… Sauf qu’à moins de trouver un produit magique pour remplacer le granulat, on va en avoir besoin ! Les routes, les égouts et les réseaux d’aqueducs n’existeraient pas sans le granulat.

Je crains que le cadre réglementaire actuel réduise le nombre de sites en exploitation au Québec, et la dispersion de ceux-ci sur le territoire. Les sites en milieu urbain sont déjà appelés à fermer à plus ou moins brève échéance, car la ressource sera épuisée tôt ou tard, et ils n’auront plus la possibilité de s’agrandir.

Les chantiers devront donc s’approvisionner auprès de sites qui seront nécessairement plus éloignés. Inévitablement, cela aura un effet sur le coût de transport du granulat, ce qui mettra une pression à la hausse sur la facture totale des chantiers, des routes, des infrastructures, etc. C’est sans compter les effets négatifs associés au transport, comme les émissions de gaz à effet de serre, les nuisances, la dégradation des routes, etc.

L’idée n’est pas de dire que cette industrie devrait fonctionner comme autrefois, mais je pense qu’il faudrait une prise de conscience collective. On a besoin de cette industrie. Donnons-lui les moyens de faire en sorte qu’elle puisse continuer d’exister. ■