MAGAZINE CONSTAS

Le grand projet d’un maire visionnaire

Le métro de Montréal a 50 ans

Parmi les grandes réalisations de ce qu’on appelle la Révolution tranquille, le métro de Montréal a un statut à part. Ce grand projet, au contraire par exemple de la Baie-James ou de Manic, est une réalisation municipale, l’œuvre emblématique d’un maire qui incarne l’une des figures les plus originales de cette époque bouillonnante : Jean Drapeau.

Par Jean Brindamour

Si le métro de Montréal a eu ses 50 ans en 2016, le projet lui-même remonte à plus de cent ans ! Montréal, en 1910, est la métropole du Canada. Entre la fin du XIXe siècle et la Grande Guerre, elle connaît la plus importante expansion de son histoire. La population double en vingt ans (de 216 650 habitants en 1891 à 467 986 en 1911). Plusieurs villes européennes et américaines possèdent déjà leur métro souterrain : Chicago (1892) Budapest (1896), Vienne, Oslo, Londres (première ligne souterraine électrifiée en 1898), Paris (1900), Berlin (1902), New York (première ligne souterraine en 1904), Philadelphie (1907).

Une longue, très longue gestation

La Montreal Street Railway Co. obtient, en 1910, grâce à un amendement de la Charte de la Ville de Montréal, la permission de construire une ligne de métro. Mais rien ne bouge.

Le chef du nouveau Parti civique de Montréal, Jean Drapeau, promet un métro s’il est élu à la place de Sarto Fournier le 24 octobre 1960.

En 1914, le rapport McLeod, préparé par la Ville de Montréal, reconnaît le besoin d’un métro, mais Montréal n’a pas les ressources financières suffisantes pour se lancer dans cette aventure. Au milieu des années 1920, l’idée revient en force. C’est alors la crise de 1929 qui vient tout remettre en question. L’idée d’un métro souterrain est enterrée pour plusieurs années et ne reviendra à l’avant-plan qu’en 1944, année où un projet de métro de 60 M$ sera présenté à un comité spécial du Conseil économique métropolitain par la Compagnie des Tramways de Montréal. Cette étude est longuement étudiée, si l’on peut dire. En 1949, une Commission d’étude des problèmes de la circulation et du transport à Montréal évalue à 180 millions de dollars les coûts d’un premier réseau de métro.

 

Construction du métro, 1962

 

En 1950, le transport public est municipalisé et la Commission de transport de Montréal (CTM) est officiellement créée. En octobre 1951, c’est le forage des premiers puits d’épreuve pour juger de la nature du sol. Deux ans plus tard, en octobre 1953, la CTM présente un plan de travail de 1000 pages qui lui aura coûté 395 000 $. Le projet, bien conçu, est aussi vite enterré. Les années 1950 sont celles de l’automobile. On construit des autoroutes. Et pourtant, c’est en 1954 que le métro de Toronto est inauguré. La deuxième ville du pays dame ainsi le pion à ce qui était encore la métropole du Canada.

Jean Drapeau se met à l’œuvre grâce à Lucien Saulnier

Après 50 ans de projets, imaginés, étudiés, avortés puis oubliés, rien n’a encore été fait. La solution sera politique. Le chef du nouveau Parti civique de Montréal, Jean Drapeau, promet un métro s’il est élu à la place de Sarto Fournier le 24 octobre 1960. C’est son principal collaborateur, Lucien Saulnier, qui a persuadé Jean Drapeau d’en  faire une promesse électorale. La victoire de 1960 est éclatante. Après le court mandat de 1954 à 1957, Jean Drapeau restera maire de Montréal jusqu’en 1986. Selon Dale Gilbert, un spécialiste du métro montréalais, il faut distinguer le premier mandat de Jean Drapeau (de 1954 à 1957) du second (de 1960 à 1986). « La différence, c’est essentiellement son bras droit », souligne-t-il (Le Devoir du 3 janvier 2014). Grâce à ce grand serviteur de l’administration publique que fut Lucien Saulnier, Jean Drapeau put devenir le maire emblématique de la Révolution tranquille.

