BIM, réalité virtuelle et SST
Table ronde avec Steve Ceolin et Lieu Dao de chez Pomerleau
Dossier Innovation et SST
« Avec le BIM, on résout les problèmes avant qu’ils ne surviennent sur les chantiers. Par conséquent, on contrôle de mieux en mieux les risques. Et voilà justement l’un des éléments les plus importants en SST : le contrôle des risques. » — Steve Ceolin
L’utilisation du BIM et de la réalité virtuelle peut-elle servir la cause de la santé et sécurité au travail (SST) ? C’est ce que croient deux spécialistes de ces questions chez Pormerleau : Steve Ceolin, directeur principal-Excellence opérations chantiers, et Lieu Dao, gérante innovation-R&D et projets spéciaux. Nous les avons rencontrés.
Par Jean Brindamour
Jean Brindamour — On sait que le BIM (Building Information Modeling ou Modélisation des données du bâtiment) donne la possibilité de modéliser sur une maquette numérique et collaborative toutes les données techniques d’un projet. Le BIM peut-il contribuer concrètement à la SST ?
Steve Ceolin — Chez Pomerleau, on fait du BIM depuis un peu plus de dix ans. Le BIM nous fournit de l’information sur un projet, mais également sur tout ce qui est aménagement d’un chantier, d’où une meilleure planification et une meilleure visibilité de la constructibilité. Ultimement, c’est la logistique qu’on peut améliorer : on inclut grâce à l’outil du BIM, notamment sur les projets de construction plus complexes et de plus grande envergure, tout l’entreposage, les interactions possibles, l’évolution au cours d’un chantier des éléments de santé et sécurité susceptibles d’avoir un impact direct sur les opérations. Ces éléments au sujet desquels il faut porter une attention particulière étaient jusqu’ici seulement sur des plans 2D, mais maintenant, avec le BIM, on est capable de les faire vivre et de les rendre plus faciles à comprendre pour nos équipes. Cela nous permet d’avoir une planification plus détaillée, et surtout d’avoir une meilleure transparence et une meilleure collaboration avec tous les intervenants d’un projet. On discerne mieux les conflits potentiels et tout ce qui pourrait moins bien fonctionner. Avec nos équipes projet et terrain, avec les collaborateurs, les partenaires, les professionnels, on évite ainsi les mauvaises surprises et on répond aux défis en amont. Avec le BIM, on résout les problèmes avant qu’ils ne surviennent sur les chantiers. Par conséquent, on contrôle de mieux en mieux les risques. Et voilà justement l’un des éléments les plus importants en SST : le contrôle des risques. Et vous n’ignorez pas que nos projets sont de plus en plus complexes, de grande envergure, et exigent une planification extrêmement minutieuse.
« On a développé trois modules, un sur les déplacements à proximité des équipements lourds, un autre sur les angles morts et un dernier sur le travail en hauteur, qui sont trois risques très importants dans le secteur de la construction, des risques qui, souvent, ne pardonnent pas. On veut avec ces modules sensibiliser les travailleurs et les superviseurs, et améliorer leurs connaissances sur les différents dangers que posent ces situations à risque. On pense que cette façon d’enseigner la SST a un bon impact, parce que ce n’est pas seulement un cours magistral : on amène le travailleur à vivre une expérience; on le met en situation. » — Steve Ceolin
JB — En gros peut-on affirmer que le BIM, même pour un usage non spécifique à la SST, aide à prévenir les risques, et donc à réduire blessures et accidents ?
SC — Exactement. En dernière analyse, en planifiant bien ses modèles concernant l’entreposage, la localisation des accès, la logistique d’implantation des équipements qui vont servir au projet, on est plus à même de voir les interactions qui comportent des risques. On peut ainsi modifier un plan de match en conséquence et planifier de meilleures séquences de travail, ce qui diminue d’autant plus les mauvaises surprises.
Lieu Dao — Lorsqu’on applique le BIM, on utilise généralement les modèles des concepteurs, des architectes, des ingénieurs, mais on a aussi nos propres modèles à nous durant la construction : les installations temporaires, les grues, les gros équipements qui doivent être déplacés lors de l’exécution des travaux, sont également modélisés puis intégrés à une plateforme BIM.
SC — Le BIM permet en particulier d’éviter les interactions conflictuelles. En modélisant, on prévoit par exemple que des interférences risquent de se produire entre deux corps de métier à cause d’un espace trop restreint ou de la présence d’installations ou d’équipements trop massifs. Au lieu d’avoir à corriger une situation qui arriverait de façon imprévue, on la voit venir et on la corrige d’avance grâce à une meilleure planification. Les solutions sont donc trouvées avant même que le problème n’apparaisse sur le chantier.
« Lorsqu’on applique le BIM, on utilise généralement les modèles des concepteurs, des architectes, des ingénieurs, mais on a aussi nos propres modèles à nous durant la construction : les installations temporaires, les grues, les gros équipements qui doivent être déplacés lors de l’exécution des travaux, sont également modélisés puis intégrés à une plateforme BIM.» — Lieu Dao
JB — Mais est-ce que le BIM peut être utilisé dans une formation spécifique de SST ?
