Construction : place aux femmes
Entretien avec Diane Lemieux, présidente-directrice générale de la Commission de la construction du Québec
« On a intérêt à comprendre ce à quoi les travailleurs font référence lorsqu’ils parlent d’intimidation si on veut favoriser un climat de travail sain.»—Diane Lemieux
Bien qu’encore très hermétique, le milieu de la construction s’ouvre peu à peu aux femmes. Beaucoup de travail reste toutefois à faire, souligne la présidente-directrice générale de la Commission de la construction du Québec, Diane Lemieux. Pour y arriver, la CCQ a cependant décidé cette année de prendre le taureau par les cornes et de mettre de nouvelles mesures en place pour favoriser une intégration sécuritaire des travailleuses de l’industrie.
Par Florence Sara G. Ferraris
À l’instar de nombreux milieux professionnels, l’industrie de la construction a été profondément ébranlée au cours des derniers mois alors que les dénonciations de harcèlement et d’inconduites à caractère sexuel se sont multipliées sur la place publique québécoise. « On est sur la même planète que tout le monde, souligne Mme Lemieux. Notre industrie n’est pas à l’abri, bien au contraire. »
De fait, selon la présidente-directrice générale, certains facteurs font du milieu un terreau particulièrement fertile pour que ce genre de choses se produisent. « Il y a toute sorte d’éléments qu’il faut considérer, insiste la gestionnaire. Les chantiers sont parfois éloignés et, la plupart du temps, le nombre de femmes est très réduit. Elles sont toujours minoritaires. Ça peut générer des situations très difficiles. »
Les tristes événements dépeints dans l’actualité tout au long de l’automne ont toutefois permis une véritable prise de conscience de la part des différents acteurs du milieu, croit celle qui occupe son poste depuis maintenant plus de cinq ans. « Le conseil d’administration a eu une réflexion interne et on a reçu de nombreux appels sur ces difficiles questions, explique Diane Lemieux. On s’est rendu compte que beaucoup de gens étaient préoccupés, mais qu’ils ne savaient pas nécessairement comment réagir. On a donc décidé de prendre les choses en main. »
Cette prise en charge s’est traduite par la mise sur pied de la ligne relais-construction. Lancée au début du mois de novembre dernier, cette ligne téléphonique vise à « aider les travailleuses, travailleurs et employeurs qui sont confrontés à des situations d’inconduite, de harcèlement et d’intimidation à caractère sexuel dans l’industrie ». Il s’agit d’une première initiative du genre au sein de l’industrie de la construction et même s’il est encore difficile d’évaluer ses impacts, Diane Lemieux assure que la ligne est un outil utile et utilisé.
« L’idée est de développer un réseau, précise la présidente-directrice générale. On a demandé à nos différents partenaires d’unir leurs forces et leurs expertises pour créer un climat de travail plus sain. Il faut toutefois faire attention : la CCQ n’est pas – et ne prétend pas – être un organisme psychosocial. On peut accueillir les gens, les aiguiller vers les bonnes ressources, mais nous ne sommes ni des travailleurs sociaux ni des psychologues. »
Réputation à défaire
De manière générale, l’industrie de la construction a la réputation d’être un milieu dur, concède Diane Lemieux. « Quand on a demandé aux travailleurs s’ils avaient déjà été témoins de situations d’intimidation lors de nos derniers sondages annuels, on a été assez préoccupé de ce qui est ressorti », souligne-t-elle.
« On a intérêt à comprendre ce à quoi les travailleurs font référence lorsqu’ils parlent d’intimidation si on veut favoriser un climat de travail sain. Si on veut agir, il faut saisir l’ampleur du phénomène. » Pour y arriver, la CCQ travaille de concert avec une équipe de chercheurs de l’Université Laval qui devrait être en mesure de présenter un portrait plus précis au cours des premiers mois de 2018.
Efforts d’égalité
Dans pareil contexte, l’importance de faire davantage de place aux femmes au sein de l’industrie de la construction n’a jamais été aussi pertinente, estime Mme Lemieux. Il s’agit d’ailleurs d’un des dossiers qui lui tient particulièrement à cœur depuis ses débuts à la CCQ.
À l’heure actuelle, les femmes ne représentent encore qu’un peu plus de 1,5 % de la main-d’œuvre sur les chantiers du Québec, ce qui est tout de même dix fois plus que ce qu’on pouvait observer il y a 20 ans. D’ici la fin de l’année 2018, la Commission espère atteindre la cible qu’elle s’est fixée, à savoir 3 %, ce qui correspond à la moyenne canadienne.
Pour y arriver, la CCQ s’attelle à déconstruire de nombreux mythes qui sont encore tenaces aujourd’hui au sein de l’industrie. « On ne va pas se le cacher, il reste beaucoup à faire, notamment du côté des employeurs, pour atteindre l’égalité des sexes, soutient celle qui a déjà occupé le poste de présidente du Conseil du statut de la femme, mais les choses s’améliorent », comme le prouvent certaines statistiques.
Par exemple, la proportion de femmes ayant acquis leur statut de compagnon frôle maintenant les 8 %, ce qui est tout de même cinq points de pourcentage de plus qu’il y a 5 ans. « Le nombre de femmes qui obtiennent un diplôme dans un domaine connexe ou qui participent à des activités de perfectionnement est également en hausse, ce qui est un signe encourageant, indique Diane Lemieux. On s’en va dans la bonne direction, mais il faut encore convaincre beaucoup de gens. C’est un effort constant. » •