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La Route verte

L’épine dorsale du Québec cyclable

La Route verte traverse plus de 382 municipalités et 81 MRC. De ses 5300 km, 97% sont aménagés. Valeur de l’actif ? 475M $. Dés 2007, le National Geographic parlait de la Route verte comme d’un bijou en Amérique du Nord.

Dans « Le Magicien d’Oz », un conte célèbre devenu un film culte, le chemin pavé de briques ensoleillées qu’empruntait la charmante Dorothée appartenait à un monde onirique. Les cyclistes du Québec, quant à eux, empruntent une route bien réelle, verte de surcroît même si cette couleur symbolise autant les paysages qu’elle traverse, que le rêve environnementaliste qui l’a fait naître.

par Michel Joanny-Furtin

Il fallait être pas mal rêveur pour envisager un Québec cyclable dès la fin des années 80, inspiré par des projets européens similaires. « À l’issue du Congrès Vélo Mondial de 1992, les idéateurs de Vélo Québec ont conçu le Plan du Québec cyclable et des corridors verts de l’an 2000, une première esquisse de la Route verte », explique Nicolas Audet, coordonnateur du développement de la Route verte à Vélo Québec (VQ).

« Le projet a été déposé en 1995 dans le cadre du Plan d’Action Jeunesse », précise Marc Panneton, coordonnateur du transport actif au ministère des Transports du Québec (MTQ). « Approuvé par le gouvernement de l’époque qui l’a alors confié au MTQ… Dans le cadre d’une entente, il fut convenu que Vélo Québec serait directeur du projet et que leurs professionnels veilleraient à la concrétisation du projet », raconte Marc Panneton. « Dans l’entente, on confiait à Vélo Québec les tâches de mobilisation des municipalités pour faire les travaux et le MTQ octroyait les aides financières pour soutenir leur motivation. »

Le réseau cyclable du Québec. CR : Vélo-Québec.

« Pour l’époque, la Route verte devenait un projet rassembleur pour faire rêver la société », ajoute Nicolas Audet. « Maître d’ouvrage en quelque sorte, le MTQ a initié les investissements sur ses propres routes. Un financement confirmé par les gouvernements successifs. » Marc Panneton rappelle que « dès 1999, les routes intégrant un espace pour les cyclistes allaient recevoir des aides du MTQ. De plus, depuis 2001, le budget d’entretien assumé par les municipalités était appuyé d’un programme d’aide administré par le MTQ dans le cadre du circuit national de la Route verte. »

« Plusieurs projets de parcours cyclables, dédiés ou non, ont vu le jour », relate Nicolas Audet. « Mais cela a nécessité beaucoup de rencontres pour initier une mobilisation régionale, soutenir les porteurs des projets locaux, car ce n’était pas acquis de but en blanc. Il a fallu convaincre peu à peu et que chaque municipalité y trouve et son compte… et son budget. »



Certains axes sont en effet plus difficiles à développer, pour des raisons multiples : géographiques, budgétaires, aménagements, porteurs du projet, politiques locales, etc., comme par exemple, le segment Lavaltrie-Berthierville dont les travaux sont liés à d’importantes améliorations à apporter à la route 138.

La Route verte traverse 382 municipalités

La persévérance a donc porté fruit et plusieurs segments et/ou circuits régionaux sont désormais connectés à la Route verte du Québec. Nicolas Audet cite, entre autres, la Véloroute des Bleuets autour du Saguenay et du lac Saint-Jean, le P’tit Train du Nord sur l’ancienne voie ferrée des Laurentides, ainsi que la Montérégiade et l’Estriade. Et des travaux sont en cours pour remettre en état les différents segments de la Route verte, dont l’axe qui chemine de l’Abitibi jusqu’aux… Îles-de-la-Madeleine !



« Près de 38% du réseau cyclable au Québec est constitué de pistes cyclables et de sentiers polyvalents en site propre, à l’abri des véhicules motorisés. Et près de 68% du réseau cyclable se situe sur des rues ou des routes adaptées aux cyclistes. Les routes 132, 138, et la 117, sur les segments homologués Route verte, sont équipées d’accotements asphaltés pour accueillir les cyclistes », précise Nicolas Audet. « Notre carte interactive sur le site officiel www.routeverte.com propose plusieurs couches d’informations (hébergements, bornes de réparations, itinéraires à la carte, etc.). »

« Près de 68% du réseau cyclable se situe sur des rues ou des routes adaptées aux cyclistes, précise Nicolas Audet, coordonnateur du développement de la Route verte à Vélo Québec (VQ). Les routes 132, 138, et la 117, sur les segments homologués Route verte, sont équipées d’accotements asphaltés pour accueillir les cyclistes »

Ainsi la Route verte se rend jusqu’à Baie-Comeau et traverse plus de 382 municipalités et 81 MRC. Elle couvre aujourd’hui 5300 km dont 97% sont aménagés. La valeur de l’actif de la Route verte est évaluée à 475M$, et le budget nécessaire pour aménager les derniers 200 km et améliorer certaines sections à environ 60 M$.

