MAGAZINE CONSTAS

Construction : l’innovation comme enjeu

Rencontre avec Pierre Boucher de l'ACC

Pierre Boucher a été chef des opérations à l’Association canadienne de la construction (ACC). Depuis le 4 août 2014, il occupe le poste de président fondateur de l’institut Innovations en construction Canada (InnovationsCC ou ICC). En tant que premier président d’ICC, son objectif, appuyé par un conseil d’administration et par tous les membres d’ICC, est de contribuer à instaurer une nouvelle culture de recherche et d’innovation dans l’industrie canadienne de la construction. Nous l’avons rencontré pour discuter de ces enjeux.

Par Jean Brindamour

« En 2009, raconte Pierre Boucher, j’étais encore à l’ACC. On discutait beaucoup d’innovation et on travaillait à faire changer les choses dans l’Industrie. On a mandaté un comité pour une recherche sur le sujet. On a dû constater l’écart entre le Canada et les autres pays. »

Pierre Boucher, président fondateur d’InnovationsCC

« L’ACC, poursuit-il, a créé un comité, sous la présidence de Don Whitmore, de Vector Construction, chargé d’étudier la possibilité de créer un institut consacré au défi de l’innovation dans la construction. On a identifié des modèles, des façons de faire. On est arrivé avec un plan d’affaires. On a eu une réunion à La Malbaie. Il nous était demandé de recueillir un montant égal à celui donné par l’ACC. On a eu le double. »

Et l’institut a été créé. Il est maintenant entièrement indépendant de l’ACC quoiqu’il travaille en étroite collaboration avec elle. « On est un institut, pas une association, signale Pierre Boucher. On ne cherche pas un membership – même si, dans le cadre de nos statuts, on les appelle des membres –, mais une expertise et des fonds. Il faut atteindre une masse critique pour pouvoir faire un travail global. Des instituts similaires au nôtre existent ailleurs dans le monde; ici, ça existe dans d’autres secteurs, le bois par exemple. On a créé un écosystème, continue le président, avec toutes les parties prenantes de l’Industrie. On ne travaille pas en comités, mais en projets. Jeudi prochain, on va à Edmonton, rencontrer des représentants de la Ville d’Edmonton, de la Ville de Calgary et d’Alberta Infrastructure, afin de signer une entente de partenariat avec eux.

« On assiste à des grands changements à cause de la globalisation des marchés. Des firmes de l’extérieur viennent ici et sont mieux équipées. Ça met de la pression. Ça excite aussi la curiosité. On ne peut plus s’en tenir aux vieilles routines. Si on ne s’adapte pas, on ne survivra pas.»

On va travailler en particulier avec les responsables des appels d’offres. On collabore avec le fédéral depuis avril 2016. La semaine dernière, on a passé trois jours à rencontrer des conseillers politiques, des sous-ministres, divers responsables. Ils sont enthousiastes. Le gouvernement nous demande de l’aide pour répondre aux défis que posent les « Smart Cities », le développement durable, la globalisation. Les entreprises aussi veulent des outils pour mieux faire. Il faut un meilleur rendement de l’industrie. Mais il ne faut pas s’en tenir à des généralités sur la productivité. Parler de productivité en général ne suffit pas. Il faut bien identifier tous les éléments qui ont un impact sur la productivité. L’innovation en est un. Il y a aussi la qualité de la main-d’œuvre, etc. Il faut traiter non de la productivité, mais des éléments qui la composent. Sinon, on reste en surface. »

« L’apport d’un organisme neutre et indépendant comme le nôtre est apprécié, ajoute l’expert. On essaie de bien délimiter les problèmes et on va chercher des façons innovatrices de faire bouger les choses. On veut en arriver à donner à cette industrie tous les outils qui lui permettraient de mieux performer. Il y a trop d’embûches présentement. Parmi celles-ci, on a identifié le système d’appels d’offres. Il faut le moderniser. Lui donner plus d’agilité. Les maîtres d’œuvre ne peuvent innover sans risquer d’être disqualifiés. Il y a aussi un problème de fragmentation. Il y a un grand nombre de métiers, mais un déficit de souplesse. Ça commence avec le donneur d’ouvrage. On ne donne pas assez de temps au projet lui-même et trop à l’appel d’offres. De là des conceptions incomplètes. »

Source : Éclairer l’avenir : Bulletin de rendement des infrastructures canadiennes © 2016.

 

Une industrie en pleine évolution

Pour le président d’ICC, le temps du vase clos est terminé pour l’Industrie. « Une étude récente du Forum économique mondiale montre les failles de l’économie canadienne en général : nous sommes 15e pour la compétitivité des entreprises, 17e pour la disponibilité du capital de risque, 23e pour les Big Data (les succès des uns ne profitent pas aux autres par manque de données), 23e encore pour la qualité des infrastructures, 26e pour la capacité d’innovation, 27e pour les dépenses en recherche et développement, 30e pour l’utilisation des nouvelles technologies. Si on faisait ce classement pour le seul secteur de la construction, ce serait probablement encore pire. »

« On assiste à des grands changements à cause de la globalisation des marchés, souligne encore Pierre Boucher. Des firmes de l’extérieur viennent ici et sont mieux équipées. Ça met de la pression. Ça excite aussi la curiosité. On ne peut plus s’en tenir aux vieilles routines. La concurrence vient maintenant des pays émergents. Si on ne s’adapte pas, on ne survivra pas. Il faut se démarquer. Le dernier rapport de l’ACC réalisé en collaboration avec la Fédération canadienne des municipalités (FCM) démontre que le coût de remplacement des infrastructures municipales essentielles serait de 80 000$ par ménage et que ces infrastructures ont été mal entretenues. On ne peut plus continuer avec le vieux système du plus bas soumissionnaire. Il faut une gestion qui considère le cycle de vie et qui prend tous les coûts en considération. Les plus performants au Canada au niveau de la certification LEED, c’est Manitoba Hydro. Mais même eux seraient en-dessous des normes européennes. Ce n’est pas parce que notre industrie n’est pas mature. Ce n’est pas parce que nous manquons d’expertise ou de compétence. Mais on a créé des systèmes qui manquent d’intégration. Et ça commence au niveau du maître d’ouvrage. »

Pour remédier à ces manques, l’ICC compte s’impliquer dans des projets précommerciaux innovateurs ainsi que dans des projets de démonstration susceptibles d’établir des pratiques exemplaires qui serviront à l’ensemble de l’Industrie. •


À retenir / Pour le président d’ICC, le temps du vase clos est terminé pour l’Industrie. « Une étude récente du Forum économique mondiale montre les failles de l’économie canadienne en général : nous sommes 15e pour la compétitivité des entreprises, 17e pour la disponibilité du capital de risque, 23e pour les Big Data, 23e encore pour la qualité des infrastructures, 26e pour la capacité d’innovation, 27e pour les dépenses en recherche et développement, 30e pour l’utilisation des nouvelles technologies. Si on faisait ce classement pour le seul secteur de la construction, ce serait probablement encore pire. »