MAGAZINE CONSTAS

Le BIM et l’industrie de la construction : plus qu’une nouvelle technologie, une nouvelle culture

Rencontre avec Alain Beaumier, de chez EBC

« Le BIM n’est pas un logiciel, c’est un processus ou, si vous voulez, une méthode de collaboration. Le jour où on est disposé à travailler en collaboration et que l’on accepte de numériser ses processus, on est prêt pour le BIM. » – Alain Beaumier

On parle beaucoup ces jours-ci de la modélisation des données dans le domaine du génie civil et de la voirie. Est-ce que le monde de la construction est frileux par rapport à ces nouvelles approches technologiques ?

Par Jean Brindamour

Constas a rencontré une autorité en matière de technologies numériques, Alain Beaumier, gestionnaire BIM chez EBC, qui, en plus de 30 ans de carrière, a pu contribuer à la plupart des grands projets au sein de ce leader canadien en construction. Qu’on pense seulement au métro de Laval, à l’autoroute 30, au pont Samuel-



De Champlain ou au REM, un Québec innovant

Alain Beaumier, gestionnaire BIM
chez EBC

Le Québec accuse-t-il un certain retard dans l’adoption du processus de gestion intelligente dans la construction et l’entretien des infrastructures et dans la généralisation du BIM (ou modélisation des données du bâtiment) ? « Il y a des mythes par rapport à ce qu’on fait au Québec, rétorque Alain Beaumier. On pourrait croire qu’on est en voie de manquer le train; la réalité est plus complexe. On est en avance au Québec dans la création du BIM parce que nous sommes très créatifs ici. C’est plutôt son utilisation qui est encore à la traîne. C’est vrai qu’au Québec on est ancré dans nos anciennes façons de travailler. Dans une conférence où quelque 200 personnes étaient présentes, j’ai demandé à celles qui avaient un iPad de lever la main. Presque tout le monde en avait un. J’ai alors demandé qui l’apportait au travail. Cinq personnes ont levé la main. On ne s’approprie pas la technologie à laquelle on a pourtant accès à la maison ou, à tout le moins, on ne fait pas de lien avec ses possibilités dans un autre contexte. Par contre, voilà bien 25 ans qu’on flirte au Québec avec la modélisation 3D dans la plupart des grands projets hydroélectriques, et ce, bien avant la popularité de l’outil Revit, très efficace pour modéliser les bâtiments. Il ne faut pas oublier toutefois que les projets de centrales hydroélectriques possèdent des profils hydrauliques tout aussi complexes que les profils aérodynamiques des avions. Il faut donc se tourner vers des outils de modélisation mécanique plus poussés encore que ceux utilisés, parce qu’il n’y a pas d’équivalent dans la modélisation 3D simplifiée actuellement dans le bâtiment. On a trouvé des manières de modéliser ces profils complexes, mais ce n’est pas trop standard. »



Des logiciels performants pour le génie civil ?

Pour le moment, le domaine du bâtiment est mieux servi que celui du génie civil en matière de logiciels de modélisation des données : « Soyons patients, avertit M. Beaumier. Les développeurs de logiciels arriveront à simplifier nos façons de faire. Le marché du bâtiment est cependant beaucoup plus vaste que celui du génie civil. Les priorités sont simples à comprendre quand on envisage le marché à développer. Pour que les logiciels se rendent au niveau de complexité exigé en 3D par les projets civils, cela prendra un certain temps. Parce qu’au civil, on travaille toujours avec des chaînages, une équation de courbe, des profils verticaux en courbe avec une courbe horizontale, des courbes spirales, des courbes paraboliques, etc.; rien n’est simple. Ce sera possible un jour, sans l’être tout à fait encore. Dans le domaine du génie civil, chaque projet est unique. Au cours de sa carrière chez EBC, un gérant de projet pourrait réaliser une diversité d’ouvrages tels un barrage, une autoroute, un quai maritime, un parc éolien, un tunnel, un chemin de fer. »

Vue du nouveau pont Champlain en mars 2017, projet où EBC a pu déployer son expertise BIM.