La Route verte. Le pont Gouin à St-Jean-sur-Richelieu, avec un nouvel aménagement cyclable. CR : Nicolas Audet (Vélo Québec)

La popularité des circuits cyclistes se fait de plus en plus sentir dans le quotidien des Québécois pour des raisons autant utilitaires que touristiques, mais aussi à titre de sports, de loisirs et/ou de choix de société et de vie. « Via leurs commentaires sur nos réseaux sociaux à propos de l’état de la chaussée, de la signalisation, du balisage, etc., les usagers de la Route verte contribuent activement au contrôle de la qualité et au processus d’amélioration continue », affirme Nicolas Audet.



Le programme d’aide «Véloce III»

« Vélo-Québec assure la coordination auprès des municipalités induisant un label qualité en ce qui concerne le tourisme, les services et la notoriété des sites traversés », renchérit Marc Panneton qui ajoute que « depuis juillet 2020, le volet 3 du Programme d’aide financière aux infrastructures de transport actif (Véloce III) permet la reconnaissance et l’admissibilité des réseaux régionaux qui cheminent, parfois en boucle, vers leurs attraits touristiques locaux et divers. » Marc Panneton prend pour exemple la piste Bellechasse-Lévis. « Le budget d’entretien dans le programme oscille entre 2,7 et 3M$. Sur cette somme, les gestionnaires de ce circuit (OBNL, municipalités, etc.) peuvent bénéficier d’une aide du MTQ allant jusqu’à 50% du coût des travaux. Par ailleurs, le volet 2 du programme permet aussi de soutenir les initiatives d’amélioration de l’itinéraire de la Route verte… « qui a besoin d’amour », dit-il en badinant.

La Route verte. Vélopiste Jacques-Cartier-Portneuf, à Shannon. CR: MTQ (Photothèque)

Selon Nicolas Audet de Vélo Québec, près de 97% des 5300 km de la Route verte sont donc aménagés, dont une grande partie dans le respect des normes du MTQ et de la Référence Qualité Route verte. « Les 3% restant, soit un cumul de 200 km environ, sont des petits segments qui restent à aménager comme, par exemple, la largeur des accotements réservés aux cyclistes. » Le coordonnateur du développement de la Route verte précise que, si le ministère des Transports du Québec et les municipalités sont responsables de la planification et de la réalisation des travaux, Vélo Québec offre le soutien technique afin de documenter les bonnes pratiques, le tracé le plus fonctionnel, les aménagements sécuritaires, les pentes douces, les largeurs de voies, les attraits locaux, les espaces de repos, etc.; les municipalités œuvrent alors avec les compagnies d’ingénierie quant à la réalisation des travaux. « Fort de ces travaux, nous coordonnons ensuite le balisage des voies cyclables : nous commandons les panneaux et nous les fournissons aux villes et au MTQ. »

Le choix des tracés et la cartographie de la Route verte ne sont pas simples. Vélo Québec et Transports Québec doivent transiger avec près de 400 municipalités qui doivent elles-mêmes transiger avec des droits de passage et des servitudes.

La Route verte. Île Notre-Dame, Montréal. CR : Nicolas Audet (Vélo-Québec)

« La Route verte suit le schéma de 1995, consolidé en 2008 », ajoute Marc Panneton. « Les aides accordées ont ajouté une valeur complémentaire à ces routes cyclables, notamment les boucles très appréciées par les familles. » Les deux coordonnateurs rappellent avec fierté que « la Route verte est un bijou en Amérique du Nord selon le National Geographic (2007) ».

Le réflexe vélo

« Il faut savoir que le MTQ a totalement intégré dans tous ces projets de créations, de réfections et de rénovations routières le réflexe vélo : tout ce qui est fait ou refait dans nos infrastructures tient compte de ce réflexe ! », insiste Marc Panneton. Avec cette approche et à l’image du pont Olivier-Charbonneau (A25) depuis mai 2011, comme celle du nouveau pont-levant Gouin à Saint-Jean-sur-Richelieu, les projets de réfection des ponts Pie-IX, Île-aux-Tourtes, et Mercier à Montréal, procéderont également ainsi pour les liens cyclables.



