MAGAZINE CONSTAS

Le barrage de Glen Canyon

Petite histoire d’un grand ouvrage

Haut de 220 mètres, le barrage de Glen Canyon est le deuxième en importance sur le fleuve Colorado, derrière le barrage Hoover. Sa construction, qui s’échelonnera de 1956 à 1963, s’annonce à ce point complexe que seules trois firmes répondront à l’appel d’offres lancé par le Bureau of Reclamation, l’organisme responsable des projets hydroélectriques dans l’ouest des États-Unis. Retour sur un mégachantier qui a marqué son époque.

Par Marie Gagnon

Cent huit millions de dollars américains. C’est la valeur du marché conclu entre le United States Bureau of Reclamation (USBR) et la firme Merritt-Chapman Scott, pour la construction du complexe hydroélectrique Glen Canyon, sur le fleuve Colorado. Une somme relativement peu élevée pour un tel chantier, même dans les années 1950. Et pour cause : le projet inclut non seulement les ouvrages de retenue et les installations hydroélectriques, mais également l’aménagement de la ville de Page, qui logera les travailleurs et leurs familles, le prolongement de la route 89 ainsi que la construction d’un pont pour réunir les deux segments de route.

Tout un programme, donc, qui s’amorce en 1956 avec la construction d’une passerelle de 390 mètres (m) pour permettre aux quelque 2 500 travailleurs qui œuvreront au chantier de traverser le fleuve, indiquent les archives du USBR. Constituée d’un platelage de treillis métallique et suspendue par des câbles d’acier tendus entre les rives, cette passerelle est mise en place en 60 jours seulement. Mais il s’agit d’un ouvrage temporaire. L’année suivante, en mai, la société californienne Kiewit-Judson Pacific Murphy amorce l’assemblage du pont de Glen Canyon. Culminant à 213 m et longue de 387,4 m, cette structure d’acier sera mise en service en février 1959.

Un sursis de 20 ans Réalisé notamment pour contenir les crues périodiques du fleuve Colorado et soutenir l’agriculture dans la région, le barrage de Glen Canyon vient de se voir accorder un sursis de 20 ans par le gouvernement américain, rapportait l’Associated Press en décembre dernier. Ses détracteurs ne sont pas du même avis. Ils considèrent l’ouvrage obsolète et jugent que son réservoir, le lac Powell, est trop poreux pour contenir efficacement l’eau du fleuve, qui s’évapore en outre à la vitesse grand V, et faire tourner ses huit turbines qui génèrent annuellement 5 térawatts-heure.

 

Dompter le Colorado

Entre-temps débute la dérivation du fleuve, qui nécessitera le percement de deux galeries longues de 823 m et d’un diamètre de 12,5 m. Tandis que la galerie de dérivation Est servira à réguler le débit naturel du fleuve, la galerie Ouest, située 10 m au-dessus du niveau de l’eau, sera mise à contribution uniquement en période de crue. Le premier sautage a lieu en octobre 1956.

Toutefois, le grès qui forme les falaises du canyon est sujet à l’écaillage. Pour stabiliser les parois, des centaines de trous d’une profondeur allant jusqu’à 22 m sont forés dans la pierre. Des boulons d’ancrage à expansion sont ensuite insérés dans chaque trou et maintenus en place par des injections de béton. À mesure que l’excavation progresse, les matériaux granulaires sont acheminés en amont pour former les batardeaux qui serviront à diriger les flots vers la galerie Ouest, une fois les tunnels terminés. Ce sera chose faite en février 1959.

La construction du barrage démarre aussitôt avec l’excavation des fondations jusqu’au roc, à 41,7 m sous le lit du fleuve. Une première série de coffrages est ensuite mise en place. Ces coffrages de bois renforcés d’acier en imposent par leurs dimensions : d’une épaisseur de 18 m, ils font 2,3 m de hauteur et 64 m de longueur. À mesure que le bétonnage progressera, ils seront graduellement remplacés par des coffrages d’acier.

Se donner les moyens

Le bétonnage débute pour sa part en juin 1960. Cette étape justifiera la construction d’une usine de béton à proximité du site. Cette usine produira environ 1 315 tonnes de béton à l’heure. Afin de limiter l’apparition de fissures, la température du béton doit cependant être abaissée avant sa coulée. De 35 degrés Celsius, soit la température normale à la sortie de l’usine, elle doit passer à 10 degrés.

Pour ce faire, quatre méthodes seront employées : aspersion des agrégats à l’eau froide lors de leur transport par convoyeur; refroidissement par ventilation avant le malaxage; utilisation d’eau froide lors du malaxage; et ajout de glace concassée au mélange.

Ces méthodes permettront d’abaisser la température du béton à 8,3 degrés, soit légèrement en deçà du seuil visé. Dans la même optique, des conduites d’aluminium d’un pouce de diamètre, dans lesquelles circule de l’eau froide, sont intégrées à la base des coffrages.

Les coulées de béton se succéderont ainsi 24 heures par jour jusqu’en septembre 1963. En tout, quelque 400 000 coulées de 22 tonnes chacune seront nécessaires pour réaliser l’ouvrage. Quant à la centrale, elle sera aménagée au cours des trois années suivantes. Le complexe sera inauguré le 22 septembre 1966.


Type : barrage poids-voûte
Hauteur : 220 m
Longueur de crête : 480 m
Largeur de crête : 7,5 m
Largeur de fondation : 91,5 m
Capacité d’évacuation : 5 900 m3/s
Volume de béton :
3,8 millions m3