Au final, les entreprises québécoises ont réussi à se démarquer, puisque le projet devrait contenir plus de 65 % de contenu local, soit plus de 4 G $ de contenu québécois, dont 2 G $ en salaires versés. — Macky Tall
Le 8 février 2018, la réalisation du plus grand projet de transport collectif depuis le métro de Montréal a été lancée. La longueur du tracé du Réseau express métropolitain (REM), 67 km, en fait le quatrième plus grand réseau de transport automatisé au monde après ceux de Singapour (82 km), Dubaï (80 km) et Vancouver (68 km). Le REM inclura vingt-six stations dans un seul réseau de transport intégré, connecté aux autobus, aux trains de banlieue (lignes Mascouche et Saint-Hilaire) et au métro de Montréal (ligne bleue, verte et orange). La technologie sera celle d’un métro léger entièrement automatisé et électrique, sans conducteur, puisque géré par un centre de contrôle. Les deux consortiums privilégiés sont le Groupe NouvLR et le Groupe des Partenaires pour la Mobilité des Montréalais (PMM). Le Groupe NouvLR, composé de SNC Lavalin Grands Projets Inc., Dragados Canada Inc., Groupe Aecon Québec Ltée, Pomerleau Inc. et EBC Inc. a obtenu le contrat d’ingénierie, d’approvisionnement et de construction des infrastructures (IAC). Quant au Groupe PMM, constitué d’Alstom Transport Canada Inc. et de SNC-Lavalin O&M Inc., il a remporté le contrat de fourniture du matériel roulant, de systèmes et de services d’exploitation et de maintenance (MRSEM).
Par Jean Brindamour
Les deux consortiums sélectionnés devront raccorder leurs propositions respectives dans les prochains mois, ce qui permettra de finaliser le calendrier pour le début des travaux au printemps prochain. Mais CDPQ Infra, la filiale en propriété exclusive de la Caisse de dépôt et placement du Québec responsable du développement et de l’exploitation de projets d’infrastructures, sera toujours dans le portrait : « Une compagnie de projet sera créée prochainement, note Jean-Vincent Lacroix, directeur, relations médias à CDPQ Infra, afin de diriger les deux consortiums pour la réalisation du REM. Cette compagnie de projet travaillera en étroite collaboration avec l’ensemble des municipalités et des partenaires du projet. »
Le coût prévu est d’environ 6,3 milliards de dollars, la Caisse contribuant pour 2,95 milliards $ et les gouvernements canadien et québécois pour 1,28 milliards $ chacun. Afin d’éviter un dépassement des coûts, le projet de parcours initial, en collaboration avec les consortiums, a été modifié. Des solutions plus économiques et techniquement moins risquées ont aussi été adoptées. Le REM, dont la construction débutera en avril 2018, devrait entrer en fonction au cours de l’été 2021.
