MAGAZINE CONSTAS

Loi sur la qualité de l’environnement

Révision en profondeur du régime des autorisations

Chronique juridique / Environnement

Le ministre David Heurtel déposait en 2015 le livre vert visant à moderniser le régime d’autorisation environnementale découlant de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Dans ce cadre, il a présenté, le 7 juin 2016, le Projet de loi n°102 intitulé : Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement afin de moderniser le régime d’autorisation environnementale et modifiant d’autres dispositions législatives notamment pour réformer la gouvernance du Fonds vert. Les consultations particulières et auditions publiques sur le Projet de loi se sont terminées le 29 novembre 2016.

Par Me Claude Lapierre *

Le Gouvernement espère pouvoir faire adopter très prochainement la Loi. Elle sera suivie sous peu d’une modification tout aussi « attendue » du régime relatif aux milieux humides. Cette révision ne fait pas que moderniser le régime des autorisations, elle le modifie de façon substantielle. Le Projet de loi comporte 288 articles. Il modifie encore plus d’articles de la LQE et vise au surplus d’autres lois. Chose surprenante et inhabituelle, il modifie divers règlements d’application en matière environnementale. Par ailleurs, un nombre quasi incalculable de règlements à venir du gouvernement et du ministre y sont annoncés. Un premier constat s’impose. Il est impossible de saisir complètement la portée de ce Projet de loi sans connaître le cadre règlementaire qui suivra.

Plus de souplesse

La LQE date de 1972. Cette réforme s’avérait donc plus que nécessaire de l’avis de tous, mais, disons-le, certainement pas pour les mêmes motifs. Plusieurs demandaient une clarification et une simplification de la procédure. On demandait surtout de la rendre plus prévisible. On en appelait à la stabilité économique. D’autres demandaient au contraire de la rendre plus souple, d’accorder au ministre plus de discrétion pour établir des normes d’application générale (règlements) ou encore pour accepter ou refuser les demandes, ou pour révoquer ou modifier ses décisions à portée individuelle, lorsqu’il émet des autorisations et en établit les conditions. On voulait qu’il puisse prendre en compte les particularités de chacun des projets, des régions, des milieux et les « préoccupations sociales ». La question demeurait donc ouverte. Comment balancer dans une loi ces préoccupations, tout en maintenant les plus hauts standards en matière environnementale? Prévisibilité et stabilité, ou bien souplesse d’application ? Les tenants de la nécessité d’accorder plus de souplesse ont clairement eu gain de cause.

Allègement et autorité du ministre

Le Projet de loi instaure une nouvelle approche fondée sur le niveau de risque environnemental en prévoyant une procédure d’encadrement unique pour toutes les activités à risque élevé (Procédure d’évaluation et examen des impacts sur l’environnement), une autre (Autorisation du ministre) pour toutes les activités à risque modéré, et une nouvelle procédure (Déclaration de conformité) pour les activités à risque faible. On exempte les activités à risque négligeable des obligations du régime d’autorisation.
À l’égard des activités à risque modéré, il permet qu’une seule et même demande d’autorisation puisse viser un projet regroupant des activités de même risque. Il instaure le nouveau régime des Déclarations de conformité pour les activités à risque faible, mais laisse le soin au ministre de prendre un ou des règlements pour déterminer quelles seront les catégories de projets qui seront assujetties à cette procédure « allégée ».

Le Projet de loi précise que le ministre pourra à cette fin distinguer non seulement en fonction des activités, mais également en fonction des personnes, des municipalités et des milieux visés. Une autre procédure est instituée : la « Déclaration d’activité ». Nous comprenons que cette procédure ne s’appliquera que pour les activités à risque négligeable qui sont exemptées des autres procédures. Elles seront assujetties à telle obligation selon un autre règlement à venir du ministre.

La transmission au ministère d’une attestation de conformité municipale ne sera plus une condition de recevabilité des demandes d’autorisation. Toutefois, il n’est pas clairement établi que la conformité au règlement municipal, laquelle s’impose d’elle-même, ne sera pas une considération lors de l’octroi d’une autorisation environnementale.

Clarté simplicité,  prévisibilité et souplesse ?

Quant à la clarté du Projet de loi, nous soulevons un problème à l’égard de plusieurs dispositions, mais plus particulièrement à l’égard des activités qui seront existantes au jour de l’entrée en vigueur de la Loi. Le libellé choisi pour apporter des modifications aux articles 22 et suivants de la LQE nous porte à croire, sous réserve des règlements à venir, que les activités qui détenaient des « droits acquis à ne pas obtenir de certificat d’autorisation en vertu de la LQE », pourraient maintenant être assujetties à l’un des régimes prévus au Projet de loi. Le Projet de loi n’est pas clair à cet effet, mais ce qui est certain, c’est qu’il prévoit cette possibilité.

Par ailleurs, le nombre impressionnant de dispositions applicables et le nombre des règlements à venir, de même que la dispersion des normes applicables dans ces lois et règlements, demeurent problématiques pour la clarté de la procédure à suivre et la prévisibilité des exigences à rencontrer. S’ajoutent à cette problématique, les directives, politiques et notes d’instructions, ainsi que la diversité d’application d’une direction régionale à une autre, même en cours d’analyse.

Conclusion

La caractéristique première de ce Projet de loi demeure la multiplication des pouvoirs discrétionnaires dévolus au ministre et donc fort possiblement, du moins certains d’entre eux, à ceux des fonctionnaires qui auront pour mandat d’appliquer la Loi et les règlements par délégation des pouvoirs du ministre. On ne peut évidemment présumer de la façon dont ces pouvoirs seront exercés, mais l’expérience passée pourrait justifier certaines craintes.
On multiplie dans ce Projet de loi les pouvoirs discrétionnaires tant à l’égard des règlements qui devront être pris pour définir la réelle portée des régimes d’autorisation, mais également à l’égard des conditions d’octroi, de refus, de révocation et de modification des autorisations individuelles. On prévoit bien un cadre d’analyse que doit suivre le ministre, mais l’utilisation des expressions « notamment », « est d’avis », « s’il l’estime nécessaire » et bien d’autres expressions viennent établir l’intention claire du législateur d’accroître les pouvoirs discrétionnaires du ministre pour distinguer et établir des conditions d’application différentes de la Loi selon les projets, les personnes, les municipalités et les milieux.
Il est permis d’espérer une précision de ce cadre et des pouvoirs discrétionnaires qui devraient exclusivement être dévolus au ministre, et non aux fonctionnaires.


* Claude Lapierre est avocat chez Tremblay Savoie Lapierre (TLS).