MAGAZINE CONSTAS

L’ajout de puissance dans les centrales est bien entamé

Un aperçu du plan d’Hydro-Québec pour répondre à l’augmentation de la demande énergétique

Hydro-Québec est dans une course à l’ajout de puissance dans ses centrales. La société d’État explique comment elle s’y prendra pour les chantiers à venir.

par Stéphane Desjardins

 

 

Réfection des ponts roulants à la centrale aux Outardes-2. Photo : Hydro-Québec

 

Le 12 décembre, les premiers ministres François Legault et Andrew Furey annonçaient une entente de principe historique qui permettrait à Hydro-Québec, une fois l’entente ratifiée, d’obtenir l’accès à 7 200 MW d’hydroélectricité d’ici 2038 grâce à la réfection de la centrale actuelle de Churchill Falls (+550 MW), l’ajout d’une deuxième centrale sur cette rivière (+1 100 MW) et la construction d’une autre à Gull Island (+2 250 MW).

Mais Hydro-Québec avait déjà d’autres projets dans son Plan d’action 2035 pour réaliser la décarbonation de l’économie et répondre à l’augmentation de la demande énergétique, qui requiert, en période de pointe, l’ajout de 2 000 MW de puissance. Et ça passe par le remplacement des groupes turbine-alternateur en fin de vie dans six centrales : Carillon, Manic-2 et 3, Outardes-2, Rapide-Blanc et Trenche (voir tableau). Le plan prévoit aussi l’ajout d’un groupe dans celle de Sainte-Marguerite-3 (SM-3). Certains travaux sont déjà commencés, notamment à Carillon et à Rapide-Blanc.

Ces travaux incluent le remplacement complet de la roue des groupes turbine-alternateur, en faisant appel à des conceptions innovantes par ordinateur et à des matériaux plus sophistiqués. Cette approche génère de 6 à 31 % de rendement additionnel en fonction des centrales.

Transport de la roue d’un groupe turbine-alternateur vers la centrale de Rapide-Blanc. Photo : Hydro-Québec

« C’est un défi colossal et historique de remplacer autant d’unités simultanément sur une aussi courte période, explique Marc-André Marcoux, chef de projet à Hydro-Québec. Ça implique des travaux séquencés pour assurer la demande actuelle, une planification délicate et une embauche massive de main-d’œuvre. Il faut recruter des professionnels et des corps de métiers provenant non seulement des régions visées, mais aussi de partout au Québec, planifier le maillage avec les syndicats et les entrepreneurs locaux et mettre à contribution les communautés autochtones, qui regorgent de talents potentiels. » Par exemple, les Innus de Pessamit habitent à moins de 40 km de la centrale aux Outardes-2.

La série de chantiers implique un ensemble de fournisseurs et de sous-traitants, notamment pour des étapes de démantèlement, de recyclage, de construction, d’assemblage et de transport ainsi que pour la gestion de campements et de routes et le transport de la main-d’œuvre. En aval, les firmes de génie et les employés d’Hydro-Québec devront s’atteler à la conception, aux tests de laboratoire ou dans les centrales et aux contrôles de qualité. « Certains travaux font appel à des technologies innovantes, comme la modélisation informatique et la réalité virtuelle. Hydro-Québec portera une attention particulière à la surveillance technique, la gestion de chantier et la santé et sécurité », ajoute-t-il.

Marc-André Marcoux, chef de projet à Hydro-Québec. Photo : Hydro-Québec

Travaux complexes

« Le remplacement d’un groupe de turbine-alternateur s’échelonne sur plusieurs années. Pour chaque centrale, il faut allouer en moyenne deux années pour la planification, la modélisation informatique, la confirmation du potentiel d’augmentation de puissance avec le turbinier ainsi que les tests sur des bancs d’essai à échelle réduite. Par la suite, il faut prévoir deux autres années pour fabriquer les nouveaux groupes turbine-alternateur et réaliser les travaux préparatoires (routes, cam­pements, remplacement des services auxi­liaires, etc.). Selon la centrale, il faut compter de 7 à 9 mois de travaux pour procéder au rem­placement et environ 3 mois pour les tests de relance et la mise en service afin d’éviter les défaillances potentielles de ces nouveaux équi­pements », explique M. Marcoux.

Les chantiers varient selon la complexité et la situation géographique. Par exemple, lors de la construction de SM-3, qui compte actuellement deux groupes de turbine-alternateur produisant 882 MW, on avait prévu de l’espace pour un groupe additionnel.

C’est un défi colossal et historique de remplacer autant d’unités simultanément sur une aussi courte période.

