MAGAZINE CONSTAS

La protection contractuelle des sous-traitants

Illusion ou réalité ?

Les sous-traitants et fournisseurs sont-ils véritablement protégés par les clauses contractuelles permettant au donneur d’ouvrage d’effectuer une retenue des sommes qu’il doit à l’entrepreneur général si celui-ci ne peut fournir les quittances de tous ses sous-traitants ?

Par Me Nicolas Gagnon*

De nombreux contrats de construction, avec des donneurs d’ouvrage publics, prévoient le droit, et parfois l’obligation, pour le donneur d’ouvrage de retenir un paiement d’acompte mensuel autrement dû à l’entrepreneur général si celui-ci ne peut lui fournir les quittances de ses fournisseurs et sous-traitants (les « sous-traitants ») pour les sommes dues à ces derniers suivant le paiement d’un acompte mensuel précédent. Plus particulièrement, le Cahier des charges et devis généraux (CCDG), qui s’applique aux travaux effectués pour le MTQ, prévoyait jusqu’en 2012 et 2013, à son article 8.5 traitant de l’estimation provisoire et de son paiement, dans sa portion pertinente au débat, que : « Peu importe la forme des garanties fournies par l’entrepreneur, lorsque le Ministère reçoit un avis écrit d’une personne protégée par la garantie pour gages, matériaux et services dénonçant qu’elle n’a pas été entièrement payée pour des travaux effectués conformément à son contrat et visés par un paiement antérieur, l’entrepreneur doit, pour obtenir le paiement mensuel ou final complet des travaux exécutés, remettre au surveillant une quittance ou une preuve de paiement attestant qu’il s’est acquitté de ses obligations pour gages, matériaux et services. À défaut de quoi, le Ministère retient, des montants dus à l’entrepreneur, les sommes nécessaires pour couvrir cette dénonciation. »

Dans un arrêt rendu au mois de juin 2015 dans l’affaire Jevco c. PGQ, la Cour d’appel a conclu que l’article 8.5 du CCDG constituait une stipulation pour autrui et qu’en conséquence, le MTQ s’est vu obligé de payer les sous-traitants qui avaient dûment dénoncé leur créance impayée, et que ceux-ci bénéficiaient donc d’un recours direct contre le MTQ.

On retrouve des clauses similaires dans de nombreux contrats publics et une telle protection serait évidemment avantageuse pour les sous-traitants, notamment dans le cadre de contrats dont l’ouvrage ne permet pas la publication d’hypothèque légale de la construction, comme c’est le cas de la plupart des travaux d’infrastructure et de génie civil pour des organismes publics.

Une fausse sécurité

Mais les sous-traitants sont-ils vraiment protégés par une telle clause? Et une telle clause constitue-t-elle véritablement une « stipulation pour autrui » ?

Une analyse attentive de la jurisprudence sur laquelle reposent les conclusions de la Cour d’appel dans l’affaire Jevco nous porte à croire que cet arrêt procure une fausse sécurité aux sous-traitants. En effet, la Cour d’appel mentionne dans cet arrêt que la jurisprudence reconnaît l’existence de stipulations pour autrui dans le cadre de contrats de construction, et cite trois décisions à cet effet rendues par cette même Cour d’appel. Or, ces trois décisions ne concernaient pas la portée d’une clause semblable à l’article 8.5 du CCDG, lequel a été retiré du CCDG en 2014, mais plutôt une clause traitant du droit du donneur d’ouvrage de payer les sous-traitants directement à même une garantie de paiement des gages, matériaux et services que doit lui remettre l’entrepreneur.

Cette même Cour d’appel dans l’affaire Commission scolaire des Patriotes c. Tapico, en 2003, avait confirmé qu’une clause semblable à l’article 8.5 du CCDG ne constituait pas une stipulation pour autrui, et que si le donneur d’ouvrage avait la faculté d’exiger de l’entrepreneur des quittances de ses sous-traitants, il n’en avait pas l’obligation, en l’absence d’une stipulation pour autrui en faveur des sous-traitants. Le donneur d’ouvrage pouvait donc abandonner la protection que lui conférait le contrat principal sans pour autant commettre une faute susceptible d’engager sa responsabilité extracontractuelle envers un sous-traitant.

Il semble donc qu’il n’est qu’une question de temps avant que la jurisprudence s’ajuste et confirme, comme l’a fait la Cour d’appel en 2003, que les sous-traitants ne peuvent réclamer paiement directement d’un donneur d’ouvrage aux termes d’une clause semblable à l’article 8.5 du CCDG. Les sous-traitants auront sans doute intérêt à s’assurer de profiter des autres mécanismes de protection de leurs créances qui sont à leur disposition.


* Me Nicolas Gagnon est associé chez Lavery, Montréal