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Le défi des infrastructures dans les petites municipalités

Entretien avec Richard Lehoux, maire de Saint-Elzéar et président de la Fédération québécoise des municipalités

Maire de Saint-Elzéar depuis 1998, préfet de la MRC de La Nouvelle-Beauce depuis 2002, Richard Lehoux a été membre du conseil d’administration de la Fédération québécoise des municipalités (FQM) dès 2001, avant d’être élu président, en février 2014. M. Lehoux est aussi vice-président de la Mutuelle des municipalités du Québec (MMQ) depuis sa fondation par la FQM en 2003, et administrateur de Solidarité rurale du Québec (SRQ) depuis 2012. C’est dire qu’il connaît de première main les défis que comporte la gestion des infrastructures dans les petites villes et dans les secteurs ruraux.

Par Jean Brindamour

Q. M. le maire, dans les contrats octroyés par Saint-Elzéar durant l’année 2016, j’ai noté le pavage d’une section du rang Bas-St-Olivier, et un prolongement des services d’aqueduc et d’égout sanitaire. Comment Saint-Elzéar s’y prend-elle pour financer de tels travaux d’infrastructures ?

R. Pour tous les travaux de cette importance, une municipalité peut compter sur divers programmes pour les financer. Dans le cas du pavage d’une section du rang Bas-St-Olivier, nous avons pu compter sur un programme du gouvernement du Québec qui prend en charge 50 % du coût des travaux. Pour la portion qui relève de la municipalité, une section est couverte par notre programme d’immobilisation et l’autre par un règlement d’emprunt.

En ce qui concerne le prolongement d’aqueduc, nous avons utilisé une partie des sommes provenant de la taxe d’assise sur l’essence du gouvernement fédéral. Le reste est assumé par la municipalité avec son programme d’immobilisation et un règlement d’emprunt.

 

 

Q.  Vous êtes le préfet de la MRC de La Nouvelle-Beauce (11 municipalités, 37 000 habitants). Est-ce que votre MRC a un rôle à jouer en matière d’infrastructures ?

R. Bien sûr. Cette année nous entreprendrons la réfection de la piste cyclable qui traverse la MRC et qui a été construite il y a dix-sept ans. Nous assumons aussi la coordination de l’entretien du réseau routier dit supérieur qui comprend 25 % du réseau municipal. Nous sommes aussi responsables du réseau de fibres optiques qui relie les édifices municipaux des onze municipalités de la MRC. Nous nous occupons aussi de la gestion des cours d’eau.

«Lors de nos représentations auprès des gouvernements, nous demandons souvent un allègement des exigences bureaucratiques afin de respecter les capacités des plus petites municipalités.»

Q. Il y a eu des ententes fédérales-provinciales importantes en matière d’infrastructures. Je pense en particulier au Fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées (FEPTEU). Que pensez-vous de ce programme ?

R. Le FEPTEU était un programme qui répondait très bien aux besoins des municipalités et c’est pourquoi nous avons assisté à un afflux de demandes sans précédent. Celles-ci totalisaient près de 1,7 G$ pour une enveloppe d’un peu plus de 660 M$. C’est presque le triple en termes de besoins dans les municipalités. C’est pourquoi la FQM demande depuis l’automne dernier un deuxième programme pour poursuivre le travail.

La proportion des coûts assumés par les deux gouvernements contribue au succès du FEPTEU puisque plusieurs municipalités, dont les plus petites, peinent à rassembler l’argent de la contribution locale pour appliquer au programme.

Q. Et qu’en est-il du Fonds des petites collectivités (FPC), qui s’adresse aux municipalités de moins de 100 000 habitants, et qui est donc d’un intérêt tout particulier pour les membres de la FQM ?

R. Le Fonds des petites collectivités est un programme du gouvernement fédéral qui prendra fin cette année. La FQM avait d’ailleurs demandé au gouvernement de réserver des sommes pour les municipalités de 10 000 habitants et moins. Au Québec, seulement 10 municipalités ont plus de 100 000 habitants sur un total de 1130 municipalités. Près de 700 municipalités ont moins de 2000 habitants. Dans ses représentations, la FQM avait d’ailleurs demandé au gouvernement Trudeau de définir comme petite collectivité, les municipalités de moins de 10 000 citoyens.

Bien sûr, les plus petites municipalités ne compétitionnent pas à « armes égales » avec les grandes villes pour la production des divers documents nécessaires pour être admissibles à de tels fonds. Cela demande une préparation plus grande de leur part, car elles ne peuvent pas sortir des projets aussi rapidement que les grandes municipalités. Lors de nos représentations auprès des gouvernements, nous demandons souvent un allègement des exigences bureaucratiques afin de respecter les capacités des plus petites municipalités.

Lors du dernier budget Morneau, le gouvernement a décidé de ne pas reconduire le programme. Il mettra en place un nouveau Fonds pour les communautés rurales et nordiques et ce sera aux provinces de définir les caractéristiques de ces communautés en collaboration avec leurs partenaires, notamment la FQM au Québec.

L’enveloppe de 85 M$ associée au Programme d’aide à l’entretien du réseau routier local (PAERRL) n’a jamais été indexée. Les compensations sont ainsi nettement insuffisantes pour soutenir adéquatement les municipalités dans l’entretien de leur réseau.

