MAGAZINE CONSTAS

Entretien avec Geneviève Guilbault, vice-première ministre et ministre des Transports et de la Mobilité durable

La mobilité durable en priorité

Grand entretien : Constas au bureau de Geneviève Guilbault

« Il ne faut pas oublier les mots “mobilité durable”, note d’emblée Geneviève Guilbault. Je tenais à ce qu’on les ajoute, parce que c’est l’angle sur lequel je vais aborder ce ministère, et non seulement moi, mais tous ceux qui me succéderont à ce poste. »

Geneviève Guilbault a été élue députée de Louis-Hébert, le 2 octobre 2017. Réélue à deux reprises, vice-première ministre depuis le 20 octobre 2018, ministre de la Sécurité publique du 18 octobre 2018 au 20 octobre 2022 et, depuis le 20 octobre 2022, ministre des Transports et de la Mobilité durable, ce ne sont là que quelques-uns des postes de prestige occupés par cette actrice majeure de la scène politique provinciale. Elle a bien voulu nous accorder une entrevue sur les enjeux de son nouveau ministère.

Par Jean Brindamour

Geneviève Guilbaut en entretien avec notre journaliste à son bureau de Québec. CR : Magazine Constas

 

Q/ Madame la vice-première ministre, vous êtes ministre des Transports depuis peu. Avez-vous eu le temps de faire le point sur votre ministère ? Comment résumeriez-vous les principaux défis des prochaines années au MTQ et ses grandes orientations ? Je m’aperçois que je vous pose une grosse question !

R / Oui. C’est tellement vaste ce ministère des Transports et de la Mobilité durable. Il ne faut pas oublier les mots « mobilité durable ». Je tenais à ce qu’on les ajoute (1) », parce que c’est l’angle sur lequel je vais aborder ce ministère, et non seulement moi, mais tous ceux qui me succéderont à ce poste. On arrive en 2023. On n’a pas le choix d’en faire une priorité. Il y avait déjà une politique de mobilité durable quand je suis arrivée, une politique qui sera en cours jusqu’en 2030. Mais au-delà des titres, des noms et des apparences, la notion de mobilité durable est devenue incontournable : elle teinte, en réalité, à peu près tout ce qu’on fait au MTQ, incluant la voirie. Dans les chantiers routiers aussi, on essaye le plus possible d’être carboneutre. Une carboneutralité complète en 2050 est un objectif de notre gouvernement. Il est donc partagé par tous mes collègues, mais ici, aux Transports, on doit jouer une part majeure dans cette lutte contre les changements climatiques. Je le vois comme une opportunité : une occasion extraordinaire en matière de transition énergétique et d’électrification de nos transports.



« Pour le ferroviaire, le projet qui me vient spontanément à l’esprit, c’est le train de Gaspé. De Matane à Caplan, il est déjà fonctionnel, mais on est train de réhabiliter le tronçon de Caplan à Port-Daniel–Gascons. » — Geneviève Guilbault

Pour résumer nos grandes orientations, je vais commencer avec le maritime, parce que c’est probablement le mode de transport le plus durable, le plus « vert » qu’on a. On a mis sur pied notre stratégie « Avantage Saint-Laurent » dans laquelle on a investi près d’un milliard de dollars. On parle de 12 mesures. Il reste encore de l’argent de disponible pour certaines d’entre elles. J’ai déjà rencontré plusieurs intervenants du milieu maritime très intéressés par les projets en cours, notamment par celui du corridor économique intelligent « Québec-Montréal-Saguenay ». Pour le ferroviaire, le projet qui me vient spontanément à l’esprit, c’est le train de Gaspé. De Matane à Caplan, il est déjà fonctionnel, mais on est train de réhabiliter le tronçon de Caplan à Port-Daniel–Gascons. En termes de transport des marchandises, c’est très important, mais aussi en termes de connexion avec les régions, de transport interurbain, de capacité de déplacement pour les marchandises ou les personnes : c’est un apport considérable au développement économique et à la lutte aux changements climatiques pour le ministère de la Mobilité durable. Vous voyez, je viens de l’appeler le ministère de la Mobilité durable ! J’avais proposé qu’il prenne ce nom. Mais on s’est dit qu’on gardera un temps les mots « transports » avec « mobilité durable ». La force de l’habitude. Mais je crois qu’à terme, ce ministère portera uniquement le nom de « mobilité durable ».

Chemin de fer de la Gaspésie. On y voit des travaux pour la réhabilitation du pont enjambant la petite rivière Port-Daniel dans le tronçon 2, dans la municipalité de Port-Daniel–Gascons. CR: Ministère des Transports et de la Mobilité durable

 

Q / Et la voirie ?

R / Le maintien et la pérennité de nos actifs est un de nos grands enjeux. Le Ministère possède 43 % des immobilisations publics, du parc public. Et 60 % de nos structures ont été construites dans les années 1960-1970.



