Jonatan Julien
Entrevue avec le ministre responsable des Infrastructures et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale
Constas s’est entretenu avec le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien. Retour sur les enjeux provinciaux en la matière ainsi que sur les stratégies du gouvernement afin d’améliorer son bilan.
par Xavier Turcotte-Savoie
C’est la première fois que le gouvernement nomme un ministre responsable des infrastructures. Pouvez-vous nous parler de votre rôle et de vos responsabilités?
Ça fait maintenant un peu plus de deux ans que j’ai été nommé ministre responsable des Infrastructures. Dans le mandat précédent, j’avais indiqué à mon patron que c’était nécessaire d’avoir un ministre qui se consacre aux infrastructures pour améliorer l’efficience dans le domaine.
Mon rôle, c’est d’être le chef d’orchestre gouvernemental pour les projets d’infrastructures publiques, c’est-à-dire coordonner la planification des investissements dans tous les domaines d’intervention de l’État.
J’ai aussi la responsabilité ministérielle de la Société québécoise des infrastructures, la SQI, qui est le bras immobilier du gouvernement. Comme ministre des Infrastructures, je dois aussi m’assurer qu’il y a un équilibre dans la bonification.
Enfin, je dois arbitrer les sommes engagées et prévues au Plan québécois des infrastructures, le PQI, cette feuille de route gouvernementale que vous connaissez bien et qui s’échelonne sur une période de 10 ans.

Le contexte économique et ses menaces tarifaires ont-ils eu des répercussions sur le prochain PQI?
Absolument. Il faut s’assurer de tout faire pour protéger notre économie, et un des meilleurs moyens pour la soutenir, c’est d’investir dans nos infrastructures publiques.
Ainsi, le PQI 2025-2035 s’élève maintenant à 164 G$. Il a été augmenté de 11 G$ cette année pour des investissements additionnels prévus dans les 3 prochaines années.
Ces investissements vont se traduire notamment par encore plus de constructions et de rénovations d’écoles et d’hôpitaux. Comme on ne peut pas tout faire en même temps, c’est important de bien planifier nos investissements en infrastructures afin que le marché soit au rendez-vous.
Vous avez lancé une stratégie en infrastructures publiques, et un projet de loi a été adopté à l’automne dernier. Pouvez-vous nous donner les objectifs de la stratégie et présenter plus précisément les mesures qui touchent nos membres?
On a parcouru énormément de chemin depuis 2022, notamment grâce au lancement de la Stratégie québécoise en infrastructures publiques, dont plusieurs mesures ont été mises en vigueur grâce à l’adoption du PL 62 à l’automne dernier.
La Stratégie vise trois objectifs:
– Accélérer la livraison des projets;
– Obtenir de meilleurs prix;
– Améliorer l’état des infrastructures publiques.
Bref, on souhaite que les Québécois et les Québécoises en aient plus pour leur argent!
La Stratégie québécoise en infrastructures publiques, dévoilée en mai 2024, est donc venue moderniser les façons de faire du gouvernement en assurant un cadre d’intervention efficace et adapté à chaque projet. Elle s’articule autour de quatre axes d’intervention afin qu’on obtienne des gains à chaque étape de réalisation d’un projet, de l’idéation à son maintien en bon état.
Le premier axe comprend une planification optimisée. On veut améliorer la coordination et la planification des projets grâce à la fois à une meilleure prévisibilité de la capacité du marché et à la prévisibilité sur les investissements à venir du gouvernement. On veut faire de la gestion par programme et augmenter l’utilisation du préfabriqué. On vient mesurer les capacités régionales pour s’assurer d’avoir un bon ordonnancement des travaux.
Le deuxième axe permet un environnement d’affaires plus compétitif, c’est-à-dire qu’il faut rendre les contrats publics plus attrayants, ce qui permettra d’améliorer la concurrence. L’une des façons privilégiées pour ce faire est de permettre le recours aux modes collaboratifs dans les projets complexes. On veut déterminer nos besoins, puis s’asseoir avec les professionnels pour trouver la meilleure solution à nos besoins, et ce, avec agilité. C’est chose faite grâce à l’adoption du PL 62.
Le troisième axe permet un État plus agile. Au sein du gouvernement, on doit avoir plus d’agilité pour économiser du temps et optimiser chaque dollar, notamment en valorisant le multiusage, en facilitant le transfert des immeubles et en modernisant la directive sur les projets majeurs. C’est possible grâce au PL 62.
Enfin, le quatrième axe offre un meilleur suivi de la performance des projets majeurs et de l’état du parc. C’est impératif de se donner des outils non seulement pour mieux suivre l’évolution de nos projets, mais aussi pour s’assurer qu’on met assez d’argent en maintien des actifs.
