MAGAZINE CONSTAS

L’Autorité des marchés publics (AMP) est née

Constas s'entretient avec Me Denis Gallant, son premier PDG

« En adoptant la recommandation de la Commission Charbonneau de créer une Autorité des marchés publics, on reconnaissait l’importance de la transparence, de l’équité et de la saine concurrence. » — Me Denis Gallant

Me Denis Gallant
est devenu officiellement
le premier président-directeur général de l’Autorité des marchés publics (AMP) le 25 juillet 2018.

Procureur vedette de la commission Charbonneau et ex-inspecteur général de Montréal – il a été le premier responsable du Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal (BIG) de 2014 à 2018 –, Me Denis Gallant est devenu officiellement le premier président-directeur général de l’Autorité des marchés publics (AMP) le 25 juillet 2018. Constas l’a rencontré pour discuter de la mission de ce nouvel organisme.

Par Jean Brindamour

Q. Parmi les 60 recommandations incluses dans le rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC), l’une en particulier a été retenue et elle est de taille, celle de créer une Autorité des marchés publics (AMP). Pour le bénéfice de nos lecteurs, pourriez-vous nous préciser si l’AMP est appelée en quelque sorte à remplacer l’Autorité des marchés financiers (AMF) ? Y a-t-il transfert des dossiers, tel le Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA) ?

R. L’AMP ne remplacera pas l’AMF. Celle-ci a plusieurs mandats dont elle va continuer à s’occuper. Notamment l’encadrement des marchés de valeurs mobilières. Il est à noter que c’est en décembre 2012, en pleine commission Charbonneau, que la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics a été adoptée. Cette loi a mis en place un mécanisme d’autorisation à contracter visant les entreprises voulant faire affaire avec le Gouvernement et les municipalités. A ce moment, l’État a décidé de confier l’application de cette loi à l’AMF en sus de ses autres mandats.

Il faut se garder de confondre le RENA et le REA. Le Registre des entreprises non admissibles (RENA) n’a jamais été administré par l’AMF, mais plutôt par le Secrétariat du conseil du trésor (SCT). Il s’agit d’un registre qui existe depuis juin 2012 et les entreprises qui y figurent n’ont tout simplement pas le droit, pour une période minimale de 5 ans, de contracter avec l’État ou une municipalité peu importe la valeur du contrat. De son côté, le Registre des entreprises autorisés (RÉA) énumère les entreprises qui ont obtenu leur autorisation de contracter.

À partir du 28 janvier 2019, l’AMP aura la responsabilité des deux registres en lieu et place de l’AMF et du SCT. Comme l’AMP sera un pôle d’expertise en matière de contrats publics, il était logique et naturel de lui confier le mandat d’autoriser les entreprises à contracter. D’ailleurs la CEIC en a fait une recommandation spécifique dans son rapport déposé en 2014.

Selon l’article 29 de la Loi 108, l’AMP a pouvoir, au terme d’une vérification ou d’une enquête, de suspendre, pour la durée qu’elle fixe, l’exécution de tout contrat public ou de résilier ledit contrat si elle est d’avis que la gravité des manquements constatés au regard de la gestion contractuelle justifie une telle suspension ou un telle résiliation.

Tout a été mis en œuvre afin d’assurer la continuité des activités et la transition nécessaire à l’égard de l’application des dispositions de la Loi sur les contrats des organismes publics relativement aux autorisations de contracter. De plus la loi prévoit spécifiquement que les employés de l’AMF qui sont affectés à ces dossiers deviennent, à compter du 28 janvier 2019, des employés de l’AMP. Environ 20 personnes seront ainsi transférées en janvier prochain.

Q. Pourquoi la CEIC a-t-elle cru bon de proposer la création d’un nouvel organisme comme l’AMP ?

R. Dans son rapport la CEIC proposait de reconfigurer le secteur des marchés publics au Québec en centralisant une expertise d’analyse et de contrôle au sein d’une Autorité des marchés publics (AMP) et ainsi soutenir les donneurs d’ouvrage publics dans l’exercice de leurs responsabilités contractuelles.

Selon la CEIC, en créant l’AMP, le législateur enverrait un message puissant quant à l’importance qu’il accorde à l’octroi et à la bonne gestion des contrats publics et transmettrait aussi un avertissement sans équivoque aux acteurs déviants des secteurs public et privé.

En adoptant la recommandation de la Commission Charbonneau de créer une Autorité des marchés publics, on reconnaissait l’importance de la transparence, de l’équité et de la saine concurrence. Les nombreux témoignages entendus à la CEIC ont démontré à quel point nos marchés publics étaient vulnérables aux actes frauduleux et collusoires ayant comme conséquence le détournement de plusieurs millions de dollars.

Le fait d’avoir un organisme ultra spécialisé en matière de marchés publics doté de pouvoirs de vérifications, d’enquêtes et d’ordonnances est, à mon avis, une excellente police d’assurance afin de nous protéger collectivement contre les dérives exposées lors des audiences de la CEIC.

Q. Les critiques soutenaient à l’époque que la Loi 108 ne donnait pas assez de pouvoir à l’AMP, parce qu’elle n’aurait qu’un pouvoir de recommandation envers les municipalités. Que répondez-vous à ces critiques ?

R. Le législateur a fait le choix que lorsque la vérification ou l’enquête concerne un organisme municipal, toute décision de l’Autorité prend la forme d’une recommandation au conseil de l’organisme. Il s’agit d’un choix du législateur et il serait tout à fait inapproprié pour le PDG de l’AMP de le critiquer. De plus les élus de l’Assemblée Nationale ont adopté la loi à l’unanimité.