Le gouvernement québécois a accepté de céder sa part à la Caisse de dépôt sur les premiers 8 % de rendement. Ottawa de même. « Le nouveau modèle proposé est clé en main, explique Macky Tall, président et chef de la direction de CDPQ Infra, alors que le développement, la planification, le financement, la construction et l’opération future sont gérées par CDPQ Infra au sein de ce nouveau modèle. »
Le temps des PPP et du clé en main
« Actuellement, la tendance est aux PPP, aux projets clé en main, souligne Marie-Claude Houle, présidente d’EBC (l’un des membres du Groupe NouvLR) et, depuis janvier 2018, présidente de l’ACRGTQ. Le coût de préparation d’une soumission est énorme : il faut payer des ingénieurs, des architectes. Il faut aussi engager des avocats pour les ententes avec les partenaires et avec le client. C’est extrêmement onéreux et c’est beaucoup plus de temps de préparation qu’un contrat forfaitaire ordinaire. Normalement les clients retiennent trois ou quatre groupes, cela donne une chance sur trois ou sur quatre d’obtenir un contrat. Dans le cas du REM, on avait une chance sur deux. Cela augmentait nos chances de gagner. Pour un projet de plusieurs milliards comme celui-là, c’est normal que les entreprises se regroupent. EBC aurait pu choisir d’être un sous-traitant. C’est plus simple et plus facile. Mais à ce moment-là, on n’aurait pas pu participer en tant que partenaire. Le sous-traitant n’est pas en contrôle. L’avantage d’être dans le consortium, c’est que tu contrôles les décisions. Et puis, tu développes une expertise. On voulait, chez EBC, développer notre expertise dans les projets clé en main. Il y en aura de plus en plus. »
C’est depuis le 15 janvier 2015 que la Caisse de dépôt et de placement s’est vu confier par le gouvernement du Québec la responsabilité de la réalisation et de l’exploitation d’infrastructures. « La Caisse investit en infrastructure avec succès depuis près de 20 ans. Le succès de la Canada Line en est un bel exemple. Avec sa filiale CDPQ Infra, signale Macky Tall, président et chef de la direction chez CDPQ Infra, la Caisse cherche à se démarquer en développant une équipe de calibre mondiale qui pourra à la fois financer, mais aussi développer de A à Z des projets (greenfield). Le REM est le premier projet de cette nouvelle filiale et deviendra une vitrine sur la scène internationale. Déjà, on constate certains résultats probants et prometteurs, à titre d’exemple, le développement, la planification, le financement du REM, ainsi que l’ensemble de la consultation et la coordination avec les partenaires et différents organismes, ont été réalisés en moins de deux ans, ce qui est un accomplissement important de la part de l’équipe et de nos partenaires, qui ont contribué à rendre cela possible. »
Des risques calculés
On peut se demander comment parvenir à s’assurer de la rentabilité d’un projet de cette envergure. N’y a-t-il pas nécessairement des imprévus ? « Une cartographie rigoureuse de l’ensemble des risques a été réalisée, indique Macky Tall, par la suite un partage adéquat de ces risques a été effectué entre les différents partenaires, CDPQ Infra et les consortiums. Cette cartographie nous a ainsi permis de bien identifier, cerner et contrôler ces risques. Ce travail vient de l’adéquation de l’expertise locale développée au sein du portefeuille Infrastructure de la Caisse depuis près de 20 ans, jumelée à celle d’experts ayant participé à des projets similaires dans le monde, et avec succès, comme la Canada Line à Vancouver. »
Le gouvernement québécois a accepté de céder sa part à la Caisse de dépôt sur les premiers 8 % de rendement. Ottawa de même. « Le nouveau modèle proposé est clé en main, poursuit Macky Tall, alors que le développement, la planification, le financement, la construction et l’opération future sont gérées par CDPQ Infra au sein de ce nouveau modèle. Le risque d’achalandage, et donc les revenus futurs, est aussi à la charge de CDPQ Infra. Dans ce contexte, le modèle financier inclut effectivement un tel partage des rendements qui reflète le partage du risque. Il faut toutefois préciser que nos projections actuelles visent un rendement entre 8 et 9 % pour la Caisse et 4 % pour les deux gouvernements. Nous sommes confiants de réaliser ces rendements au bénéfice de tous nos partenaires.
Une concurrence maximale
L’octroi à la multinationale française Alstom pour construire les 200 voitures au lieu de Bombardier a fait beaucoup parler. Macky Tall s’explique : « Il a été décidé lors du lancement du projet en avril 2016 de favoriser une concurrence maximale pour obtenir le meilleur service et la meilleure qualité au meilleur prix, considérant également l’ampleur d’un projet comme le REM (6,3 milliards $). Au final, les entreprises québécoises ont réussi à se démarquer, puisque le projet devrait contenir plus de 65 % de contenu local, soit plus de 4 milliards $ de contenu québécois, dont 2 milliards $ en salaires versés. On parle de plus de 34 000 emplois durant la construction et de 1 000 emplois permanents et de la création à long terme d’un nouveau pôle d’expertise et d’excellence en transport collectif automatisé pour plus de 50 ans. » •