MAGAZINE CONSTAS

L’IA et la construction de la cité

De la théorie à l’application

FOCUS / L’intelligence artificielle et la construction 4.0

« L’IA fait des choses qui ressemblent à ce qu’un humain pourrait faire. Mais elle le fait plus vite et mieux. Au bout du compte, elle augmente notre efficacité et nous permet de faire beaucoup moins d’erreurs. » – Isabelle Dépatie

Directrice du laboratoire de recherche appliquée d’Element AI, Isabelle Dépatie a dirigé des équipes multi­disciplinaires dans des champs de spécialisation divers tels l’aéronautique, la microélectronique, les piles à hydrogène et, maintenant, l’intelligence artificielle (IA). Son travail consiste à développer des technologies et à les amener à l’étape de la production, bref à concrétiser l’idée, la conception purement théorique, et à la rendre applicable. Constas a rencontré Isabelle Dépatie d’Element AI.

Par Jean Brindamour

Isabelle Dépatie,
directrice du laboratoire de recherche appliquée d’Element AI

Qu’est-ce donc au juste que l’IA ? On ne s’entend guère sur une définition consensuelle. « C’est une expression qui est maintenant à la mode, explique Mme Dépatie. Mais en réalité l’IA existe depuis longtemps. Certains disent que le plus important de ces deux mots est “artificielle”. Le domaine d’expertise de l’IA, c’est généralement l’informatique. Ça réfère à des algorithmes, à des logiciels. L’IA fait des choses qui ressemblent à ce qu’un humain pourrait faire. Mais elle le fait plus vite et mieux. Au bout du compte, elle augmente notre efficacité et nous permet de faire beaucoup moins d’erreurs. La qualité du travail est améliorée. Avec des ordinateurs de plus en plus puissants, on accroît notre capacité d’analyse et on l’accélère. Un jour prochain, avec les ordinateurs quantiques, on fera beaucoup plus d’analyse en beaucoup moins de temps. Il n’en reste pas moins que l’IA doit constamment suivre l’intelligence humaine. On a tort de craindre que les machines puissent nous remplacer. On en est loin, qu’on parle de robots, de drones ou de l’IA en général. L’IA fait ce qu’on lui dit de faire, simplement avec une capacité beaucoup plus grande que l’humain. C’est encore l’humain qui joue le rôle principal – il n’y a pas de conscience dans l’IA –, mais nous devenons capables, grâce à elle, d’aller beaucoup plus rapidement. »

« L’IA est particulièrement efficace dans tout ce qui est image. Une expérience a été faite en médecine, pour des diagnostics de cancer, et après que sept experts eurent analysé des tests, l’IA a obtenu de meilleurs résultats qu’eux. Tout simplement parce que sa capacité dans l’analyse d’images est supérieure. Si on fait un parallèle avec le monde de la construction, on peut imaginer l’inspection d’un bâtiment par infrarouge à l’aide d’un drone capable de percevoir des faiblesses dans ses structures, indiscernables aux yeux d’un expert. »  – Isabelle Dépatie

On peut imaginer l’inspection d’un bâtiment par infrarouge à l’aide d’un drone capable de percevoir des faiblesses dans ses structures, indiscernables aux yeux d’un expert. » –Isabelle Dépatie

 

Les bienfaits de l’IA ne s’arrêtent pas là. « Il y a aussi des avantages écologiques au sens large à l’IA, poursuit la chercheuse. En optimisant, par exemple, l’efficacité d’un réseau de transport, grâce à des calculs que l’humain seul ne saurait mener à bien, non seulement parvient-on à sauver de l’argent, mais aussi à diminuer l’empreinte écologique. »

Applications actuelles et futures

« L’IA est particulièrement efficace dans tout ce qui est image. Une expérience a été faite en médecine, pour des diagnostics de cancer, et après que sept experts eurent analysé des tests, l’IA a obtenu de meilleurs résultats qu’eux. Tout simplement parce que sa capacité dans l’analyse d’images est supérieure. Si on fait un parallèle avec le monde de la construction, on peut imaginer l’inspection d’un bâtiment par infrarouge à l’aide d’un drone capable de percevoir des faiblesses dans ses structures, indiscernables aux yeux d’un expert. Et celui qui utiliserait ce drone serait en somme plus efficace que sept spécialistes, tout en étant moins compétent qu’eux. »



« L’IA peut être également très utile pour gérer la planification du temps, pour chercher des anomalies dans des produits manufacturés, et ainsi de suite. Elle est aussi abondamment utilisée sur le Web. Qu’on pense au magasinage sur Amazon, aux publicités ciblées sur les goûts et les besoins de chacun qu’elle permet. »

« Le monde de la construction est généralement assez conservateur. Ça ne veut pas dire que l’IA ne puisse y jouer un rôle de plus en plus grand dans l’avenir.  » – Isabelle Dépatie

« Le monde de la construction est généralement assez conservateur. Ça ne veut pas dire que l’IA ne puisse y jouer un rôle de plus en plus grand dans l’avenir. Qu’il s’agisse de l’utilisation des ressources, de la gestion du savoir, de la formation du personnel, de l’utilisation de drones pour l’inspection de structures, on peut imaginer plusieurs applications. Aujourd’hui, les batteries des drones ont encore une durée très limitée, mais elles sont appelées à s’améliorer. »

La pascaline, considérée comme la première machine à calculer, conçue en 1642 par Blaise Pascal (1623-1662), et dont un premier prototype fut réalisé en 1645. Sur la photo, un prototype daté de 1652 qu’on peut voir au Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

« Dans l’avenir, on pourrait par exemple établir le design d’une maison, avec une architecture optimisée, grâce aux données compulsées par un ordinateur des profils types de maisons préférés par un client. L’essentiel est toujours de prendre le temps de bien entraîner notre modèle. Encore une fois, l’IA dépend entièrement de l’humain. Elle n’a pas de conscience. »



Arrivera-t-on à créer une IA dotée d’une conscience ? « Les limites de l’IA sont difficiles à déterminer, répond la chercheuse. Personnellement, j’ignore comment on pourrait créer une conscience. Peut-être aura-t-on un jour des surprises. Mais rien, pour le moment, ne soutient l’hypothèse d’une IA qui pourrait être consciente d’elle-même. » Isabelle Dépatie est ainsi en accord avec un pionnier de l’intelligence artificielle, Blaise Pascal (1623-1662) : « La machine d’arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu’elle a de la volonté comme les animaux. » « Si on se projette dans l’avenir, selon Mme Dépatie, on peut imaginer plusieurs scénarios, mais le plus probable est que l’IA servira à améliorer la vie des humains. Dans notre laboratoire, il y a des anthropologistes et des sociologues qui partagent cet avis : l’IA pourrait nous aider à devenir plus humain. » La conclusion vient d’elle-même : l’IA sera, pour le meilleur ou pour le pire, ce que l’humanité en aura fait. •