LD — Le BIM est constitué de la modélisation de toute l’information disponible sur un projet, que ce soit un bâtiment ou une infrastructure. Tout le contexte d’un chantier, les roulottes, les grues, les guérites, les clôtures, les équipements qui exigent une attention particulière, sont modélisés. Donc, oui, ces informations sont utilisées pour établir des scénarios de formation en SST.
JB — J’aimerais éclaircir l’usage de la réalité virtuelle en SST via celui de la réalité augmentée. Pour mémoire, la réalité virtuelle est constituée d’un environnement en 3D entièrement virtuel, créé par ordinateur. Quant à la réalité augmentée, il s’agit d’une vue du réel à laquelle on greffe, si je puis dire, des représentations virtuelles. En quoi ces techniques ont-elles servi à la SST, en particulier chez Pomerleau ?
SC — Dans le cas de la réalité augmentée, les technologies, pour l’instant, ne répondent pas à nos besoins, car elles manquent de précision en plus d’être difficilement applicables en chantier. Pour ce qui est de la réalité virtuelle, par contre, on a développé des modules de formation/expérience en réalité virtuelle dans les derniers mois pour aider nos travailleurs à prendre conscience de certains risques particuliers qu’ils peuvent vivre sur les chantiers. Par cet outil, on donne l’opportunité à un travailleur d’expérimenter un environnement de travail déjà modélisé par le BIM. Vous mettez des lunettes de réalité virtuelle, et vous vous retrouvez sur un chantier de Pomerleau où l’on vous demande de réagir à différentes situations. On voit alors si vous avez les bons réflexes. C’est là une façon de s’améliorer ou de se corriger. On a développé trois modules, un sur les déplacements à proximité des équipements lourds, un autre sur les angles morts et un dernier sur le travail en hauteur, qui sont trois risques très importants dans le secteur de la construction, des risques qui, souvent, ne pardonnent pas. On veut avec ces modules sensibiliser les travailleurs et les superviseurs, et améliorer leurs connaissances sur les différents dangers que posent ces situations à risque. On pense que cette façon d’enseigner la SST a un bon impact, parce que ce n’est pas seulement un cours magistral : on amène le travailleur à vivre une expérience; on le met en situation.
JB — Dans l’exemple que vous évoquez, ces lunettes de réalité virtuelle sont utilisées dans le cadre d’une formation en SST. Est-ce qu’on peut s’en servir dans le contexte d’un projet précis pour identifier les risques encourus et les façons d’y remédier concrètement sur le chantier même où ce projet se réalisera ?
SC — On collabore présentement avec l’équipe d’innovation à l’interne pour développer de nouvelles initiatives innovantes. Comme vous le savez, Pomerleau réalise plusieurs projets d’envergure, des projets complexes, avec des niveaux de risque très élevés. Jusqu’ici les modules de formation dont on a parlé correspondaient à des risques qui appartenaient à un tronc commun. Mais on envisage effectivement, à la suite de cette expérience qui nous a beaucoup appris, d’autres scénarios de formation et d’autres modules qui concerneraient des projets spécifiques avec des risques spécifiques.
JB — On est vraiment là dans un « work in progress ». Et c’est bien naturel pour tout ce qui a trait à des technologies de pointe. Incidemment, ces nouvelles technologies sont-elles toujours bien accueillies ? Y a-t-il des résistances sur le terrain ?
SC — Au contraire, les idées viennent souvent du terrain. Les modules qu’on a développés proviennent d’idées de nos travailleurs sur les chantiers avec lesquels on a collaboré pour trouver des solutions qui font du sens dans leur travail. L’innovation fait partie de nos valeurs d’entreprise : c’est ancré dans notre ADN. Si l’on veut créer une vraie culture d’innovation dans une entreprise, il faut impliquer les gens sur le terrain, être à leur écoute, pour qu’ils sentent que ces innovations ou ces changements dans leur quotidien leur apportent une valeur ajoutée.
JB — L’innovation ne doit pas venir seulement d’en haut…
SC — Cela facilite grandement leur adhésion quand on implique les gens.
JB — Oseriez-vous quelques prédictions à l’égard de l’avenir de ces technologies dans la construction ?
SC — C’est sûr que l’industrie de la construction a beaucoup évolué ces dernières années. Et les progrès seront exponentiels dans les années à venir. La particularité de l’industrie de la construction est que chaque nouveau projet est un prototype, qu’il est unique en soi. Ce sera intéressant de voir comment la réalité virtuelle va évoluer dans le temps et à quel point on lui trouvera d’autres applications.
JB — Est-ce qu’il y a des personnes vouées à se tenir informées de ces nouvelles technologies chez Pomerleau ?
SC — Chez nous, on a la chance d’avoir un département innovation. Plusieurs personnes, partout au Canada, sont chargées de surveiller les nouveautés et de juger comment on peut les appliquer au domaine de la construction. Tout un écosystème nous emmène de la preuve de concept d’un procédé ou d’une innovation à la mise en place concrète, sur un chantier, de cette nouvelle technologie. ■