MAGAZINE CONSTAS

Entretien des infrastructures

Le rattrapage des investissements n’a pas suffi :
rencontre avec Luc Meunier

 « Les économistes modernes s’entendent sur l’aspect essentiel qu’est celui d’investir dans des infrastructures de qualité pour assurer une bonne croissance économique. »
– Luc Meunier

Une étude *, publiée en juillet dernier par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, retrace l’évolution de l’investissement dans le maintien des infrastructures publiques québécoises depuis la Révolution tranquille jusqu’à aujourd’hui. Luc Meunier, coauteur de ce document, nous dresse un portrait des grandes périodes qui ont marqué nos infrastructures et nous parle des constats qui en découlent.

Par Magalie Hurtubise

Luc Meunier a été sous-ministre associé au ministère des Finances du Québec aux politiques économiques, fiscales, budgétaires et aux institutions financières, secrétaire du Conseil du trésor, président de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et président de la Société québécoise des infrastructures.

Q. M. Meunier, pourriez-vous nous décrire brièvement les périodes d’évolution des investissements ?

R. La période 1960-1980, marquée par la Révolution tranquille, a été caractérisée par d’importants travaux d’infrastructure qui se sont opérés à travers la province tels le pont Champlain, l’échangeur Turcot, l’autoroute 20 ainsi que le métro de Montréal. Le tout a également coïncidé avec une excellente capacité financière de l’État et une dette minime en pourcentage du produit intérieur brut.

Les deux décennies suivantes ont eu pour trame de fond deux grandes récessions qui ont ébranlé l’état des finances publiques de la province. Il s’agit d’une période que nous qualifions de désinvestissement, qui au départ n’a pas eu de conséquences particulièrement néfastes sur les infrastructures en raison de l’important stock de capital des vingt précédentes années.

Le déficit de maintien d’actifs s’est toutefois accentué par la suite. Le gouvernement québécois, dans cette situation de conjoncture économique difficile, a mis l’emphase sur le contrôle des déficits et de la dette, ce qui a été fait au détriment du maintien d’actifs. Les investissements publics qui se situaient alors entre 3 % et 4 % du PIB entre 1961 et 1975 ont chuté pour atteindre 1,2 % du PIB en 2001.

La troisième période (2000 à aujourd’hui) a marqué un tournant dans les finances publiques. Un virage s’est amorcé au début des années 2000. Tel que stipulé dans notre rapport de recherche, l’effondrement du viaduc de la Concorde en septembre 2006 a mis en lumière la nécessité de considérer le déficit d’entretien à travers les divers indicateurs de standards de finances publiques afin d’assurer la pérennité des infrastructures.

Le gouvernement a injecté des montants substantiels pour tenter de résorber le déficit en maintien d’actifs qui a marqué la fin du XXe siècle, mais dans certains cas, le rattrapage n’a pas suffi, même que certaines infrastructures ont dû ou devront être remplacées totalement.

« Des infrastructures en bon état répondent à des besoins populationnels, mais sont également un vecteur important de la croissance économique et de la productivité d’un État », nous rappelle Luc Meunier. Ci-dessus la route 175, inaugurée en 2013, principal lien routier entre le Saguenay–Lac-Saint-Jean et le reste du Québec. CR: Denis Béchard, MTQ

Q. De quelle manière ces enjeux se transposent-ils sur l’industrie de la construction?

R. L’investissement public en termes de pourcentage du PIB a retrouvé un niveau similaire à ceux de la Révolution tranquille en 2010. Cependant, nous faisons face aujourd’hui à des enjeux différents et plus complexes que ceux vécus pendant la période 1960-1980.

Les travaux s’effectuent de plus en plus dans des brown fields * en parallèle des green fields (sites vierges), ce qui traduit en partie pourquoi les coûts de réalisation sont plus élevés qu’à l’époque. Le tissu urbain plus dense, la nécessité de perturber le moins possible la circulation et le développement durable ajoutent également au niveau de complexité des grands chantiers actuels.

Nous avons observé que la productivité de l’industrie de la construction s’est accrue, mais pas aussi rapidement que la productivité générale de l’économie.



La productivité de l’industrie de la construction a augmenté de 14 % entre 1997 et 2017 contre 25 % pour le secteur des entreprises, une situation qui n’est cependant pas unique au Québec, mais qu’on peut aussi observer ailleurs dans le monde.

Il est difficile pour cette industrie d’aller chercher une productivité plus élevée qu’un secteur manufacturier qui peut mécaniser des chaines de production. L’utilisation de la main-d’œuvre demeure un intrant majeur, mais il y a tout de même moyen d’aller chercher des façons de faire innovantes, comme la pratique de la préfabrication et du Building Information Modeling (BIM), qui peut générer des gains d’efficacité.

Les infrastructures publiques de qualité sont primordiales à une économie moderne, de même qu’elles sont créatrices de richesse et source de fierté, selon la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Il y a une interrelation entre les infrastructures et la productivité. Les économistes modernes s’entendent sur l’aspect essentiel qu’est celui d’investir dans des infrastructures de qualité pour assurer une bonne croissance économique.

Il faudra que l’Industrie s’adapte à des travaux d’une ampleur de plus en plus importante et utilise des méthodes innovantes.



Q. En quoi des infrastructures de qualité sont-elles essentielles à la croissance économique?

R. Des infrastructures en bon état répondent à des besoins populationnels, mais sont également un vecteur important de la croissance économique et de la productivité d’un État. Lorsque les infrastructures se détériorent, la productivité et la richesse collective s’amoindrissent.

Les infrastructures permettent aussi d’appuyer les missions de l’État, comme l’éducation, qui représente un autre vecteur de croissance économique important. Une hausse annuelle des investissements en infrastructures peut réduire de manière significative les coûts de production des entreprises québécoises.
Les tentatives de récupération des déficits d’entretien coûtent plus cher qu’un maintien structuré des actifs et des investissements réguliers. Une planification rigoureuse en amont et dans une perspective long terme permettent des économies significatives. •

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* Le document « Les infrastructures publiques au Québec: de la Révolution tranquille à aujourd’hui » paru en juillet dernier a été rédigé par Louise Lambert, Luc Meunier et Denis Robitaille de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.