Une nouvelle culture

Comment le BIM peut-il s’appliquer à des projets aussi différents ? « Par la collaboration, répond sans hésiter Alain Beaumier. Rappelons que le BIM n’est pas un logiciel, c’est un processus ou, si vous voulez, une méthode de collaboration. Le jour où on est disposé à travailler en collaboration et que l’on accepte de numériser ses processus, on est prêt pour le BIM. Le problème est moins technique que culturel. Le principal obstacle, c’est la réticence au changement et le manque de collaboration entre tous les intervenants dans le but de conserver la mainmise sur leurs secrets. »

« Une fois convaincu, poursuit M. Beaumier, on ne se passe plus du BIM. L’équipe qui travaille au projet intégré SRB sur Pie-IX utilise ces nouveaux outils au quotidien. Sans le BIM, est-ce que plus de personnel aurait été nécessaire? Malheureusement, on ne le saura jamais car il n’y aura jamais un autre projet comparable; mais croyez-moi, personne de l’équipe du SRB ne souhaite retourner aux fichiers Excel comme autrefois ! » Ce n’est d’ailleurs pas la première mutation que connaît le domaine de la construction : « Pour ma part, se souvient Alain Beaumier, ce qu’on vit actuellement me rappelle une autre transition. En 1989, je dessinais sur ma table à dessin quand j’ai décidé d’utiliser Autocad 2.1.3. Ce n’était pas évident de croire que le dessin assisté par ordinateur (DOA) représentait l’avenir à cette époque, et pourtant. » ■


M. Marc Vézina, le 26 février dernier, lors d’une journée-conférence des Rencontres de génie, organisée par Genium 360 en collaboration avec l’ACRGTQ, l’ACQ, l’ÉTS, le Groupe BIM du Québec, le ministère de l’Économie et de l’Innovation, la SQI et Deloitte.

L’urgence numérique

Le directeur responsable du secteur de la construction au ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) à la Direction des biens de consommation et de la construction, Marc Vézina, a bien voulu nous renseigner sur les programmes disponibles pour soutenir les entreprises de l’industrie de la construction intéressées à prendre le virage numérique. (www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/programmes/aide-financiere/programme-innovation/)

« Le programme Audit industrie 4.0 vise à inciter le plus grand nombre d’entreprises québécoises possible à entreprendre le virage numérique en réalisant un diagnostic et un plan numérique, suivis d’une démarche structurée visant à sélectionner des solutions et à planifier la gestion du changement en lien avec les projets numériques priorisés. De plus, le MEI a mis en œuvre une initiative visant à accélérer le virage numérique des entreprises du secteur de la construction en soutenant la réalisation de diagnostics et de plans d’implantations numériques afin de guider les entreprises dans cette transformation. C’est le Groupe BIM-Québec qui accompagne les entreprises. Le MEI a d’ailleurs versé une contribution financière de 1,8 M$ pour l’exercice financier 2017-2018 à Groupe BIM-Québec pour la réalisation d’une première phase de diagnostics et de plans d’implantations numériques. » (www.economie.gouv.qc.ca/objectifs/ameliorer/industrie-40/)

« Le programme Essor – qui offre du soutien pour l’acquisition d’équipements et de logiciels – s’adresse principalement aux entreprises manufacturières, ce qui inclut celles spécialisées dans la préfabrication usinée, une pratique de plus en plus commune avec le développement du BIM. On y pratique notamment des prêts garantis à 70 %. » (www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/programmes/aide-financiere/programme-essor/)

« L’industrie de la construction contribue à hauteur de 6 % au PIB du Québec avec environ 25 000 entreprises et 250 000 emplois. Depuis une trentaine d’années, ce secteur accuse un retard de productivité par rapport aux autres secteurs de l’économie québécoise. On peut faire le même constat pour les autres provinces canadiennes, cependant il y a aussi un retard par rapport à la moyenne canadienne et l’Ontario. Le virage numérique des entreprises constitue certainement l’une des solutions pour favoriser l’innovation et améliorer la productivité du secteur. Nous avons mobilisé plusieurs associations dans le domaine de la construction, comme l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ). Lors de leur dernier congrès, le volet consacré au virage numérique était d’ailleurs très présent. La solution à la pénurie de la main-d’œuvre n’est pas de niveler par le bas, mais d’améliorer la productivité. Avec le BIM, on réduit les délais, on empêche les retards. Par conséquent, les travailleurs sont libérés plus rapidement et peuvent s’engager dans un autre projet. »

Chaque entreprise peut s’informer auprès d’un bureau régional du MEI de leur région (www.quebec.ca/gouv/ministere/economie/coordonnees/bureaux-regionaux/).