MAGAZINE CONSTAS

Le Projet de loi n° 108 sous la loupe

Entrevue avec Me Nicolas Gosselin*

Chronique juridique / Intégrité

Le principe du projet de loi n° 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics (AMP), a été adopté par l’Assemblée nationale le 24 novembre 2016. Ce projet de loi est accueilli d’un côté avec un brin de scepticisme et de l’autre avec l’espoir de redonner confiance à l’industrie. Entrevue sous la loupe du projet de loi n° 108 avec Nicolas Gosselin, avocat spécialisé en droit de la construction de la firme BCF.

Par Magalie Hurtubise

«Le projet de loi n° 108 crée l’Autorité des marchés publics, un organisme qui reprend notamment les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers en matière de contrats publics. Il y a une volonté claire du législateur de créer une entité spécialisée pour réglementer les contrats publics», explique d’emblée Me Nicolas Gosselin.

Ce projet de loi confère des pouvoirs assez larges en matière d’enquête à l’AMP qui peut, dans le cas du ministère des Transports (MTQ), suspendre l’exécution de contrats publics ou résilier un contrat si elle observe des irrégularités dans la gestion contractuelle et ce, même en l’absence d’une plainte.

En plus de posséder d’importants pouvoirs de vérification et d’enquête, l’AMP instaure également un mécanisme de plainte pour les entrepreneurs ou les tierces personnes qui estiment ne pas avoir eu droit à un traitement équitable dans le processus d’adjudication d’un contrat public.

«Les pratiques de collusion et de corruption mises en lumières lors de la commission Charbonneau ont installé un climat de méfiance, autant du public vis-à-vis de l’industrie que des entrepreneurs vis-à-vis des organismes publics. Il sera intéressant de voir comment l’AMP pourra redonner confiance aux entrepreneurs via un tel système de plainte », note Me Gosselin.

Avant le projet de loi n° 108, il n’existait pas de système de plainte permettant de contester le processus d’appel d’offres autre qu’en passant par les canaux du système judiciaire, une option pour le moins fastidieuse.
Désormais, le mécanisme de plainte mis en place par le projet de loi fait en sorte qu’une plainte peut être formulée à l’organisme concerné, puis révisée par l’AMP au besoin. «Toutefois, en raison des délais très courts qui sont prévus dans le projet de loi, il faut se questionner à savoir si les entrepreneurs seront vraiment en mesure d’utiliser ce mécanisme pour porter plainte», mentionne l’avocat spécialisé en droit de la construction.
Il apparaît ainsi indispensable aux yeux de Me Gosselin de trouver un équilibre entre la nécessité de ne pas paralyser ou retarder indûment l’octroi d’un contrat et celle de mettre en place un mécanisme de plainte efficace.

La dualité qualité/coût

Le projet de loi no 108 prévoit aussi que l’AMP tienne et rende accessible aux organismes publics un sommaire des évaluations du rendement des entrepreneurs, pour permettre l’établissement d’une cote de rendement. Cette cote pourrait notamment être utilisée aux fins de l’évaluation de la qualité d’une soumission. Toutefois, il n’est pas mentionné, dans la version actuelle du projet de loi, ce que le législateur entend par «cote de rendement», ni sur quels critères les évaluations seront basées.
«Cela signifie que les entrepreneurs vont être évalués de plus en plus sur la qualité de leur travail, de leurs soumissions et de l’exécution de leurs travaux», indique Me Gosselin.

Or, et c’est là que le bât blesse, le régime actuel est non pas fondé sur la qualité de la soumission, mais sur le principe de la plus basse soumission conforme. Il est donc tout à fait légitime, de l’avis de Me Gosselin, de se questionner sur la manière dont évoluera l’utilisation du critère de la «qualité» dans ce contexte.

De plus, dans le projet de loi actuel, il n’existe aucun mécanisme formel de révision permettant aux entrepreneurs de contester l’appréciation de leur cote de rendement. Cette possibilité de même que la confection des grilles semblent laissées à la discrétion des organismes publics. «Cette évaluation qualitative soulève une certaine appréhension chez les entrepreneurs qui craignent que le système d’évaluation soit un peu trop discrétionnaire et qu’ils fassent l’objet d’un pointage inadéquat», souligne Me Gosselin.

Des recommandations ont d’ailleurs été formulées en ce sens par l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ) dans le dépôt de son mémoire lors des consultations particulières tenues par l’Assemblée nationale en septembre dernier.

L’application concrète

L’Autorité des marchés publics, selon le projet de loi n° 108, a compétence sur les contrats des organismes publics prévus aux articles 4 et 7 de la Loi sur les contrats des organismes publics. Les municipalités ne sont toutefois pas visées par ces articles et donc, ne font pas partie du champ d’application de l’AMP. De l’avis de Me Gosselin et de l’ACRGTQ, les municipalités sont d’importants donneurs d’ouvrages qui doivent être inclus dans le projet de loi. D’ailleurs, lors des consultations, le gouvernement a confirmé par voie de communiqué son intention de soumettre les contrats des municipalités québécoises aux pouvoirs de surveillance de l’AMP.

L’Autorité des marchés publics va-t-elle contribuer à l’allègement du système? Me Nicolas Gosselin se montre optimiste: «L’une des principales critiques en ce moment est qu’il est complexe pour un entrepreneur de s’y retrouver à travers toutes les subtilités et les normes applicables. Le fait de devoir se conformer aux nouvelles dispositions demandera sans doute un temps d’adaptation, mais il ne faut pas oublier que le projet de loi donne des outils à l’AMP pour favoriser l’uniformité et la transparence dans les pratiques».

Au moment d’écrire ces lignes, il est encore trop tôt pour s’avancer sur les répercussions du projet de loi n° 108 puisque toutes les étapes législatives n’ont pas encore été franchies avant l’adoption et la sanction du projet de loi. •


* Me Nicolas Gosselin est associé chez BCF, Avocats d’affaires