Q / Avec l’inflation et les coûts supplémentaires qu’elle entraîne, le Québec aura-t-il les ressources suffisantes pour à la fois entretenir ses actifs d’infrastructures et continuer d’investir dans de nouvelles infrastructures ?

R / Ce sera un véritable défi. Nous, aux Transports, on est un gros client du PQI [Plan québécois des infrastructures], avec la Santé et l’Éducation. Dans la dernière programmation, on avait annoncé pour 2022-2024, 6,77 milliards $ pour la voirie, le ferroviaire, le maritime. Le PQI a tout le temps augmenté. Et une bonne part du PQI va aux Transports. On a un gros enjeu de maintien des actifs que l’inflation actuelle ne fait qu’aggraver. Éventuellement cette inflation se stabilisera, mais le déficit de maintien des infrastructures demeurera.

 

Tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Vue des travaux actuels au cœur de l’ouvrage. CR: Ministère des Transports et de la Mobilité durable

 

Q / Est-ce qu’on a trop tardé pour le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine ?

R / C’est difficile à dire. Au départ, l’on pensait pouvoir simplement remplacer les panneaux à l’intérieur du tunnel, et en faisant les analyses cet été, on s’est aperçu que ce n’était pas possible et qu’il fallait carrément rebétonner l’intérieur, c’est-à-dire, en pratique, construire un nouveau tunnel à l’intérieur du tunnel actuel : ce sont des coûts supplémentaires et des travaux plus complexes qui nous ont obligés à fermer une voie de plus que ce qu’on avait prévu.

Q / Il y a deux grands projets de tramway dans la province : celui de Québec et celui de Gatineau. Quel rôle joue le MTQ dans ces deux projets ?

R / Ce sont deux projets différents. Les manières de procéder ne sont pas toutes les mêmes dans nos grands projets : le REM de l’Ouest, c’est la Caisse de dépôt, le REM de l’Est, on l’a ramené à l’ARTM; le tramway de Québec, c’est la Ville qui le gère. Le projet de loi 26 de mon prédécesseur a donné à la Ville de Québec la possibilité de gérer son projet elle-même plutôt que ce soit le RTC [Réseau de transport de la Capitale]. Mais le gouvernement du Québec étant le principal partenaire financier du projet, on est très présent, on participe aux travaux, on fait partie, d’une certaine façon, de la structure de gouvernance. On est au courant de toutes les étapes, de toutes les décisions. On doit donner certaines autorisations pour que le projet passe d’une étape à l’autre. Le gouvernement a donc un rôle majeur, probablement le rôle principal après la Ville. On a mis beaucoup d’argent dans ce projet-là : 1,8 milliard $ dans le premier budget. Et les coûts depuis ont augmenté jusqu’à 3,9 milliard $. La Ville vient d’ouvrir ses enveloppes pour l’appel d’offres du matériel roulant; pour les infrastructures, ce sera fait en 2023. On va bientôt connaître le coût final. C’est un beau projet pour Québec.

« Le gouvernement a un rôle majeur, probablement le rôle principal après la Ville. » — Geneviève Guilbault, sur le projet de tramway de la Ville de Québec

Le tramway de Gatineau est un cas différent : le projet est beaucoup moins avancé. Il y a eu deux études d’opportunité (la deuxième en complément par la STO [Société de transport de l’Outaouais]). La structure de la gouvernance comprend la Ville de Gatineau, la STO, nous, mais aussi la Commission de la capitale nationale fédérale, parce que le projet inclut une partie du parcours à Ottawa.



Q / Est-ce normal de n’avoir qu’un seul soumissionnaire pour un grand projet comme celui du tramway à Québec ?

R / C’est un problème. Ça finit toujours par être les mêmes joueurs qui font les projets de transport collectif. On n’en a pas tant que ça au Québec. Ça demeure relativement nouveau ces grands projets de transport collectif par rapport au routier. On a eu le métro de Montréal dans le temps, mais là on a les REM, la ligne bleue qui est en cours, le tramway…

Q / Ça devrait être tentant de soumissionner pour ces grands projets, non ? Pourquoi si peu de soumissionnaires ?

R / C’est une bonne question. Rappelez-vous de l’appel d’offres pour le tramway de Québec sous le précédent maire Régis Labeaume. Au départ, le matériel roulant et les infrastructures étaient jumelés; Québec n’a reçu qu’une seule soumission. L’appel d’offres a alors été divisé en espérant avoir plus de soumissionnaires : même résultat. Avec un nombre concentré et limité de joueurs, ça entraîne un défi de négociation et on peut difficilement éviter des coûts supplémentaires. C’est un enjeu pour les prochaines années.