Quels sont les résultats attendus une fois la stratégie mise en place?
On pense que l’ensemble de ces leviers permettront de réduire de 25% les délais, et jusqu’à 15% les coûts.
Pouvez-vous en dire davantage sur le BIM?
Parmi les mesures annoncées et appuyées par la Stratégie québécoise en infrastructures publiques, on trouve la poursuite du déploiement de la modélisation des données des infrastructures, aussi appelée BIM, de l’anglais Building Information Model.
Cet outil d’aide à la décision permet, grâce aux données produites, de concevoir, de construire, d’exploiter, d’occuper et d’utiliser un ouvrage. Les données sont obtenues dès les premières étapes de la conception et réutilisées ultérieurement à l’aide d’une panoplie de technologies complémentaires. L’approche BIM est maintenant systématiquement déployée dans tous les nouveaux projets majeurs gérés par la SQI.

Il y a un déficit important dans le maintien des actifs au Québec et, malgré la stratégie d’augmentation progressive, ce déficit continue d’augmenter. Comment peut-on expliquer cela?
Le territoire du Québec est grand et, nécessairement, le parc d’infrastructures l’est également. Une portion importante des infrastructures publiques au Québec a été construite dans les années 1960 et 1970. Ces infrastructures ont atteint, ou atteindront dans les prochaines années, leur fin de vie utile, qui varie généralement entre 25 et 75 ans, selon leur nature.
Notre gouvernement accorde une importance particulière au maintien de nos infrastructures. Ce sont 96,7 G$ qui sont prévus pour assurer la pérennité des infrastructures existantes, soit 65% de l’ensemble des investissements du gouvernement, une proportion en constante augmentation depuis 2018 afin de rattraper le sous-investissement des gouvernements précédents.
Pour le routier spécialement, plus de 30 G$ sont prévus dans la prochaine décennie, ce qui représente 85% des sommes prévues au réseau routier.
Bien que notre gouvernement investisse des sommes record dans le maintien des infrastructures depuis 2018, il y a un grand retard à rattraper.
L’âge avancé du parc d’infrastructures publiques engendre un taux de dégradation plus élevé que la moyenne sur l’ensemble du cycle de vie, ce qui exige actuellement un niveau annuel plus important pour contenir le déficit de maintien d’actifs (DMA). Nous sommes aussi en réaction, lorsqu’il y a des bris, ce qui amène de l’inefficience.
Par conséquent, la résorption du DMA prendra un certain temps, mais nous sommes sûrs d’avoir une stratégie qui fonctionne bien et qui a de bons résultats.
On a beaucoup entendu parler de modes collaboratifs dans la dernière année. Qu’est-ce que ça va changer concrètement dans la manière qu’on construit au Québec? Quels sont les gains?
À cet égard, notre gouvernement est plutôt fier de son projet de loi no 62, qui est notamment venu encadrer les modes collaboratifs.
Sur le plan du fonctionnement, l’organisme public doit tout d’abord bien définir le besoin auquel le projet d’infrastructure doit répondre. Pour ce faire, il doit notamment tenir compte de divers facteurs, dont les spécificités uniques du projet telles que son emplacement, son envergure ou son caractère innovant.
Ensuite, il faut décider quel mode de réalisation est le mieux adapté au projet. Les modes collaboratifs diffèrent des modes traditionnels, mais se font toujours dans le cadre d’appels d’offres publics. Ils visent à réunir plusieurs parties prenantes pour l’élaboration du projet d’infrastructure.
Les modes collaboratifs ne viennent pas remplacer les modes traditionnels. Un projet d’asphaltage, par exemple, on en connaît les coûts, on est habitués, donc le mode collaboratif n’est peut-être pas pertinent.
Cependant, quand on arrive devant un projet complexe, avec des spécificités uniques, le donneur d’ouvrage a tout intérêt à utiliser l’expertise des entreprises pour définir la meilleure manière de répondre au besoin.
Ainsi, on permet aux organismes publics d’élaborer des projets en collaboration avec les parties prenantes, dont les entrepreneurs, qui sont des experts dans le domaine, et ce, dès la conception, afin de déterminer la manière la plus efficiente de répondre au besoin du gouvernement.
On pense que ça va venir aider à augmenter la concurrence au Québec en permettant à de plus petits acteurs, qui n’auraient peut-être pas eu les reins assez solides seuls, de participer à un consortium avec d’autres entreprises.
Bref, le projet de loi no 62, le déploiement de la Stratégie et le rehaussement du PQI permettront d’améliorer l’efficience, de réduire les délais et les coûts.
Nous poursuivons le travail, et les résultats se feront sentir rapidement! ■