— Marc-André Marcoux

Vue aérienne de l’aménagement Manic-3. Photo: Jean-François Lemire, Hydro-Québec

À Outardes-2, entre 30 et 150 travailleurs, selon les étapes, installeront trois groupes de turbine-alternateur pendant 5 ans. À Manic-2 et 3, le chantier devrait s’échelonner sur 8 ans et requérir entre 60 et 350 travailleurs pour les chantiers combinés. À Manic-3, on devra installer un campement, vu l’éloignement de la centrale, contrairement à Outardes-2 et Manic‑2, où les travailleurs logeront en ville.

Cependant, il faudra procéder à des modifications à quelques endroits  comme adapter le cône aspirateur en béton situé juste après la turbine, par exemple. Ailleurs, comme à Outardes-2, la porte de la centrale devra être agrandie, là où les turbine-alternateur avaient été installées durant la construction. Il faudra aussi donner une cure de jouvence à son pont roulant, une machinerie essentielle pour ce type de chantier.

Plusieurs étapes

« On gère la même quantité d’eau qui passe dans la centrale; le but, c’est d’augmenter le débit, poursuit-il. On ne modifie pas les conduites forcées, car la complexité et la technicalité de ces travaux représenteraient des défis et des investissements de grandes envergures qui viendraient affecter les opérations de la centrale pour de longues périodes et affecteraient la capacité du parc de production. Par exemple, celle de SM-3 fait un peu plus de 8 km dans le roc et la hauteur de chute excède celle de la tour Eiffel. »

 

Stator d’un groupe turbine-alternateur à la centrale de Carillon. Photo : Hydro-Québec
Tableau : Hydro-Québec

À Manic-3, il faudra détourner une ligne de transport sur un peu moins de 3 km et, au poste de Manic-2, remplacer deux transformateurs de grandes dimensions.

Partout, les chantiers nécessitent des travaux préparatoires importants. Il faut installer des bâtiments temporaires de grandes dimensions, où les travailleurs assembleront les groupes turbine-alternateur dont les pièces proviennent d’un peu partout dans le monde. Ces unités, qui ont une durée de vie de 50 à 100 ans, sont des géants qui nécessitent beaucoup d’attention. Le rotor de Manic-2 pèse 380 tonnes à lui seul et le stator a un diamètre de 13 mètres.

Plusieurs des composants des turbines-alternateurs sont usinés, acheminés par barges, bateaux et camions vers la centrale, où l’assemblage implique plusieurs corps de métier (dont certains sont très spécialisés) : mécaniciens en appareillage, électriciens, tech­niciens en automatismes, jointeurs de lignes souterraines et même bobineurs, un métier restreint à quelques travailleurs, qui se passent l’expertise d’une génération à l’autre.

 

L’importance des turbines-alternateurs

Les groupes turbine-alternateur constituent le cœur d’une centrale hydroélectrique. L’eau qui se trouve dans le réservoir, en amont du barrage, passe par une conduite forcée (ou d’amenée), qui mène à la turbine. L’eau s’engouffre tout autour de la turbine par une bâche en spirale en forme de colimaçon. Les turbines sont pourvues de directrices, des pales dont la position est ajustée à la seconde pour fournir la bonne quantité d’eau à la turbine et ainsi régulariser la fréquence sur le réseau. Celle-ci fait tourner la roue, qui est reliée à un arbre de transmission. La roue fait tourner la partie mobile de l’alternateur, le rotor, dont la paroi externe est composée d’électroaimants placés en alternance de polarité (pôle Nord et Sud). L’alternateur comprend aussi une partie fixe, le stator, constitué de plusieurs enroulements de conducteurs de cuivre. Lorsque le rotor tourne dans le stator, il se produit une variation du champ magnétique qui fait vibrer les électrons dans les conducteurs de cuivre, ce qui produit l’électricité. L’eau est ensuite évacuée de la centrale par un cône de béton (ou aspirateur), qui l’envoie vers le canal de fuite, puis la rivière. Au même moment, l’électricité produite par l’alternateur est acheminée par conducteurs (ou barres blindées) vers un transformateur, situé sur le toit de la centrale. Ce dernier élève la tension, ce qui permet le transport de l’énergie sur de grandes distances.

 

 

Les chantiers comprennent aussi l’aménagement de bureaux et d’entrepôts temporaires, permettant de travailler malgré l’hiver. Il faut donc préalablement préparer le terrain, installer ces immeubles, puis les enlever et renaturaliser les lieux après le chantier. S’ajouteront partout des travaux périphériques, comme le remplacement ou l’installation de systèmes électriques ou d’automatismes.

Chaque chantier de démantèlement d’un groupe turbine-alternateur démarre à la mi-mars, après la période des demandes de pointe liées au froid. Il faut arrêter la turbine, la démanteler, envoyer une bonne part des pièces chez le ferrailleur pour les faire recycler, construire stator et rotor à proximité de la centrale, les installer, puis effectuer les tests avant la mise en service. À Outardes-2, cette dernière étape prendra 10 mois. ■