MAGAZINE CONSTAS

Un pont qui rayonne autour du monde

Du côté d’Infrastructure Canada : Entretien avec l’ingénieur en chef du pont Samuel-De Champlain, Guy Mailhot

Le célèbre magazine américain Roads & Bridges a donné au nouveau pont, en novembre 2018, le prix du meilleur projet de pont en Amérique du Nord.

Si quelqu’un a incarné plus que quiconque le grand projet du nouveau pont Champlain, de sa naissance à sa complète réalisation, c’est bien Guy Mailhot, l’ingénieur en chef du projet à Infrastructure Canada, qui a participé à toutes ses étapes : étude de préfaisabilité, appel de qualification, rédaction des exigences pour le consortium en charge, supervision de la construction, etc. Constas l’a rencontré.

par Jean Brindamour

«The World’s  Toughest Bridge» (Science Channel, série Building Giants)

Guy Mailhot

Q. Le 5 octobre 2011, le gouvernement du Canada a annoncé que le pont Champlain sera remplacé par un nouveau pont. À l’époque, les principales composantes techniques du projet n’en étaient encore qu’aux préliminaires. Étiez-vous impliqué dans cette partie « préliminaire »? Et depuis quand ?

R. J’ai été impliqué dès le début du projet. D’abord dans l’étude de préfaisabilité confiée par Les ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (j’y occupe le poste de directeur principal, ingénierie) au consortium BCDE en 2009. À l’époque, on a examiné les solutions « pont » et les solutions « tunnel ». On a jugé dès le début de 2011 [le rapport de préfaisabilité est paru en mars 2011] que l’option pont était le bon choix.

Au moment de l’annonce du gouvernement, certains éléments techniques et financiers avaient déjà été identifiés, mais on n’avait considéré que la construction du pont lui-même et non toutes les composantes complémentaires, comme le nouveau pont de l’Île-des-Sœurs ou la reconstruction et l’élargissement de la section fédérale de l’autoroute 15.

Q. Deux ans plus tard, en octobre 2013, c’est Arup Canada qui est mandatée par Infrastructure Canada pour élaborer la forme et la géométrie que devront obligatoirement avoir les composantes architecturales essentielles du nouveau pont. Que s’est-il passé entre octobre 2011 et octobre 2013 ?

R. Beaucoup de choses. L’évaluation environnementale a débuté en avril 2012. C’est en 2012, que le dossier d’affaires a été monté par un consortium dirigé par PricewaterhouseCoopers. On a préparé le terrain pour la firme d’ingénierie. Plusieurs études géotechniques ont été menées. La cartographie du site a été mise au point. Il a fallu faire déplacer les pylônes d’Hydro, acquérir des terrains, mettre en place des ententes avec les partenaires. C’est un énorme travail.



Q. Parlez-nous de la collaboration avec la firme Arup ?

R. Arup a retenu la firme danoise Dissing+Weitling et la firme montréalaise Provencher Roy pour mener à bien leur mandat. Arup a répondu à des demandes précises de notre part. La firme avait la responsabilité de définir la vision de design du pont, ce qui comprenait le type d’ouvrage et la forme extérieure. Le choix des matériaux, les aspects non visibles du pont allaient être la responsabilité de ceux qui réaliseraient le projet. Avec le travail d’Arup, on a défini ce qu’on voit. C’était important pour le ministre à l’époque : « What you see is what you get »



Q. Le 17 mars 2014, le gouvernement du Canada a affiché la demande de qualification pour le partenariat public-privé du projet sur son site web achatsetventes.gc.ca. Des consortiums se sont alors formés. Aviez-vous déjà préparé un appel de qualification, pour un projet d’une ampleur aussi extraordinaire ?

R. Ça n’arrive pas souvent dans la carrière d’un ingénieur. Et ça ne se fait pas seul. La demande a été préparée par une équipe intégrée qui comprenait Arup, un élément clé dans la préparation des documents, ainsi que PricewaterhouseCoopers. Certaines exigences techniques étaient formulées par le gouvernement. Par exemple, la durée de 125 ans, ainsi que la piste cyclable.

« C’est certainement l’échéancier qui a dominé le projet à toutes ses étapes. Au début, on devait terminer le nouveau pont en 2021. Mais l’état du vieux pont a nécessité de nouveaux délais. C’était clair pour Arup et pour tous les autres que l’échéance devait être respectée. Des dates précises étaient fixées pour chaque étape. On n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre. Et les délais ont été respectés. » – Guy Mailhot

Q. En juin 2014, l’étape de la qualification est terminée. C’est maintenant celle des propositions. De la remise de la demande de proposition aux soumissionnaires en juillet 2014 jusqu’à la signature de la Convention relative au projet en juin 2015, que s’est-il passé ? Y a-t-il eu des discussions avec les soumissionnaires?

R. Effectivement. Dans la première version de l’appel, les soumissionnaires avaient l’opportunité de poser des questions. Dans la nouvelle version, lancée le 27 janvier 2015, ils pouvaient, s’ils le voulaient, nous rencontrer de façon confidentielle, en présence d’un surveillant à l’intégrité, Les remarques ou les suggestions étaient bienvenues. Toutefois, sur le volet architectural, on ne leur a pas laissé une grosse marge de manœuvre. En vertu du principe: « What you see is what you get ».

« C’était clair qu’on voulait accorder autant d’importance à l’environnement et la santé et sécurité qu’aux délais. D’ailleurs, les deux cents recommandations de l’étude environnementale avaient été intégrées au document d’appel d’offres. Pour ce qui est de la santé et sécurité, dans le contexte d’un PPP, on assume certains risques, et d’autres sont assumées par l’entreprise privée, la première responsable. » – Guy Mailhot

Q. Un mot sur les échéanciers. Ils étaient assez serrés à cause de l’état du vieux pont Champlain. N’y a-t-il pas eu là une difficulté supplémentaire ?

R. C’est certainement l’échéancier qui a dominé le projet à toutes ses étapes. Au début, on devait terminer le nouveau pont en 2021. Mais l’état du vieux pont a nécessité de nouveaux délais. C’était clair pour Arup et pour tous les autres que l’échéance devait être respectée. Des dates précises étaient fixées pour chaque étape. On n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre. Et les délais ont été respectés.



Q. Et qu’en est-il des exigences environnementales et de celles sur la santé-sécurité qui devaient composer avec ces délais très serrés ?

R. C’était clair qu’on voulait accorder autant d’importance à l’environnement et la santé et sécurité qu’aux délais. D’ailleurs, les deux cents recommandations de l’étude environnementale avaient été intégrées au document d’appel d’offres.
Pour ce qui est de la santé et sécurité, dans le contexte d’un PPP, on assume certains risques, et d’autres sont assumées par l’entreprise privée, la première responsable.

Q. Et aujourd’hui quel est votre bilan ? Êtes-vous fier de cette réalisation ?

R. Tous ceux qui ont participé à la construction du pont sont extrêmement fiers, moi le premier. Les gens m’arrêtent au coin de la rue pour me dire combien ils le trouvent beau. Et on a reçu plusieurs prix. La publication américaine très bien connue Roads & Bridges Magazine a donné en novembre 2018 le prix du meilleur projet de pont en Amérique du Nord. Science Channel a consacré récemment, dans sa série Building Giants, une émission entière à ce nouveau pont (« The World’s Toughest Bridge »), soulignant les exigences qu’impose un rude climat. Et j’en passe. Le pont Samuel-De Champlain bénéficie d’un rayonnement international .