MAGAZINE CONSTAS

La pierre en héritage

Une industrie vieille comme le monde

Le terme « carrière » est issu du latin quadrus, « carré ». La distinction entre mine et carrière tient à la nature du matériau extrait, qualitative ou précieuse pour la mine, et plus quantitative, massive, pour la carrière. L’histoire des carrières suit à la trace l’histoire des hommes. Et l’utilisation des matériaux extraits raconte d’une certaine manière celle de leur sédentarité, mais aussi de leur ingéniosité.

Par Michel Joanny-Furtin

Il y a plus de 5000 ans, les toutes premières exploitations de carrières consistaient à ramasser les pierres au sol ou dans le lit des rivières. Dans les mines néolithiques de Spiennes (Belgique), les hommes ont creusé des galeries avec des outils rudimentaires pour en extraire la craie. Comme tout se faisait à main et à dos d’homme, la proximité entre la carrière et le site d’utilisation a toujours été un facteur important dans leur exploitation. En Égypte, les carrières de Giseh sont à quelques centaines de mètres des pyramides. Et les carrières d’Assouan ont fourni le granit rose des obélisques et statues des temples voisins.

Les premières exploitations se sont faites par ramassage des pierres à l’état brut à la surface du sol ou dans les rivières.

De la Rome antique jusqu’au XIXe siècle, la pierre naturelle était incontournable. Celle-ci perdra sa place prépondérante avec l’invention du béton, plus facile à travailler.

Ainsi « dans le monde antique, les Romains ont érigé leurs monuments avec les meilleurs matériaux accessibles dans le voisinage », écrivait au XIXe siècle l’architecte Eugène Viollet-Le-Duc. Quand ce n’était pas le cas, « ils employaient le caillou ou la brique plutôt qu’une pierre à bâtir de moindre qualité ». Selon les recherches de Jean-François Larose pour la Ville de Laval, l’extraction de la pierre au Québec remonte au Régime français. « Dès 1650, des carrières sont exploitées de manière artisanale à Québec et à Montréal. D’abord en bois, les habitations seront peu à peu construites en pierre, à cause des incendies. Facile à tailler, l’abondant calcaire de la vallée du Saint-Laurent servira de pierre à construire et de chaux pour le mortier. » Une approche qui a prévalu pendant plusieurs siècles et dont on retrouve les traces, parfois enfouies, dans les rues de Montréal et de Québec.

Un sous-sol riche d’histoire

« Quand on se promène rue des Carrières, a-t-on la moindre idée à quoi cela fait référence ? », questionne Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal (Métro, 28 avril 2016). « Peu de gens connaissent l’histoire des carrières de Montréal. » En effet, la métropole cache en son sein d’anciennes carrières de pierre grise, remblayées il y a plus de 70 ans… et oubliées depuis. Le réveil fut rude pour certains propriétaires lorsque le sol s’est tassé, laissant des lézardes dans les bâtisses. Parallèlement, ces carrières ont donné la matière première des plus importants édifices de Montréal : l’Hôtel de ville, la basilique Notre-Dame, le Marché Bonsecours. Dans ce même article, le géologue Robert Ledoux estime que la plupart des bâtiments érigés avant le XXe siècle à Montréal l’ont été avec la roche calcaire, la fameuse pierre grise, des carrières locales. « Un tiers des pierres de la Citadelle de Québec proviennent des carrières de Montréal », évalue-t-il, et plus spécifiquement d’un vaste réseau de carrières, si étendu qu’un pont de chemin de fer l’enjambait…

DE 1780 À 2023. MIRON, TOUTE UNE CARRIÈRE, TOUT UN PARC…

L’exploitation du site de ce qui deviendra la carrière Miron aurait commencé vers 1780. Après une vague de fermetures dans les années 20, plusieurs petites carrières seront peu à peu réunies sous l’égide des frères Miron à la fin des années 1940. Dans les années 60, jusqu’à 2000 travailleurs en extrairont le calcaire destiné, entre autres, à la gare centrale, l’hôpital Sainte-Justine, la voie maritime du Saint-Laurent, la place Ville-Marie, le complexe Desjardins et une partie du ciment de la Baie-James.

Acquise par la Ville, la «Carrière Miron» ferme en 1986. Dès 1988, on y récupère le biogaz issu des déchets. La Ville de Montréal en fait un site d’enfouissement des déchets jusqu’en 2000, puis des matériaux inertes jusqu’en 2009. Achevé en 2013, le recouvrement du dépotoir fera place à l’aménagement du deuxième grand parc de Montréal (192 hectares) d’ici 2023. CR Photo: Ville de Montréal. Section des archives. Service des affaires institutionnelles.

 

À Laval, on recense plus de 150 exploitants de carrières sur l’île Jésus, du milieu du XIXe siècle aux années 1980, créant une activité économique conséquente pour les travailleurs de la région. Des bâtiments de l’Université McGill, une annexe de la brasserie Molson, les piliers du pont Jacques-Cartier et une aile du Château Frontenac sortiront de ces carrières. Spécialisées dans la pierre calcaire et ses dérivés, les carrières Saint-Marc près de Portneuf ont débuté leurs activités dès 1829, fournissant les pierres utilisées entre autres pour les édifices de Québec.

