MAGAZINE CONSTAS

Investir dans les infrastructures partout au Québec

Entrevue avec Sonia LeBel Présidente du Conseil du trésor et ministre responsable de l’Administration gouvernementale

Photo : Sonia LeBel, en avril dernier, présentant le Plan d’action pour le secteur de la construction. CR : Secrétariat du Conseil du trésor

L’objectif du projet de loi 66 est de raccourcir les délais entre la décision de construire une infrastructure et sa mise en chantier réelle.

Sonia LeBel est avocate et a été procureure aux poursuites criminelles et pénales durant plus de vingt ans. Elle fut particulièrement remarquée comme procureure en chef de la Commission Charbonneau de 2012 à 2015. Élue députée de la circonscription de Champlain aux élections générales du 1er octobre 2018, Sonia LeBel, d’abord nommée ministre de la Justice et procureure générale du Québec, est maintenant ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor. Elle a bien voulu répondre à nos questions dans le cadre, ce printemps, du congrès annuel de l’ACRGTQ.

Par Vicky Jobin

Sonia LeBel. CR : Secrétariat du Conseil du trésor

Q. Plusieurs grands économistes ont souvent parlé de la construction comme étant la locomotive de l’économie. Et c’est bien connu qu’en période de crise, il est opportun d’investir dans les infrastructures publiques. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est important, pour le gouvernement, d’investir dans les infrastructures publiques partout au Québec ?

R. C’est effectivement une recette éprouvée dans le monde entier : quand on a besoin de repartir une économie ou de la soutenir, l’investissement massif dans les infrastructures publiques a des effets bénéfiques. Je l’appelle la théorie des cercles concentriques : on met beaucoup d’argent dans un secteur clé comme celui de la construction et plusieurs secteurs connexes en profitent. Et, en même temps, on ajoute et on améliore des infrastructures importantes : des écoles, des routes, des hôpitaux, pour ne nommer que celles-là. Ces investissements ont un effet positif à tous les niveaux.

Le rôle du conseil du Trésor, souligne Sonia LeBel, est d’accompagner les donneurs d’ouvrage – ministères et organismes – pour trouver avec eux comment diversifier les modes d’octroi. Il faut intégrer aussi la notion d’innovation dans nos façons de procéder dans nos infrastructures publiques. C’est plus simple d’en discuter qu’à mettre en place. On le fera de façon graduelle, mais on est au cœur d’une réflexion sérieuse : une stratégie de marché public sera déposée au cours des prochaines semaines; on va travailler aussi sur la réglementation pour permettre plus de souplesse.

Avec la crise sanitaire, et un déficit annoncé pour cette année de 13 à 15 milliards $ qu’il faudra traîner de nombreuses années avant de pouvoir revenir à un équilibre, il était fort important pour le gouvernement d’avoir un plan de relance solide. Ériger des infrastructures exige du temps; on ne construit pas un pont, une route, un hôpital, en vingt-quatre heures. Ces travaux, qui s’inscrivent dans un projet global de relance, permettront une certaine pérennité dans nos investissements pour soutenir notre économie au cours des années post-pandémiques.

Q. J’aimerais maintenant qu’on parle de la Loi 66 concernant l’accélération de certains projets d’infrastructures. Pouvez-vous nous dire quels types de projets ont été retenus et sur quels critères ils l’ont été ?

R. Quand on investit massivement dans les infrastructures publiques, l’important, ce sont les mises en chantier. Il y a tout un processus à suivre avant d’y parvenir : la conception, la décision, la planification. Il nous faut passer à la réalisation le plus rapidement possible pour que les retombées économiques se fassent sentir. On a concentré nos priorités là où un grand besoin se faisait sentir : les écoles, les routes, les résidences pour aînés (on a pu constater avec la crise à quel point les CHSLD et les maisons d’hébergement en soin de longue durée étaient primordiaux). Nos critères étaient le niveau de nécessité d’une infrastructure pour les citoyens, mais aussi l’état d’avancement des travaux préliminaires. L’objectif du projet de loi 66 est de raccourcir les délais entre la décision de construire une infrastructure et sa mise en chantier réelle.



Q. Et quel sera le rôle de l’Autorité des marchés publics [AMP] dans ce contexte ?

R. Cette grande question a été particulièrement discutée lors du projet de loi 61, qui fut la première mouture de la loi 66. Une des craintes était qu’avec l’injection d’argent public et les nombreux contrats alloués, il y ait des possibilités de collusion. Par conséquent, dans le cadre du projet de loi 66, on a décidé d’augmenter les pouvoirs de l’AMP, entre autres en lui donnant des pouvoirs d’enquête sur les 180 projets à l’annexe du projet de loi 66, non seulement pour enquêter sur l’octroi des contrats, mais aussi sur leur gestion pendant la réalisation des travaux. L’AMP peut même recommander l’arrêt des travaux ou l’annulation d’un contrat si elle détecte des anomalies ou des irrégularités. Cette question de l’AMP est importante : il s’agit de l’organe de contrôle dont on s’est doté en matière de marché public depuis 2018. C’était la recommandation no 1 de la Commission Charbonneau, à laquelle j’ai participé, comme vous le savez, et je veux rester cohérente : il fallait absolument selon moi équilibrer cette accélération des projets par de meilleurs pouvoirs de surveillance. Le risque zéro n’existe pas, mais il faut, s’il y a des problèmes, de bons chiens de garde pour les détecter en temps opportun, ce qui permet d’agir pour éviter que ça dégénère.

