Le bois au service des routes: une révolution verte en marche
Une avenue pour notre secteur forestier
Le bois québécois se taille aujourd’hui une place dans un domaine insoupçonné: les infrastructures routières. En intégrant ses composantes à l’asphalte et au béton, chercheurs et entrepreneurs tentent d’offrir une solution de remplacement plus durable aux matériaux traditionnels, tout en stimulant une industrie forestière en pleine transformation.
par Marie-Ève Martel

Valoriser les ressources forestières
Avec la chute de la demande pour le papier journal, l’industrie forestière québécoise a dû revoir ses stratégies. «Il fallait trouver d’autres avenues pour maintenir les usines en activité et conserver les emplois en région», explique André Auger, analyste sectoriel au ministère des Ressources naturelles et des Forêts. Le gouvernement du Québec a ainsi encouragé la recherche de nouveaux bioproduits dérivés du bois.
L’exploitation de la fibre de bois s’est donc diversifiée. Cette dernière contient quatre composantes principales: la cellulose, la nanocellulose, la lignine (un sous-produit issu de la fabrication de la pâte) et les extractibles (des molécules chimiques présentes dans l’écorce). Chacune d’elles possède des propriétés qui peuvent être mises à profit dans divers secteurs industriels.
Un enrobé bitumineux plus vert
Parmi les avancées les plus prometteuses, l’intégration de la lignine à l’asphalte offre une solution de rechange aux composites pétroliers utilisés dans les revêtements routiers. «Ce procédé permet non seulement de valoriser un sous-produit du bois, mais aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) associées à la production d’asphalte», précise M. Auger.
L’organisme privé à but non lucratif montréalais FPInnovations a supervisé ce projet ambitieux, en collaboration avec la firme Eurovia, une filiale de VINCI Construction, et le ministère des Transports et de la Mobilité durable. Avec un soutien financier de 1,5 M$ provenant du Programme d’innovation forestière de Ressources naturelles Canada, des tests ont été menés sur cinq segments routiers au pays.
Les résultats préliminaires sont encourageants: les bitumes modifiés avec 10% à 15% de lignine affichent une résistance comparable à celle des matériaux traditionnels après deux ans d’exposition aux intempéries. Forts de ce succès, les chercheurs ont aménagé une nouvelle section d’essai en 2023 sur la route 235, à Ange-Gardien, en Montérégie.
Selon des chiffres publiés par FPInnovations en 2021, «le
marché global du bitume utilisé pour l’asphalte est actuellement évalué à près de 4 millions de tonnes par année», uniquement au pays, dont près de 40% du réseau routier est recouvert.
Faire d’une pierre deux coups
Intégrer de la lignine de bois dans le bitume poursuit un double objectif: verdir le revêtement de centaines de milliers de kilomètres de routes au Canada et conserver les emplois du secteur des pâtes et papiers.
Au terme d’une étude préliminaire menée en Alberta, FPInnovations a estimé que de substituer la lignine au bitume dans une proportion de 5% à 10% dans un mélange d’asphalte aurait pour effet de retrancher de 16 000 à 31 000 tonnes de GES annuellement. Une application proportionnelle partout au Canada pourrait éviter l’émission annuelle de 117 000 à 260 000 tonnes de GES, soit ce qui est rejeté dans l’air par 56 171 voitures.
«En présumant […] une pénétration de marché de 20% par le nouveau produit environnemental, une demande annuelle potentielle de 40 000 à 80 000 tonnes de lignine serait créée, en plus d’ouvrir un nouveau marché pour la lignine de grande valeur tirée des usines canadiennes de pâte kraft», avançait FPInnovations en 2021.
Quand le bois renforce le béton
En plus de l’asphalte, le bois pourrait également améliorer les performances du béton, matériau clé de l’industrie de la construction. L’idée n’est pas tant de rendre le procédé moins coûteux que d’optimiser certaines de ses propriétés. «On cherche à voir si l’ajout de cellulose, qui constitue environ 40% du bois, peut renforcer la résistance du béton à l’écaillage», indique André Auger.
Des essais ont été menés en divers endroits de la province, et l’industrie du béton suit les résultats avec intérêt. «Les manufacturiers sont très conscients de leur empreinte environnementale, mais c’est aussi un milieu très conservateur», note M. Auger, comparant cette industrie à celle des pâtes et papiers, qui est ouverte aux changements, mais qui a besoin d’être accompagnée pour se moderniser.
Selon Ressources naturelles Canada, cette approche pourrait «prolonger la durée de vie des routes dans un contexte de changements climatiques».
De nouveaux horizons pour la fibre de bois
Au-delà des infrastructures, d’autres débouchés se profilent pour les composantes du bois. La nanocellulose, par exemple, pourrait remplacer certains produits pétrochimiques dans la fabrication de lubrifiants industriels. Elle pourrait également remplacer les microbilles de plastique utilisées dans les produits cosmétiques, réduisant ainsi leur impact environnemental.
Un autre projet en élaboration vise à transformer des sous-
produits de l’industrie papetière en bioplastiques dégradables.
Avec ces démarches, le bois pourrait bien redevenir un acteur majeur de l’économie québécoise, tout en contribuant à la transition écologique. Un avenir prometteur se dessine pour l’industrie forestière, qui prouve une fois de plus sa capacité d’adaptation et d’innovation. ■