MAGAZINE CONSTAS

Extension des normes, choix esthétiques

Un marché du béton en devenir

CHRONIQUE BÉTON

Que ce soit dans le secteur du bâtiment ou du génie civil, il y a un intérêt croissant pour la mise en valeur des qualités architecturales des ouvrages.

Le béton connaît une évolution notable en termes d’adaptabilité technique mais aussi d’adaptabilité esthétique. Les progrès technologiques touchant les mesures de l’évolution des propriétés physiques des granulats permettent une nouvelle approche des intrants dans sa composition. Il faudra toutefois assouplir la réglementation pour ouvrir de nouveaux marchés aux exploitants de carrières. C’est ce que croit Charles Abesque, ingénieur à l’ACRGTQ, qui nous parle des résultats du programme d’essai sur le gros granulat à béton visant à valider le bien-fondé des notes 2 et 3 du Tableau 12 de la norme CSA A23.1.  Quant à l’aspect esthétique du béton, de nouvelles solutions existent pour en améliorer le rendu visuel (sérigraphies, coffrages, couleurs, etc.). Yves Dénommé, directeur technique de l’association Béton Québec (ABQ), abordera avec nous ce sujet.

par Michel Joanny-Furtin

Deux notes à préserver

Débutons avec cette étude que le Regroupement professionnel des producteurs de granulats (RPPG), sous l’égide de l’ACRGTQ, a commandée afin de faire la lumière sur la validité des notes 2 et 3 du Tableau 12 de la norme CSA A23.1. Ces notes permettent un assouplissement sur l’essai de gel-dégel non confiné et sur l’essai de micro-Deval pour les calcaires et les dolomies des Basses terres du Saint-Laurent destinés à la fabrication du béton prêt à l’emploi.

L’Association canadienne de normalisation ou CSA (pour Canadian Standards Association) définit toutes les normes canadiennes. La Norme CSA A23.1 régit l’ensemble des éléments constituant le béton et en prescrit au tableau 12 les limites de substances nuisibles et propriétés physiques des granulats.

« Annexées à ce tableau 12, les notes 2 et 3 proposent une extension de certaines limites qui permettraient aux contracteurs le recours aux granulats des basses-terres du Saint-Laurent pour la fabrication du béton en passant la valeur au micro-Deval de 17 % à 19 % et la valeur gel-dégel non confiné de 6 % à 9 % », explique Charles Abesque. Il rappelle également que le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTQ) a choisi, il y a trois ans, une approche plus conservatrice en retirant ces notes de son Tome VII Matériaux de sa norme 3101. Selon le type d’ouvrages, il leur semblait non approprié d’aller aux limites proposées par ces notes dans la norme A23.1. « Or, même la CSA/ACN pense à retirer ces notes », s’inquiète-t-il.

Des clés pour ouvrir un marché

Charles Abesque, ingénieur / Secteur technique ACRGTQ.
CR:ACRGTQ

Par conséquent, toujours sous l’égide de l’ACRGTQ, le Regroupement professionnel des producteurs de granulats (RPPG) a lancé un programme de recherche pour démontrer la validité de ces notes complémentaires qui permettent une saine gestion de nos ressources, c’est-à-dire une utilisation des matériaux appropriés en fonction du type d’ouvrages à réaliser et de ses conditions d’expositions.

« On a constaté que, pour certains granulats tels que le calcaire et les dolomies des basses-terres du Saint-Laurent, la limite de 9 % plutôt que 6 % était satisfaisante. De plus, on a constaté également que pour certains granulats de ces régions, la limite de 19 % plutôt que 17 % à l’essai micro-Deval était également satisfaisante. Ces limites plus élevées seront acceptées si les producteurs de granulats démontrent que la production annuelle présente moins de 2 % de matériaux nuisibles argileux », indique Charles Abesque.

L’ingénieur a souligné 3 aspects principaux à cette recherche :

  1. répertorier des ouvrages en béton très exposés au sel fondant, et fabriqués il y a plus de cinq ans avec des gros granulats limitrophes ou ayant besoin des notes; et les inspecter visuellement pour faire le point sur leur durabilité;
  2. répertorier dans les basses-terres du Saint-Laurent, les entreprises de carrières produisant des gros granulats à béton, membres du RPPG, concernées par ces dispositions de la norme CSA A23.1 et les ajustements proposés;
  3. démontrer par la suite la nécessité de conserver ces notes.

Un enjeu environnemental durable

Rappelons que, selon la revue Technobéton (No 13, p.1), la norme CSA A23.1 propose deux méthodes pour la performance du béton : selon une alternative de performance ou normative. La spécification par performance responsabilise le producteur de béton qui se doit de livrer un produit performant selon les critères demandés par le maître d’ouvrage. Quant à la commande normative, elle responsabilise le maître d’ouvrage lorsque des paramètres de dosage sont fournis.