Q / À Québec, le troisième lien a fait beaucoup jaser lors des dernières élections. C’est un projet populaire dans la région, plus que celui du tramway. Mais certains groupes environnementalistes se plaignent que les études manquent sur le besoin et les impacts du projet. Pouvez-vous répondre à ces critiques ?

« Si on veut un troisième lien fonctionnel dans les années 2030, il faut commencer tout de suite. » — Geneviève Guilbault

R / L’étude d’avant-projet est en cours. Ces fameuses études qu’on nous réclame, on s’est engagé à les rendre publiques en 2023 dès qu’elles seront disponibles. Il y a déjà un certain nombre de contrats qui ont été octroyés à des firmes, entre autres pour des études d’impact ainsi que pour l’étude d’opportunité. Mais, comme vous le dites, c’est un projet populaire dans la région. Ici, à Québec, dans la capitale nationale, et, sur la rive sud, dans Chaudière-Appalaches, ça fait longtemps que les gens sont pris dans le trafic avec les deux ponts. Et puis, le pont Pierre-Laporte vieillit et exige souvent des réparations, ce qui peut signifier une voie de moins ou même une fermeture temporaire.

Les gros projets d’infrastructures, comme vous le savez, ça prend du temps. Il faut les planifier; il faut les voir venir. Si l’on s’aperçoit en 2041 que le pont achève sa vie utile, on sera incapable d’en construire un autre, un ou deux ans plus tard. Ça ne fonctionne pas comme ça. Si on veut un troisième lien fonctionnel dans les années 2030, il faut commencer tout de suite.



Q / Quelques mots sur la santé et sécurité aux Transports ?

R / On a nos politiques de santé et sécurité. Le hasard fait que j’ai rencontré dernièrement les représentants des associations des signaleurs routiers. Le rôle des signaleurs routiers, très important pour la sécurité des chantiers, comporte des risques. On travaille avec les CNESST pour pouvoir établir les meilleures pratiques. Un comité a été mis en place avec les autres grands donneurs d’ouvrage au Québec, avec les signaleurs routiers, avec la SAAQ, avec la Sûreté du Québec. Tout le monde veut des chantiers le plus sécuritaire possible. On collabore entre nous et on regarde ce qui se fait ailleurs. Je peux donner l’exemple d’un nouvel outil, on l’appelle, si je me souviens bien, le camion-barrière, grâce auquel les signaleurs n’ont plus besoin, dans les chantiers où la vitesse permise est située au-dessus de 70 km, de faire eux-mêmes la sécurité de la circulation : un outil a donc été mis en place qui peut être contrôlé à distance. Plusieurs mesures ont été prises : on a augmenté les amendes pour les contrevenants, une entente a été conclue avec la Sûreté du Québec pour un certain nombre d’heures qu’elle devra consacrer à la surveillance des chantiers, sans oublier les campagnes de sensibilisation de la SAAQ, qui relève de mon ministère. Toutes ces mesures font partie du plan d’action 2020-2023 pour la SST sur les chantiers, un plan qui va se terminer l’année prochaine. On en est train de discuter de ce que sera le plan d’action 2023-2026. Mais on peut avoir les meilleures pratiques, mettre en place de bonnes règles et de la signalisation de qualité, imposer des amendes plus sévères, c’est une responsabilité qui doit être partagée avec toute la population. Quand l’été arrive et qu’il y a partout des cônes orange, avec les ralentissements que ça entraîne, on est tenté de s’impatienter. Moi, je fais appel aux gens. Il ne faut pas oublier que ce sont des êtres vivants qui travaillent là. Soyons prudents et faisons attention à notre monde.

Q / Et la question environnementale au MTQ ?

R / Tous les ministères collaborent afin de réduire les GES et atteindre les objectifs de notre Plan pour une économie verte 2030 (PEV). On a des cibles claires d’électrification pour 2030 : 55% de nos autobus urbains, 65% de nos autobus scolaires, 100% de notre flotte de véhicules légers. On essaie aussi d’avoir des véhicules hybrides sur les chantiers. Nos politiques environnementales ont de multiples facettes. Un consortium n’opère pas un chantier pour nous sans que l’on ait négocié une entente qui stipule de limiter, réduire ou compenser les GES. Notre souhait est d’avoir des chantiers carboneutres. Quand c’est impossible de tout éliminer à la source — on ne peut pas avoir seulement des véhicules hybrides pour le moment— on compense par la plantation d’arbres : l’échangeur Turcot en est un bon exemple. Il y a aussi la bourse du carbone dont le Québec fait partie. On prend l’environnement très au sérieux. ■

…………………………………

1. Sous le premier mandat du gouvernement Legault, ce ministère a porté le nom de « ministère des Transports »; c’est le 22 octobre dernier, au début du deuxième mandat, avec la nomination de Geneviève Guilbault, qu’il a pris le nom de ministère des Transports et de la Mobilité durable.