Q. On aimerait vous entendre sur cette stratégie du gouvernement, en lien avec le Plan construction annoncé en avril, qui traite de main-d’œuvre, d’accès au marché public, de saine concurrence et de hausse du Plan québécois des infrastructures [PQI].



R. La préoccupation de l’intégrité des contrats publics et des marchés nous a conduits à des actions ciblées dans l’industrie de la construction, mais nous étions également préoccupés quant à la capacité des marchés de répondre à cette demande accrue. Si on augmente les investissements à l’intérieur du PQI et qu’on accélère les projets d’infrastructures, encore faut-il être capable de les réaliser. Le plan sur la construction annoncé il y a quelques semaines comprend des mesures pour améliorer la productivité de l’Industrie, pour accompagner nos entreprises, pour augmenter la capacité de nos petites et moyennes entreprises d’absorber plus de contrats publics et des contrats de plus grande envergure, entre autres par des virages technologiques et des soutiens à la modernisation, et par un meilleur accès à une main-d’œuvre compétente – et mon collègue Jean Boulet travaille très fort avec les partenaires concernés en vue de trouver des façons de mettre en place des passerelles pour cette requalification de la main-d’œuvre qui accéléreront, sans la bâcler, la reconnaissance de la compétence. L’objectif est d’aider l’Industrie et de l’accompagner afin qu’elle puisse répondre à cette injection de nouveaux contrats publics.

« Avec la crise sanitaire, et un déficit annoncé pour cette année de 13 à 15 milliards $ qu’il faudra traîner de nombreuses années avant de pouvoir revenir à un équilibre, il était fort important pour le gouvernement d’avoir un plan de relance solide. Ériger des infrastructures exige du temps; on ne construit pas un pont, une route, un hôpital, en vingt-quatre heures. Ces travaux, qui s’inscrivent dans un projet global de relance, permettront une certaine pérennité dans nos investissements pour soutenir notre économie au cours des années post-pandémiques. » – Sonia LeBel

Q. Toujours sur le thème de l’octroi des contrats, le gouvernement considère-t-il la possibilité de mieux les adapter aux travaux et aux types de chantier, plutôt que de s’en tenir à la règle du plus bas soumissionnaire ?

R. Je suis d’accord. Sans vouloir démoniser la règle du plus bas soumissionnaire, car elle restera toujours utile pour certains types de travaux, il est fort important que les donneurs d’ouvrage donnent plus de souplesse et offrent plus de modes d’acquisitions et de réalisations. Avec l’injection massive dans le domaine des infrastructures, il importe de réfléchir sur ces questions de façon globale. On a parlé de soutenir l’Industrie, mais encore faut-il que les donneurs d’ouvrage aient la capacité d’élargir leurs options. La loi sur les contrats publics comporte déjà d’autres options que celle du plus bas soumissionnaire, mais les donneurs d’ouvrage n’ont pas suffisamment remis en question cette règle traditionnelle. Il faut travailler en ce sens. Le rôle du conseil du Trésor est d’accompagner les donneurs d’ouvrage – ministères et organismes – pour trouver avec eux comment diversifier les modes d’octroi. Il faut intégrer aussi la notion d’innovation dans nos façons de procéder dans nos infrastructures publiques. C’est plus simple d’en discuter qu’à mettre en place. On le fera de façon graduelle, mais on est au cœur d’une réflexion sérieuse : une stratégie de marché public sera déposée au cours des prochaines semaines; on va travailler aussi sur la réglementation pour permettre plus de souplesse.

Q. On constate actuellement une forte fluctuation du prix des matériaux, comment le gouvernement compte-t-il agir afin d’atténuer les conséquences de ce problème ?



R. La réponse n’est pas simple. Il faut faire attention parce qu’on parle de l’offre et de la demande. La demande est plus forte sur certains matériaux. Qu’on pense à notre fameux bois de construction, le mythique 2 X 4, qui est très en demande parce qu’il y a un boom de construction aux États-Unis dont on en est un peu les victimes collatérales. On croit cependant qu’il y a une portion contextuelle à cette situation. Et vos membres n’ignorent pas toute la prudence dont un gouvernement doit faire preuve avant d’intervenir dans l’équilibre précaire de l’offre et de la demande. Il ne faut pas faire en sorte que nos actions exacerbent les problèmes au lieu de les résoudre.

Q. En terminant, on a évoqué tout à l’heure le PQI. Pouvez-vous nous dresser un portrait de l’avancement des projets ?

R. Le PQI, c’est le cadre des projets gouvernementaux d’infrastructures sur une période de dix ans. Quand on est arrivé au pouvoir, en 2018, le PQI planifiait pour 100 milliards $ de travaux d’infrastructures sur dix ans. Avant même la pandémie, on avait déjà comme objectif d’accélérer les travaux et d’investir massivement dans les infrastructures. On a augmenté à trois reprises le PQI : de 100 à 115 milliards $ la première année, à 130 milliards $ la deuxième, et à 135 milliards $ tout récemment. On a aussi augmenté de manière significative nos taux de réalisation. C’est un PQI ambitieux. Ces deux dernières années, le secteur de l’éducation a ramassé la part du lion. Cette année, on a misé beaucoup sur le transport collectif et le transport routier. Le PQI signale donc les priorités du gouvernement en plus de soutenir, en même temps, la relance économique. Il s’agit d’un outil très important dans le contexte actuel. ■

(Propos mis en forme pour Constas par Jean Brindamour.)