« 21 % des 29 sites répertoriés avaient besoin de cette extension de l’une ou de l’autre, voire des deux notes, pour continuer à produire », indique Charles Abesque. « On a également répertorié que 17 % des 29 sites identifiés étaient limitrophes sans les notes 2 et 3 en termes de gel-dégel, ou de micro-Deval, soit un potentiel de 38 % des sources qui s’avéreraient problématiques en cas de retrait de ces deux notes. »

« Attention, il est important de noter que cette extension ne donnera pas nécessairement un béton moins bon, insiste Charles Abesque, mais il s’agit simplement d’utiliser à bon escient nos ressources en utilisant les bons produits aux bonnes places, et ce, en fonction du type d’ouvrages à réaliser et de leurs conditions d’expositions ». Selon ses propos, l’enjeu de cette extension de la norme CSA A23.1 aux notes 2 et 3 vise à conserver le nombre actuel de fournisseurs en gros granulats situés dans les basses-terres du Saint-Laurent. L’autre enjeu « consiste à ne pas épuiser les meilleures ressources trop rapidement, et à diversifier l’activité de l’industrie aux meilleurs endroits en termes de proximité des intrants et de durabilité des ouvrages. »

L’esthétique méconnue du béton

Yves Dénommé, ingénieur, M.Sc.A. / Directeur technique ABQ. CR: ABQ.

Que ce soit dans le secteur du bâtiment ou du génie civil, en effet, il y a un intérêt croissant pour la mise en valeur des qualités architecturales des ouvrages. « Le béton est un matériau qui permet de réaliser des formes complexes avec différents motifs, textures et couleurs », rappelle Yves Dénommé, directeur technique à l’Association béton Québec (ABQ). « Lorsque l’on désire mettre en valeur les qualités esthétiques du béton, il est essentiel que les différents intervenants (maître d’œuvre, architecte, ingénieur, entrepreneur, producteur de béton, etc.) travaillent de pair pour assurer la réussite du projet. »

Le choix des coffrages

« On a beau avoir les meilleurs concepts, c’est toujours à la charge du concepteur de définir le fini qu’il souhaite intégrer dans l’environnement », poursuit l’ingénieur. « Le choix des coffrages est important pour le rendu final du béton : le bois pour un fini mat versus le métal pour un fini luisant. Mais aussi grâce à des matrices de coffrage, qui sont des tapis en caoutchouc structuré, il est possible d’obtenir des imitations de bois, de pierre ou tout autre fini ou texture intéressante. »

À la manière d’une sérigraphie, on enduit en pochoir le coffrage d’un désactivant qui permettra de marquer les contrastes de l’image. CR:ABQ

Selon Yves Dénommé, encourager cette approche esthétique exige souvent une formulation plus fluide du béton afin de remplir adéquatement l’espace entre les coffrages et les aciers d’armature et ainsi obtenir le fini désiré. Ne néces­sitant pas de vibration, le béton autoplaçant, plus souvent utilisé en Europe, s’avère une bonne solution étant donné les emplacements de coulée qui sont parfois d’un accès difficile et pénalise l’uniformité du projet. Cette technique ouvre une porte vers des projets à valeur esthétique qui nécessiteront moins de corrections.

« Il est également possible de reproduire une photo sur le béton. Selon le motif ou visuel choisi, une pellicule recouverte de désactivant est placée dans le coffrage qui permettra de marquer les contrastes de l’image suite à un lavage au jet d’eau, indique le représentant de l’ABQ, qui souligne que cette technique de bétonnage esthétique est très utilisée en Europe pour les édifices culturels, commerciaux et institutionnels.

Intégrer la naturalité

On peut également ajouter une couleur unie dans le béton en préparation, mais la pureté de la couleur amenée par le pigment est plus facilement réalisable avec un ciment pâle qu’un ciment gris standard. Un ciment gris donnera souvent une teinte ocre. « On peut aussi fabriquer un béton blanc, précise M. Dénommé, mais cela impose des règles de fabrication du ciment précises et exigeantes avec des matières premières pures, et donc plus chères, et de bien séparer les matériaux intrants, les sables, les granulats, qui doivent être clairs pour atteindre une teinte blanche ‘‘pure’’. »

«Dans ce sens, les réunions pré-bétonnages sont très importantes, poursuit Yves Dénommé, pour que les intervenants (architecte, contracteur, bétonnier, chef de chantier, etc.) soient sur la même longueur d’onde quant au résultat final, résultat obtenu dans certains cas à la suite d’une coulée dite de convenance, un élément témoin de la qualité du fini ciblé. »

Un fini intérieur posera moins de problème de maintenance sauf en cas de travaux d’aménagements intérieurs. Mais un fini esthétique en extérieur sera sensible aux intempéries et à l’ensoleillement, aux ruissellements, aux herbacées opportunistes, aux déjections d’oiseaux et aux dépôts de poussières. « L’esthétique choisie pourrait-elle intégrer les traces de cette naturalité et de sa maturité ? », se demande l’ingénieur de l’ABQ. « Tout étant relatif à la vision des concepteurs du projet, il faudra penser des stratégies d’entretien en amont du projet, établir leur fréquence et prévoir des exigences plus sévères. » •