MONTRÉAL, VERS 1919. CARRIÈRE DES MARTINEAU. Carte postale / Collection Pierre Monette.  Sur cette carte postale, on observe une partie de la carrière Delorimier, non loin de la rue Iberville regardant vers le Sud. On voit au loin le profil du mont Royal. La famille Martineau possède dans Rosemont plusieurs importantes carrières. Après 1935, certaines carrières désaffectées trouvent une nouvelle vocation en se transformant en immenses dépotoirs qui, une fois remplis, deviennent des parcs publics. Dans les secteurs Plateau Mont-Royal et Rosemont, on crée les parcs Marquette, Lafond et Laurier sur d’anciennes carrières ayant servi de sites d’enfouissement.
Source: Montréal, une île des villes / Marcel Paquette. Merci à Philippe Du Berger pour la communication du document et l’information.

 

« Du milieu du XIXe jusqu’au début du XXe siècle, la mécanisation des machineries, le développement du chemin de fer, l’essor de l’automobile, la découverte du béton auront un impact considérable sur le sort des carrières de calcaire », explique Jean-François Larose. « La pierre taillée perd de son importance, au profit de la roche concassée. La transition est telle qu’en 1920, les deux tiers de la pierre calcaire extraite sont concassés. » La plupart des carrières de Montréal fermeront après les années 1920. L’étalement urbain et la pression immobilière poussent les villes à remblayer les sites dès les années 1940 afin de les convertir en secteurs résidentiels, commerciaux et en parcs comme le Centre de la nature à Laval, ou le complexe environnemental Saint-Michel (ancienne carrière Miron) à Montréal.

Une carrière est le lieu d’où sont extraits des matériaux de construction tels que la pierre, le sable ou autres minéraux. Le chantier se fait à ciel ouvert, soit « à flanc de coteau », soit « en fosse» (jusqu’à 100 mètres de profondeur parfois).

Une taille plus fine

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement exponentiel des réseaux routiers, des voies ferrées, des constructions en béton et l’étalement urbain exigent de plus en plus de pierres concassées et de sables, et ce dans de multiples tailles et variétés de roches. « La résultante de notre métier, ce sont les sables et les granulats issus de l’exploitation de gisements naturels de carrière », rappelle Christian Cloutier, directeur Exploitation gisements et environnement chez Eurovia Québec. « Extraits par tirs de mines (roches massives) ou à l’aide d’engins (sablières et gravières), ces matériaux naturels sont criblés ou concassées selon une granulométrie de plus en plus fine. »


Les usages des granulats
Infrastructures routières (55  %)
Béton de ciment (16  %)
Béton bitumineux (10  %)
Remplissage divers (13  %)
Abrasif contre le verglas, sable à mortier, balast, sable à jet, enrochement, filtres d’épuration, etc (6  %)

Parallèlement, la proximité des sites d’extraction importe moins dans l’exploitation des carrières que la qualité de la roche choisie. Ainsi, « la région de Montréal, par exemple, qui représente près de la moitié de la population du Québec, consomme la moitié de la production de granulats de la province alors que ses propres ressources en sable et gravier naturel sont très limitées », lit-on sur le site du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. « Le terme granulat désigne des matériaux destinés à la réalisation d’ouvrages de génie civil et de bâtiments. La majorité de dépôts meubles au Québec s’est mise en place il y a environ 13 500 ans. Les dépôts glaciaires constituent les meilleures sources de granulats (gravier, cailloux), alors qu’on exploite du sable en abondance dans les dépôts du littoral. »

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le développement exponentiel des réseaux routiers, des voies ferrées, des constructions en béton et l’étalement urbain exigent de plus en plus de pierres concassées et de sables, et ce dans de multiples tailles et variétés de roches.

10 tonnes de granulats par personne par an

Selon le Regroupement professionnel des producteurs de granulats (RPPG) qui regroupe une soixantaine de propriétaires de quelque 275 carrières, sablières, gravières et fournisseurs de l’industrie du granulat, près de 80 millions de tonnes de granulats sont produites annuellement dans plus de 200 sites au Québec par les membres du RPPG, soit 75  % du tonnage fabriqué au Québec. « Nous consommons plus de 10 tonnes de granulats par personne chaque année », affirme le RPPG.

« Au Québec, nous consommons plus de 10 tonnes de granulats par personne chaque année », mentionne le Regroupement professionnel des producteurs de granulats (RPPG).

Ces granulats sont utilisés pour la construction de nombreux ouvrages : maisons et bâtiments, réseaux de transport (routes, voies ferrées, pistes d’aéroport), réseaux d’eau et d’assainissement. » Mais pas seulement : « les produits de carrière entrent également dans la fabrication de plusieurs produits que nous utilisons au quotidien : papier, plastique, verre, peinture, acier, produits pharmaceutiques, produits de beauté, pâte dentifrice, etc. ! » •