La priorité régionale d’embauche contrevient aux chartes
Une décision du Tribunal administratif du travail
Chronique juridique AVIS DE COUR
Le 9 août dernier, le juge administratif Raymond Gagnon du Tribunal administratif du travail a rendu une décision dans un dossier concernant la mobilité des travailleurs de l’industrie de la construction. En effet, le Tribunal avait été saisi d’une demande de l’Association de la construction du Québec (I’ACQ) ayant pour objet de mettre en question la constitutionnalité des règles relatives à l’embauche, à la préférence d’emploi et à la priorité d’emploi, connues comme « la mobilité » des salariés dans l’industrie de la construction.
Par Me Jean-François Belisle *
Ainsi, le Tribunal administratif du travail devait déterminer si les articles 35 et 38 du Règlement sur l’embauche et la mobilité des salariés dans l’industrie de la construction et les clauses de conventions collectives qui en reprennent le libellé portaient atteinte aux droits fondamentaux garantis par les chartes notamment le droit à la liberté et au respect de la vie privée. Le Tribunal considère que le choix d’établir son domicile dans une région administrative ne devrait pas normalement avoir d’impact à leur accès au travail. Pour l’employeur, le lieu de résidence du travailleur ne devrait pas servir de fondement d’embaucher ou non le travailleur. Par ailleurs, le Tribunal ajoute que l’atteinte ne peut se justifier en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Le Tribunal déclare invalides et inopérants les articles 35 et 38 du Règlement sur l’embauche et la mobilité des salariés dans l’industrie de la construction.
En conséquence, le Tribunal déclare invalides et inopérants les articles 35 et 38 du Règlement sur l’embauche et la mobilité des salariés dans l’industrie de la construction et non écrite les clauses 15.01 et 15.03 des conventions collectives du secteur institutionnel et commercial ainsi que celle du secteur industriel. Par ailleurs, il est important de noter que le juge suspend sa décision jusqu’au renouvellement des conventions collectives, lesquelles expirent le 30 avril 2021. C’est donc dire que le statu quo perdure pour le moment.
Spécificité de la convention du secteur génie civil et voirie
Contrairement aux conventions collectives des secteurs institutionnel/commercial et industriel qui comportent pour plusieurs métiers des ratios de salariés préférentiels, la convention du secteur génie civil et voirie prévoit déjà la mobilité provinciale des salariés de la plupart des métiers et ce, peu importe le statut de salarié préférentiel. Pour plus de détail, nous vous référons à la liste prévue à la clause 15.12 de la convention et aux exceptions qui y sont mentionnées. La décision ne changera donc pas les règles en ce qui concerne ces salariés. Là où la décision du juge administratif Gagnon aura un impact dans le secteur génie civil et voirie, c’est pour les métiers et occupations qui ne bénéficient pas de la mobilité provinciale. Pour ces derniers le principe de priorité régionale d’embauche demeure jusqu’à l’entrée en vigueur des prochaines conventions collectives.
Position de l’ACRGTQ
Pour sa part, l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ) a toujours recommandé à ses membres d’embaucher localement la main-d’œuvre venant compléter le noyau de travailleurs « réguliers » de son entreprise. Malgré l’existence des clauses de mobilité provinciale, en tout temps, l’ACRGTQ et les partenaires de l’industrie de la construction ont trouvé les moyens de concilier les enjeux socio-économiques des régions ressources et les droits de gérance des entreprises tout en respectant les droits fondamentaux garantis par les chartes.
Il ne faut pas perdre de vue que les grands chantiers régionaux sont par essence « temporaires ». Au moment de leur fermeture, il peut être avantageux pour un salarié de pouvoir aller gagner sa vie à l’extérieur de la région de son domicile. De plus, l’ensemble des conventions collectives de l’industrie de la construction contient des clauses relatives aux frais de déplacement qui feront en sorte qu’un employeur trouvera un avantage économique palpable à embaucher de la main-d’œuvre locale.
Enfin, il faut savoir que cette décision fait l’objet d’une demande de pourvoi devant la Cour supérieure, déposée le 26 août dernier par la FTQ Construction et le Conseil provincial (Inter).
*Me Jean-François Belisle est avocat à l’ACRGTQ