Répondre par l’innovation aux défis du Québec
Entretien avec Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation
« On offre aux entrepreneurs la possibilité de se faire accompagner par des consultants qualifiés pour les aider à comprendre quel chemin numérique ils doivent suivre pour parvenir à améliorer leur efficacité », explique le ministre.
Élu député de la circonscription de Terrebonne aux élections générales du 1er octobre 2018, Pierre Fitzgibbon est alors nommé par François Legault ministre de l’Économie et de l’Innovation, un poste stratégique qu’il occupe toujours. Dans le cadre du congrès annuel de l’ACRGTQ, le ministre a bien voulu répondre à nos questions.
Par Vicky Jobin*
Q. Nous sommes en pleine période de relance économique : quelles sont vos priorités pour les prochains mois ?
R. Il faut être à la fois très tactique et très stratégique. Tactique parce que, si l’on constate que des secteurs de l’économie sont extrêmement performants, d’autres, comme l’hébergement, le tourisme, la culture, la restauration, souffrent beaucoup; c’est pour cette raison qu’on a créé des programmes d’aide aux entreprises qui vont devoir se poursuivre encore un certain temps, même si on espère que ce ne soit pas trop longtemps. On souhaite évidemment qu’il y ait le moins de fermetures possibles et, ici, je touche du bois, parce qu’on a été choyé jusqu’à maintenant : le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ont mis en place des bons programmes, efficaces, qui ont répondu à l’enjeu tactique que j’évoquais.
Au niveau stratégique, il fallait relancer l’économie avec des projets porteurs. On a vu une période, qui a duré douze mois, où il y a eu un ralentissement des investissements. La première chose qu’on a faite, au moment de la mise à jour économique de novembre 2020, est d’allouer un montant quand même important de 167 M$ pour relancer des chantiers – on parle de l’aluminium, de l’électrification des transports, de l’aéronautique, des mines et des forêts, donc de dossiers stratégiques dans lesquels il faut intervenir pour stimuler l’investissement, et je pense que les choses vont déjà bon train.
Il fallait aussi appuyer les centres-villes. On a alloué 175 millions $ pour les centres-villes qui ont été affectés; je pense surtout à un centre-ville comme celui de Montréal qui a connu un véritable exode : ce ne sont pas seulement les restaurants qui ont été touchés, mais c’est l’écosystème au complet. Le développement régional est aussi au centre de nos préoccupations, ainsi que les exportations – notre balance commerciale est encore déficitaire; on a établi un programme pour y remédier –, et évidemment l’innovation, la raison principale de ma venue en politique. On a fait des progrès au Québec, on doit le reconnaître, mais il nous faut investir encore plus dans les entreprises en innovation, c’est la clé du succès.
Q. Vous abordez souvent, M. Fitzgibbon, le thème de l’innovation comme un vecteur pour rattraper le retard en productivité au Québec. Pouvez-vous nous expliquer davantage votre vision et comment elle va se transposer au secteur de la construction ?
R. On parle beaucoup des problèmes de pénurie de main-d’œuvre. Il y a une espèce de plafond de verre au Québec par rapport à cet enjeu. Il est clair qu’il faut bonifier l’adéquation entre l’éducation et les besoins de l’entreprise. M. Boulet s’occupe beaucoup de la question de la qualification de la main-d’œuvre : on a quand même 300 000 personnes qui ne travaillent pas présentement et 140 000 postes de disponible; ce ne sont pas des vases communicants, mais il faudrait qu’ils le soient un peu plus.
L’innovation va permettre de faire plus avec le même nombre de personnes. C’est très important : en termes de productivité, le Québec a un écart avec l’Ontario et avec les États-Unis. Donc, qu’est-ce qu’on fait ? Il faut un accompagnement financier, mais aussi un accompagnement humain. C’est pour ça que nous avons créé Accès entreprise Québec et qu’on a réformé Investissement Québec, pour être plus présent dans les régions. Il y a eu un excès de centralisations des décisions à Québec et à Montréal. On veut redonner une autonomie aux régions. Avec Investissement Québec régional, avec les MRC, avec les ressources qu’on va mettre dans Accès entreprise Québec, on étend la toile de fond au niveau humain. Le capital va suivre. On met beaucoup d’argent pour permettre aux entreprises de pouvoir se numériser et s’optimiser. On a lancé en mars dernier, vous vous en rappelez peut-être, l’Offensive de transformation numérique (budget de 130 M$). De quoi s’agit-il ? D’un accompagnement humain. On offre aux entrepreneurs la possibilité de se faire accompagner par des consultants qualifiés pour les aider à comprendre quel chemin numérique ils doivent suivre pour parvenir à améliorer leur efficacité. Dans le cas de la construction, on a octroyé une partie du 130 M$, 14 ou 15 M$, aux BIM, pour nous permettre de faire des diagnostics numériques. C’était déjà en cours, mais on a mis plus d’argent. Après il faudra aider financièrement les entreprises, via des prêts fort probablement.