« Les nombreux témoignages entendus à la CEIC ont démontré à quel point nos marchés publics étaient vulnérables aux actes frauduleux et collusoires ayant comme conséquence le détournement de plusieurs millions de dollars. »

Q. La mission de l’AMP consistera en la surveillance de la passation et de l’adjudication des contrats publics du gouvernement du Québec, des ministères, des organismes, de la société d’État et des municipalités, sauf Montréal. Pourquoi Montréal fait exception ?

R. Car Montréal a un inspecteur général avec des pouvoirs similaires à l’AMP. Comme l’expérience du Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal (BIG) a produit des résultats positifs depuis maintenant près de 5 ans, le législateur québécois a choisi plutôt de donner au BIG des pouvoirs supplémentaires plutôt que de lui en enlever.

Q. L’AMP aura-t-elle accès à toutes les informations au sein des ministères ?

R. La loi prévoit que l’AMP a des pouvoirs d’inspections et d’ordonnance de production de renseignements et de documents à l’égard des organismes publics qu’elle est chargée de surveiller. Dans certains cas précis, les enquêteurs auront des pouvoirs de commissaire-enquêteur au sens de la loi sur les commissions d’enquête.

Q. Y aura-t-il collaboration avec l’UPAC ?

R. Il y aura effectivement des liens avec l’UPAC. En ce qui concerne le mandat de l’AMP de délivrer des autorisations de contracter, les enquêtes concernant la probité des entreprises continueront d’être faites par l’équipe du Commissaire-associé aux vérifications de l’UPAC.

« Le fait d’avoir un organisme ultra spécialisé en matière de marchés publics doté de pouvoirs de vérifications, d’enquêtes et d’ordonnances est, à mon avis, une excellente police d’assurance afin de nous protéger collectivement contre les dérives exposées lors des audiences de la CEIC. » — Me Denis Gallant

Q. Où en êtes-vous dans l’organisation et la mise en place de l’AMP ? Le 25 janvier, c’est bientôt.

R. Les opérations de l’AMP ne débuteront pas toutes le 25 janvier 2019. Un pan important de nos activités sera le traitement des plaintes relativement à un processus d’adjudication d’un contrat public. Les articles pertinents de la Loi relatifs au processus de traitement des plaintes n’entreront en vigueur que le 25 mai 2019. Au départ, le principal enjeu sera d’assurer une transition parfaite dans la reprise des activités de l’AMF concernant la délivrance des autorisations de contracter. Il ne faut absolument pas qu’il y ait de coupure de service ou de retards injustifiés en raison du transfert de responsabilités vers l’AMP. •


Quelques dates importantes .

 

Le 8 juin 2016 : présentation du projet de loi no 108 favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics;
Du 20 au 29 septembre 2016 : consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi no 108;
Le 1er décembre 2017 : adoption et sanction de la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics;
Le 14 juin 2018 : nomination par l’Assemblée nationale de Me Denis Gallant à titre de premier président-directeur général de l’AMP;
Le 25 juillet 2018 : entrée en fonction du premier président-directeur général de l’AMP.

Référence : www.amp.gouv.qc.ca/a-propos/

Extrait de la loi 108.
En ce qui concerne les ministères et organismes du gouvernement en passant par les sociétés d’État, l’article 29 de la Loi 108 spécifie que l’AMP a les pouvoirs énumérés ci-dessous.
Au terme d’une vérification ou d’une enquête, l’Autorité peut:
1) ordonner à l’organisme public de modifier, à la satisfaction de l’Autorité, ses documents d’appel d’offres public ou d’annuler l’appel d’offres public lorsqu’elle est d’avis que les conditions de l’appel d’offres n’assurent pas un traitement intègre et équitable des concurrents, ne permettent pas à des concurrents d’y participer bien qu’ils soient qualifiés pour répondre aux besoins exprimés ou ne sont pas autrement conformes au cadre normatif;
2) ordonner à l’organisme public de ne pas donner suite à son intention de conclure de gré à gré un contrat public lorsqu’elle est d’avis qu’un plaignant ayant manifesté son intérêt est en mesure de réaliser ce contrat selon les besoins et les obligations énoncés dans l’avis d’intention, l’organisme devant alors recourir à l’appel d’offres public s’il entend conclure ce contrat;
3) ordonner à l’organisme public de recourir à un vérificateur de processus indépendant pour les processus d’adjudication qu’elle indique;
4) désigner une personne indépendante pour agir à titre de membre d’un comité de sélection pour l’adjudication d’un contrat public qu’elle indique;
5) ordonner, malgré toute interdiction de divulguer des renseignements relatifs à l’identité d’un membre d’un comité de sélection ou permettant d’identifier ce membre comme tel, que l’organisme public lui transmette, pour approbation, la composition des comités de sélection pour les processus d’adjudication qu’elle indique;
6 ) lorsqu’elle exerce les fonctions qui lui sont dévolues en application du paragraphe 4° du premier alinéa de l’article 21, suspendre, pour la durée qu’elle fixe, l’exécution de tout contrat public ou résilier un tel contrat si elle est d’avis que la gravité des manquements constatés au regard de la gestion contractuelle justifie la suspension ou la résiliation.
De plus, à la suite d’une décision rendue en vertu des paragraphes 1° ou 2° du premier alinéa, l’Autorité requiert de l’exploitant du système électronique d’appel d’offres qu’il y inscrive, sans délai, une mention décrivant sommairement cette décision.