Q. La FQM a-t-elle à cœur la question des infrastructures en télécommunications en région ?

R. Le branchement à Internet haute vitesse (IHV) et au réseau cellulaire est un élément primordial du développement économique de nos régions. Que ce soit du point de vue de l’attraction des familles et des entreprises ou de la santé et la sécurité de la population, l’accès à des technologies de l’information et des communications (TIC) de qualité est aussi important en 2017 que l’était l’électrification du Québec dans les années 1960.

Or, il y a encore à l’heure actuelle 340 000 foyers québécois qui n’ont pas accès à Internet ou qui seraient pourvus d’une connexion médiocre. L’extrême majorité de ces foyers se situent en région et, pour la plupart, au sein de communautés membres de la FQM. Avec l’objectif de trouver des solutions afin que les deux paliers de gouvernement donnent à nos régions les moyens de mettre en place une couverture cellulaire et IHV digne du 21e siècle, la FQM a créé en juin 2016 le Comité d’action pour l’accès aux technologies de l’information et des communications en région (Comité TIC). Le Comité s’est réuni à six reprises depuis sa création, dont trois fois pour rencontrer des acteurs majeurs du milieu des télécommunications au Québec et au Canada, ainsi que des représentants des gouvernements fédéral et provincial.

De plus, dans le cadre des demandes prébudgétaires 2017-2018, qui ont été présentées au ministre des Finances le 27 janvier dernier, la FQM a demandé que la somme de 100 M$ soit disponible chaque année, sur 5 ans, alors que le programme Québec branché, lancé par le gouvernement du Québec en décembre dernier, se limitait à investir 100 M$ sur un an.

Ainsi, la FQM va continuer à faire pression sur le gouvernement afin que le branchement au réseau cellulaire fasse partie d’un éventuel deuxième appel de projets de Québec branché et que ce dernier devienne un programme de subvention quinquennal.

Le Fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées (FEPTEU) était un programme qui répondait très bien aux besoins des municipalités (…). C’est pourquoi la Fédération québécoise des municipalités (FQM) demande depuis l’automne dernier un deuxième programme pour poursuivre le travail.

Q. Un mot sur le projet de loi no 102 modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement. L’Assemblée nationale a répondu favorablement aux demandes de la FQM en reconnaissant l’autonomie des municipalités en matière de protection de l’environnement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

R. Le ministre a introduit une nouvelle autorisation pour les travaux dans les cours d’eau. Il s’agit de l’autorisation générale d’entretien de cours d’eau, qui peut avoir une durée de cinq ans et qui devrait permettre aux municipalités de réduire le poids administratif des demandes pour ce type de travaux. Bien sûr, pour que cela se concrétise, il faudra que le ministre mette en place un cadre réglementaire efficace. C’est ce sur quoi nous travaillerons au cours de la prochaine année puisque le ministre s’est donné un an pour rédiger les divers règlements afférents.

Q. Vous avez souligné toutefois que dans cette loi le gouvernement a dégagé les promoteurs de l’obligation d’obtenir un certificat de conformité à la réglementation municipale pour obtenir une autorisation environnementale sur tout nouveau projet. Comment expliquer cette position ?

R. Nous sommes déçus de cette attitude du gouvernement et nous lui avons mentionné. Nous avons signé une déclaration où le gouvernement nous dit qu’il va nous traiter comme un gouvernement avec qui il collaborera et là, il nous retire un pouvoir d’importance. Pour le gouvernement, cette disposition permettait de bloquer des projets en leur refusant une attestation de conformité, mais pour nous, il s’agissait de corriger certaines situations problématiques, pas de tirer sur la mouche avec un boulet de canon.

Q. Pouvez-vous proposer un bilan général – même si c’est difficile pour un aussi grand territoire que celui du Québec – de l’état des infrastructures routières dans les petites villes et les MRC ?

R. Il est difficile de répondre à une telle question, sachant qu’il n’existe pas de bilan officiel de l’état des routes sous la responsabilité des municipalités. Cependant, il est certain que depuis la réforme Ryan de 1993, qui a entraîné le transfert de compétences de milliers de kilomètres de routes locales du gouvernement vers les municipalités, celles-ci tentent tant bien que mal, et avec les moyens qui sont les leurs, de maintenir en état leurs actifs.

Il est à noter qu’à la suite de la promulgation de la réforme Ryan, le gouvernement a mis en place le Programme d’aide à l’entretien du réseau routier local (PAERRL) afin de contrer en partie les impacts financiers du transfert des routes locales. Les compensations distribuées aux municipalités visent l’entretien courant et préventif (rapiéçage, déneigement, déglaçage, réfection du marquage, etc.) des routes locales de niveau 1 et 2.

L’enveloppe de 85 M$ associée au PAERRL n’a jamais été indexée. Les compensations sont ainsi nettement insuffisantes pour soutenir adéquatement les municipalités dans l’entretien de leur réseau. L’indexation du PAERRL est une revendication historique de la FQM et le conseil d’administration a déjà entériné plus d’une résolution à cet égard. En fait, depuis le 8 avril 2002, date d’une correspondance envoyée au ministre des Transports, la FQM exige une indexation de la subvention à l’indice des prix à la consommation (IPC). Ainsi, en 2017, avec un IPC moyen de 2 % entre 1993 et 2017, le PAEERL aurait dû s’élever à 136 M$.