Q. Sur le virage numérique, quel bilan faites-vous pour le secteur de la construction plus particulièrement ? Et comment peut-on accélérer ce virage ?
R. De mémoire, je pense qu’il y a eu environ 300 diagnostics numériques qui ont été faits depuis un an, un an et demi. On peut ajouter probablement 350 diagnostics avec le programme OTM [Offensive de transformation numérique]. Je crois que nous progressons. Ce qui motive les gens, c’est la possibilité de faire plus avec le même nombre de personnes et aussi de pouvoir gérer l’extrême complexité des chantiers actuels et des exigences des donneurs d’ouvrage. Il y a une pression énorme qui vient des donneurs d’ouvrage. On est conscient que plus les entreprises sont petites, plus elles ont besoin d’aide. Il faut s’assurer que, dans la chaîne d’approvisionnement, on ne perde pas nos petits joueurs.
« Il y a plusieurs chantiers qui touchent à la fois la construction et l’environnement : l’électrification des transports, la transformation des minerais, les batteries, le recyclage. Je m’attends à beaucoup de projets industriels majeurs au Québec et la construction au sens large aura un rôle majeur à jouer dans ces projets. » – Pierre Fitzgibbon
Q. Un autre projet dont il est beaucoup question actuellement est celui de la hausse des prix des matériaux. Est-ce que votre gouvernement compte s’impliquer pour trouver des solutions à cette situation ?
R. Un groupe travaille là-dessus avec le ministère des Forêts, le Conseil du trésor et les associations de la construction. C’est sûr qu’il faut être sensible à ce problème, mais faisons quand même attention. Des gens nous disent qu’il faudrait empêcher le bois d’œuvre de quitter le Québec. Une telle mesure irait à l’encontre de l’accord de libre-échange. On a travaillé fort pour s’assurer que, dans le cadre de cet accord, le bois d’œuvre soit relativement protégé. Le problème auquel on fait face est d’ordre macroéconomique : il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande. La demande du bois d’œuvre sera en hausse dans les prochains trois ans. C’est une bonne nouvelle pour une partie de l’Industrie, mais c’est une mauvaise nouvelle pour les consommateurs. Ultimement, les prix vont monter et je ne vois pas comment on pourrait y changer grand-chose. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’offre a diminué. Dans l’Ouest canadien, par exemple, il y a eu des problèmes avec les pins. Il y a une solution, mais qui n’est pas à court terme : optimiser nos opérations forestières et nos scieries pour produire plus de bois au cours de cette période et contribuer à rétablir un meilleur équilibre entre l’offre et la demande, ce qui freinera l’augmentation des prix. Mais on est pris dans des enjeux macroéconomiques auxquels il faut répondre, encore une fois, par l’innovation et par des entreprises plus performantes.
Q. Parlons d’environnement. Vous dites souvent que l’environnement va nourrir l’économie dans les prochaines années. Quelles sont les initiatives déployées par votre ministère pour aider le secteur de la construction dans le virage vert ?
R. On a annoncé, avec Investissement Québec, 350 M $ d’investissement dans les prochains trois à quatre ans pour s’assurer qu’on puisse équiper et outiller les entrepreneurs de tous les secteurs de l’économie, y compris la construction, pour qu’ils puissent prendre des mesures à l’intérieur de leur entreprise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). On a aussi obtenu des sommes du ministère de l’Environnement, du Fonds vert. Le ministre de l’Économie va au front avec l’entrepreneur pour qu’il puisse continuellement innover dans le but de s’attaquer aux GES. J’ai également octroyé, pas seulement pour la construction, 40 M$ de subventions pour la recherche appliquée. On travaille beaucoup avec les fonds de recherche et avec le nouvel innovateur en chef du Québec, M. Luc Sirois. L’innovation est au centre des transformations et des mesures qu’il faudra établir afin de lutter contre les changements climatiques. Avec l’accompagnement humain et financier mis en place, on est capable d’avancer et la construction sera au cœur de cet effort.
« L’innovation est au centre des transformations et des mesures qu’il faudra établir afin de lutter contre les changements climatiques. Avec l’accompagnement humain et financier mis en place, on est capable d’avancer et la construction sera au cœur de cet effort. » – Pierre Fitzgibbon
Il y a plusieurs chantiers qui touchent à la fois a construction et l’environnement : l’électrification des transports, la transformation des minerais, les batteries, le recyclage. Je m’attends à beaucoup de projets industriels majeurs au Québec et la construction au sens large aura un rôle majeur à jouer dans ces projets. Quand je parle du Québec à l’international, j’explique combien nous sommes conscients des enjeux environnementaux, comment nous sommes attractifs parce que nous pouvons produire de l’aluminium, de l’acier, des véhicules, des batteries « vertes » entre guillemets grâce à nos ressources renouvelables, comme l’hydroélectricité. ■
* Propos mis en forme pour Constas par Jean Brindamour.