« De plus, il y a un coordonnateur du Transport actif dans chaque Direction régionale territoriale qui veille au respect des orientations du MTQ. Donc toutes les rénovations, travaux d’entretien et de réfection des routes négociés avec chaque municipalité, intègrent des aménagements conformes aux normes qui participent à la réalisation de la Route Verte. Beaucoup d’entrepreneurs ont participé au développement de la Route verte sans le savoir », constate avec humour Marc Panneton.

Le Grand Chantier

« La Route verte existe officiellement depuis 25 ans : c’est une infrastructure relativement jeune, mais elle est néanmoins vieillissante et souffre par endroits de dégradations d’usage ordinaire », rappelle Nicolas Audet de VQ. Il faut s’adapter aussi à l’évolution des normes : la construction de pistes bidirectionnelles sur rue, par exemple, peut soulever des enjeux de sécurité et n’est pas toujours la bonne solution. » Marc Panneton ajoute qu’il existe plusieurs modèles de gestion de l’entretien du réseau. Par exemple, « si l’entretien de la Véloroute des Bleuets est coordonné par une seule des 3 MRC (Municipalité régionale de comté) concernées, le Parc linéaire du P’tit train du Nord est administré par une Corporation qui coordonne le travail des quatre MRC qu’il traverse. »

Le choix des tracés et la cartographie de la Route verte ne sont pas simples. Vélo Québec et Transports Québec doivent transiger avec près de 400 municipalités qui doivent elles-mêmes transiger avec des droits de passage et des servitudes. « Nous demandons aux MRC d’inclure la Route verte dans les schémas d’aménagements et de la protéger pour en assurer la pérennité », insiste Nicolas Audet de VQ.

Le ministère des Transports du Québec a lancé avec Vélo Québec le Grand Chantier afin de revisiter l’itinéraire, faire le point des réaménagements, le remettre aux normes actuelles si nécessaire et apporter un peu d’amour et d’attraits à certains trajets. « Pour ce faire, nous collaborons à trouver les meilleures solutions avec les gestionnaires et partenaires régionaux de la Route verte », explique Nicolas Audet.



Pour sa part, Marc Panneton, urbaniste, chargé du dossier de la Route verte auprès du Ministère et cycliste convaincu, est également Secrétaire du Comité interministériel de la Route Verte. Si 62% des circuits cyclables sont installés sur les rues et routes, 38% sont des pistes hors routes, notamment en région. « L’entretien nécessite alors des équipements plus petits en termes de largeur, mais aussi de dégagement », signale Marc Panneton. On parlera alors de camionnettes et de paveuses de plus petite dimension. « La machinerie doit souvent faire de longue distance en marche arrière pour quitter ou entrer dans le chantier… », prévient-il.

Cible 2030

Du point de vue de Vélo Québec, ce Grand Chantier est avant tout un travail de diagnostic et de réfection de la Route verte mené en collaboration avec les gestionnaires de la Route verte. Du côté du MTQ, avec la Politique de mobilité durable 2030, on vise une expansion de près de 900 km, en complétant des axes existants comme le Tour de la Gaspésie qui n’est pas encore achevé.

Du côté du MTQ, avec la Politique de mobilité durable 2030, on vise une expansion de la Route verte de près de 900 km, en complétant des axes existants comme le Tour de la Gaspésie qui n’est pas encore achevé.

Dans le plan d’action de la Politique de Mobilité durable du gouvernement du Québec, le cadre d’intervention en transport actif prévoit l’expansion de la Route Verte sur 875 km. Le chiffre impressionne, mais n’oublions pas qu’un segment (la Gaspésienne) n’est pas encore défini, ainsi qu’une partie dans Charlevoix.



« Nous devons encore travailler sur le tracé, trouver les passages appropriés vers l’est et le nord-est, et au-delà de Baie-Comeau », précise Nicolas Audet. « Nombre de segments de routes bénéficieront de travaux planifiés pour une mise aux normes en fonction de leurs débits de circulation (le rapport entre la vitesse, la fréquentation et la largeur des accotements). »

« La Route verte, c’est l’épine dorsale du Québec cyclable, affirme Nicolas Audet, car c’est à partir d’elle ou vers elle que se greffent en majorité de nombreuses voies cyclables. D’une certaine manière, poursuit-il, la Route verte est venue stimuler la création de projets cyclables. De nos jours, elle se rend aux frontières sud, ouest et sud-est et se connecte entre autres à la Waterfront Trail, en Ontario, le long des grands lacs, au Sentier Nouveau-Brunswick à partir du Témiscouata, au Lake Champlain Bikeway aux États-Unis, près de notre lac Champlain. Chaque province ou état, conclut Nicolas Audet, veille à la promotion de ses connections. » ■