Plaidoyer pour une culture de la prévention en milieu de travail
Entrevue avec Michel Pérusse
« Impliquez les employés! L’objectif est de leur donner un rôle actif !, lance le professeur et consultant Michel Pérusse. Et il en va de même pour les directeurs et les chefs d’équipe. »
En matière de santé et sécurité en milieu de travail, le Québec ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Dans un tel contexte, il est facile pour les employeurs de croire que les problèmes de cet ordre n’existent plus, estime Michel Pérusse, consultant en SST et professeur associé à l’Université de Sherbrooke. Selon lui, c’est lorsque tout va bien qu’il faut redoubler d’efforts en ce qui a trait à la prévention.
Par Florence Sara G. Ferraris
«Il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas parce que les statistiques sont bonnes que les travailleurs sont hors de danger, lance sans ambages Michel Pérusse. Pas qu’ils le soient au quotidien, mais ce serait une erreur de baisser les bras. » Actif dans le domaine de la prévention des accidents en milieu de travail depuis près de 45 ans, le professeur associé au Département de management et de gestion des ressources humaines à l’Université de Sherbrooke observe pourtant depuis quelques années un certain relâchement de la part des différents employeurs de la province, tous secteurs confondus.
« Ce n’est pas qu’ils n’y accordent pas d’importance, bien au contraire, insiste-t-il. En fait, je crois que les entreprises n’ont jamais été aussi concernées par ces questions, mais, en même temps, elles n’ont jamais été occupées à ce point. Elles sont assaillies de toutes parts et leurs préoccupations sont multiples. Elles pensent, par exemple, à leur rendement mensuel, aux défis que leur pose la pénurie de main-d’œuvre ou encore aux plus récents coups d’éclat du président américain. Après, c’est beaucoup une question de priorité et, dans un tel contexte, on arrive quand même à comprendre pourquoi la prévention a de plus en plus de difficulté à se tailler une place. »
Cela ne veut toutefois pas dire qu’un chef d’entreprise peut se permettre de négliger l’intégrité physique et psychologique de ses employés en omettant de faire de la prévention, rappelle celui qui a donné un atelier sur le sujet lors de la 75e édition du congrès annuel de l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec. « Ça ne prend qu’une fraction de seconde pour se blesser, affirme-t-il, mais les dommages, eux, peuvent nous suivre pour le restant de notre vie. »
« Vivre la prévention »
L’idée est ainsi de remettre la prévention au cœur des priorités des entreprises. Pour y arriver, Michel Pérusse estime que les compagnies ne perdraient pas au change à se familiariser avec les codes et pratiques des entreprises spécialisées en marketing. « L’idée est de trouver, au sein de notre entreprise, des ambassadeurs – ou “influenceurs”, pour emprunter le jargon des boites de communication – qui seront enclins à amorcer tranquillement le virage. L’idée n’est pas de tout changer du jour au lendemain, mais si on réussit à convertir environ 30 % de notre équipe, l’affaire est déjà gagnée. »
« Faire en sorte que tout le monde prenne ses responsabilités, peu importe le poste qu’il occupe, c’est la seule façon d’insuffler un réel changement de culture, la seule façon de faire de la prévention un réel cheval de bataille. » — Michel Pérusse
En ce sens, un travail de sensibilisation doit être fait auprès de tous les maillons de la chaîne, tant les cadres que les derniers embauchés. « La sécurité, c’est l’affaire de tous, insiste le professeur avec sérieux. Faire en sorte que tout le monde prenne ses responsabilités, peu importe le poste qu’il occupe, c’est la seule façon d’insuffler un réel changement de culture, la seule façon de faire de la prévention un réel cheval de bataille. »
Concrètement, cela veut dire d’impliquer les employés dans les différentes étapes de prévention, de la formation de leurs pairs à l’intégration des nouveaux, en passant par la participation aux tournées d’inspection. « L’objectif est de leur donner un rôle actif !, lance Michel Pérusse. Et il en va de même pour les directeurs et les chefs d’équipe. »
Payante prévention
Surtout qu’à terme, ce sont les hautes sphères qui sont les grandes gagnantes dans cette histoire puisque « l’implantation de bonnes pratiques en matière de santé et sécurité peut s’avérer particulièrement payante, et ce, peu importe la taille des entreprises concernées », rappelle Michel Pérusse. « On l’oublie par moment, mais un employé qui ne peut pas travailler parce qu’il s’est blessé, ça coûte extrêmement cher au quotidien », spécifie le consultant.
À l’inverse, un excellent dossier peut permettre à une entreprise de sortir du lot auprès des travailleurs en recherche d’emploi. « Dans un contexte de pénurie de la main-d’œuvre de plus en plus critique, ça peut faire toute la différence, expose Michel Pérusse. À mon avis, les employeurs devraient essayer de jouer sur tous les fronts et la santé et la sécurité n’en est pas un qui devrait être négligé. » Ainsi, insiste-t-il, une bonne réputation de ce côté peut avoir un effet positif, tant pour l’embauche que pour retenir les employés déjà formés.
Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, il n’est pas nécessaire ici de se compliquer la vie. « L’idée n’est pas de mettre en place des pratiques complexes ou d’alourdir les tâches quotidiennes, signale le chercheur. En fait, c’est tout le contraire. Pour être efficace, il vaut mieux y aller graduellement et miser sur la simplicité. Ça peut paraître simple, mais on ne s’imagine pas à quel point ça peut avoir un impact décisif. On l’a un peu oublié, mais en santé et sécurité, c’est surtout en amont qu’on sauve des vies. » •