Ce genre d’interventions (les déversements planifiés), bien qu’elles marquent le grand public, demeurent bien encadrées par la législation québécoise, souligne Sarah Dorner.
Chaque année, des centaines de milliers de litres d’eaux usées sont déversés dans les cours d’eau du Québec. Déversements qui, en plus de révéler les limites de nos réseaux actuels, forcent les municipalités à faire preuve d’inventivité, notamment pour l’amélioration de nos infrastructures. Pour mieux comprendre comment, Constas a rencontré Sarah Dorner, professeure à Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la dynamique des contaminants microbiens dans les sources d’approvisionnement en eau.
Par Florence Sara G. Ferraris
L’événement a marqué l’imaginaire. Nous sommes à l’automne 2015 ; la Ville de Montréal annonce qu’en raison de travaux urgents à réaliser sur l’un des intercepteurs de son réseau d’aqueduc, elle doit procéder au déversement de huit milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent. La population est sous le choc, les médias s’emballent et la nouvelle fait la une des journaux.
Il ne s’agit pourtant pas d’un événement isolé, bien au contraire. « C’est même assez commun, je dirais », lance sans ambages Sarah Dorner. Bon an mal an, ce sont en effet des dizaines de milliers de litres d’eaux usées qui se retrouvent dans les cours d’eau de la province. Parfois planifiés, d’autre fois non, ces déversements sont le résultat d’un trop-plein évident dans nos réseaux d’aqueducs.
L’équilibre de la planification
« Il y a plusieurs types de déversements », explique simplement la chercheure qui s’intéresse de près aux réseaux hydrologiques, de même qu’aux méthodes de protection des sources d’approvisionnement en eau potable. « Ils peuvent être planifiés – comme à Montréal en 2015–, dans le cas de travaux de réfection, par exemple, précise la spécialiste. Le déversement devient inévitable lorsque la quantité d’eau devient trop importante pour les infrastructures disponibles et qu’on n’a pas d’endroit pour la refouler. Il se présente alors comme la seule solution pour se débarrasser des eaux accumulées. »
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé il y a quelques mois à Québec, lorsque la Ville a dû procéder à des travaux d’entretien au poste de pompage Saint-Pascal. Ce sont ici près de 46 millions de litres d’eaux usées non traitées qui ont été déversés dans le fleuve.
Ce genre d’interventions, bien qu’elles marquent le grand public, demeurent bien encadrées par la législation québécoise, souligne Sarah Dorner. « La municipalité concernée doit obtenir un permis auprès du ministère de l’Environnement, ajoute-t-elle, l’idée étant de s’assurer que l’opération se fasse en faisant le moins de dégât possible, tant d’un point de vue humain qu’environnemental. »
Contrôler l’imprévisible
Les déversements d’eaux usées ne suivent toutefois pas toujours un calendrier préétabli. De fait, bon nombre d’entre eux sont dus aux intempéries ou à des événements exceptionnels qui échappent au contrôle des autorités. « On peut, entre autres, penser à un incendie ou à une panne d’électricité qui empêcherait d’utiliser les pompes, cite en exemple la titulaire de la de la Chaire de recherche du Canada sur la dynamique des contaminants microbiens dans les sources d’approvisionnement en eau. Dans de tels cas, les eaux seraient nécessairement refoulées vers le fleuve ou la rivière. »
«Des pluies diluviennes peuvent également être à la source d’un déversement non planifié, rajoute Sarah Dorner. On parle alors de déversements en “surverse”, affirme-t-elle, en spécifiant que ce sont ces derniers qui surviennent le plus fréquemment. Ce genre de choses arrive lorsque les égouts se remplissent au maximum de leur capacité. C’est d’ailleurs ce qui se produit chaque année durant la fonte des neiges au printemps. »
Interventions municipales
Ces déversements, moins encadrés en raison de leur caractère imprévisible, révèlent les limites des infrastructures en place, soutient l’ingénieure de formation. Et, bien qu’ils ne soient pas systématiquement dommageables pour l’environnement, il n’en demeure pas moins qu’ils se font dans des milieux naturels. « Ça dépend toujours à quoi a servi l’eau en aval du déversement, précise Sarah Dorner. Mais c’est certain que même en toute petite quantité, des déchets restent des déchets. »
Pour limiter les dégâts – même les plus petits –, de plus en plus d’administrations municipales travaillent de concert avec le milieu de la recherche afin d’améliorer leur gestion des eaux – usées, fluviales, etc. – sur leur territoire. Des changements qui, par moments, posent un défi de taille aux élus et fonctionnaires, notamment en raison de l’âge des réseaux d’aqueducs. Celui de Montréal, par exemple, a, par endroits, plus de 100 ans.
Outre l’amélioration des réseaux existants, la chercheure souligne l’importance d’inclure davantage d’infrastructures vertes dans nos villes.
« Dans certaines villes – ce n’est malheureusement pas le cas dans la métropole –, les réseaux sont séparés, énonce la chercheure en citant en exemple le cas de la Ville de Trois-Rivières. On parle alors de réseaux séparatifs, c’est-à-dire qui permettent une réelle séparation des eaux sanitaires et pluviales. » Concrètement, cela représente une refonte majeure des infrastructures pluviales. Mais dans certains cas, on parle plutôt d’ajouts d’infrastructures grises en marge du réseau tel que des bassins de rétention supplémentaires. « L’idée est d’augmenter la capacité physique pour stocker l’eau, avance Sarah Dorner, en ajoutant que ça peut également passer par la construction d’une conduite plus large. Il y a des villes dans le monde, comme Chicago aux États-Unis par exemple, qui se sont dotées de réservoirs énormes. L’eau est ainsi retenue durant les averses et la Ville peut ensuite contrôler le débit d’écoulement, ce qui évite que les infrastructures soient surchargées. »
Changements climatiques
Chose certaine, le bilan ne risque pas d’aller en s’améliorant au cours des prochaines années, ne serait-ce que parce que les déversements non planifiés sont directement liés aux intempéries. « Avec les changements climatiques, on risque d’en voir de plus en plus, soutient celle qui s’intéresse justement aux impacts de ces derniers sur la qualité des eaux. On peut s’attendre à voir des pluies plus intenses, par exemple. Nos infrastructures ne sont clairement pas prêtes pour répondre à une telle charge. »
Outre l’amélioration des réseaux existants, la chercheure souligne l’importance d’inclure davantage d’infrastructures vertes dans nos villes. « L’ajout de végétation est la meilleure façon de réduire les risques de déversement, soutient-elle. C’est en déminéralisant nos villes, en ajoutant des arbres, des cellules de bio-rétentions et des toits verts, par exemple. C’est en les combinant à de meilleures infrastructures bétonnées que nous allons réussir à endiguer le problème. »
« Les déversements sont chose courante depuis des années au Québec, renchérit Sarah Dorner. Tout le monde le fait, ou presque… Le déversement montréalais de 2015 a forcé un débat autour de cette question et c’est une excellente nouvelle, si vous voulez mon avis. Mais maintenant, il faut aller plus loin. Il est temps que, collectivement, on commence à se demander réellement ce qu’on peut faire pour limiter les déversements. Parce qu’à long terme, nous sommes tous perdants. » •