En avril 1961, la construction du métro est confiée à un comité ad hoc, le Bureau du métro (BTM), qui sera dirigé par Lucien L’Allier. L’idée d’un métro sur pneumatiques vient de Jean Drapeau lui-même, qui, lors d’une visite à Paris, s’est enthousiasmé pour le métro sur pneumatiques mis au point par la Régie autonome des transports parisiens (RATP). Ce choix sera controversé. Les gens d’affaires canadiens ainsi que la CTM auraient préféré un métro fer sur fer. Mais la décision aura une conséquence qui étonnera le milieu des ingénieurs et de la construction : le BTM mettra de côté les firmes américaines et préfèrera l’aide technique de la RATP. Celle-ci signe avec la Ville de Montréal un contrat d’assistance technique qui ne prendra fin qu’au moment de la mise en marche du réseau initial.

 

Publicité du métro de Montréal en 1966.

 

Le 24 avril 1962, les soumissions visant à percer un tunnel de plus de 6 000 pieds dans le roc sont ouvertes. Le premier contrat de construction est octroyé aux firmes Foundation of Canada Ltd et Charles Duranceau Ltée. C’est le 23 mai 1962 que l’inauguration officielle du début des travaux a lieu sur la rue Berri. Le 6 août 1963, la Vile de Montréal octroie le contrat de fabrication des 369 voitures de métro à la firme Canadian Vickers.
Le 14 octobre 1966, le maire Jean Drapeau inaugurait le métro de Montréal. Vingt stations étaient alors ouvertes au public, soit les stations Atwater à Papineau sur la ligne 1 (à l’exception de Beaudry) et les stations Henri-Bourassa à Place-d’Armes sur la ligne 2, auxquelles s’ajoutera en mars 1967, la ligne 4 (de Berri-de-Montigny jusqu’à Longueuil), pour une longueur totale de 16 km.

 

Construction du métro de Montréal. 1964.

 

Un métro économique construit rapidement

La somme totale payée par la Ville de Montréal pour le premier réseau de métro s’élève à 213,7 millions de dollars (environ 1,6 milliard d’aujourd’hui), dont 152 millions pour l’aménagement des lignes et 61,7 millions pour les wagons et l’équipement. Trois techniques de construction sont utilisées : le tunnel creusé dans le roc et bétonné (plus de 2/3 du réseau souterrain); le souterrain en béton armé, construit en tranchée (à ciel ouvert); et finalement (très exceptionnellement) le tunnel dans la terre. La pierre extraite du sol a servi à agrandir l’île Sainte-Hélène et à construire l’île Notre-Dame, soit le site d’Expo 67. Des dizaines d’architectes, d’ingénieurs, d’entrepreneurs participeront à ce grand projet. Au plus fort des travaux, plus de 5000 travailleurs œuvrèrent à cet énorme chantier. Des explosions et l’effondrement de rues causeront même la mort de 12 ouvriers.

Le passage sous le fleuve Saint-Laurent s’effectue sous une couverture de 40 pieds ou plus au-dessous du lit du fleuve. Pour la ligne « jaune », il a fallu descendre jusqu’à 120 pieds de profondeur. En creusant aussi profond, on évitait de créer des problèmes de circulation et de déplacer les canalisations (égout et aqueduc), ce qui aurait entraîné d’importants coûts.

Le montant de 213,7 $M est l’un des coûts les plus bas enregistrés pour un métro de cette ampleur. Pourquoi un délai si court (cinq ans) et un coût si raisonnable ? Afin d’accélérer la réalisation du projet, la Ville a confié le travail a plusieurs entrepreneurs et l’on peut soutenir que la compétition entre entrepreneurs a eu des effets heureux sur les coûts. Mais aucune œuvre humaine n’est parfaite d’un coup. Les ingénieurs de la RATP et du BDM avaient surestimé le problème du froid sous terre, puisqu’ils avaient installé un système de chauffage complètement inutile, même en hiver, dans les voitures. Pis encore, ils avaient sous-estimé la chaleur dégagée par les voitures et les usagers. Un opérateur de métro a même perdu connaissance le 23 juillet 1967, son train percutant le mur au bout du tunnel de la ligne 4. On résolut ce problème par de nouveaux puits de ventilation, de nouveaux ventilateurs ainsi que des grillages pour remplacer des vitres qui avaient l’inconvénient de garder la chaleur.

Montréal aura été la 7e ville d’Amérique du Nord à se munir d’un réseau de transport souterrain. Il aura fallu plus de 50 ans de tergiversations avant de commencer les travaux, mais cinq ans seulement pour construire un métro moderne.•

Source:Benoît Clairoux, Le métro de Montréal, 35 ans déjà, Montréal, HMH, 2001. Archives de Montréal, « Vite monté… Vite rendu ! » Le Métro de Montréal a 50 ans (1966-2016). Archives de Montréal, Chronique Montréalité no 31 : La construction du métro.