MAGAZINE CONSTAS

Traiter et assainir les eaux au Québec

Une évolution à petits pas

En 1978, le Gouvernement instaure le Programme d’assainissement des eaux usées. À partir des années 1980, toute une industrie se construira et se déploiera dans ce domaine.

Au début du XVIIIe siècle, que ce soit à Québec, à Montréal ou à Trois-Rivières, les habitants s’approvisionnent directement dans des cours d’eau, des puits, ou des fontaines alimentées par des sources. Un siècle plus tard, l’eau était aussi distribuée à des consommateurs payants par la Corporation des charroyeurs d’eau dans des barriques traînées par un cheval de porte en porte et à jours fixes. Ce métier de porteur d’eau est resté dans l’imaginaire québécois. Puis vint l’aqueduc et le long développement des techniques qu’il commande entre le robinet et la source.

Par Jean Brindamour

L’eau potable de 1845 à 1870 : l’exemple de Montréal et de Québec

En 1845, à Québec, deux gros incendies ravagent respectivement le quartier Saint-Roch et le Faubourg St-Jean-Baptiste. La construction d’un aqueduc municipal devient une priorité. L’ingénieur américain en charge, George R. Baldwin, choisit la rivière St-Charles comme source, d’autant plus que le lac St-Charles constitue un réservoir naturel. Le coût du projet, en 1847, était évalué à 551 783,90$. En 1853, le projet est accepté par le Conseil de ville. La conduite d’amenée de 455 mm en fonte est construite en 1854. Le réseau de distribution, débuté en 1865, est terminé en 1865. Ce n’est toutefois que le 30 janvier 1885 que le réseau, amélioré petit à petit, peut distribuer l’eau dans toute la ville. C’est la fin des porteurs d’eau…

Construction d’une tranchée d’adduction à Québec, en 1931. CR: Archives de la Ville de Québec

 

En 1845, la Ville de Montréal utilise d’abord un système existant dû au privé (22 km de canalisations) et construit un réservoir à l’emplacement actuel du square Saint-Louis. D’autres canalisations sont installées (40 km en 1850, 30 km de tuyaux en fer, 10 km en plomb). Mais, en 1852, deux terribles incendies détruisent la plus grande partie des installations. Utilitatem calamitatis (« Utilité du malheur »), disait saint Augustin. La nécessité de reconstruire, tant à Montréal qu’à Québec, ouvrit la voie à des progrès décisifs. Mont­réal confie à Thomas C. Keefer, un ingénieur, la responsabilité d’un nouveau système. Grâce à lui, les bases du système actuel furent établies, en commençant par un canal de 2,4 km, prenant sa source dans les rapides de Lachine. Ce réseau, graduellement amélioré, n’empêcha pas, en 1910, une terrible épidémie de typhoïde qui amène le Conseil municipal à décider de construire une usine de filtration au pied de la rue Atwater, complétée en 1918.

Aqueduc de Montréal ouvriers travaillant à l’élargissement du canal de l’aqueduc (station 267), le 5 août 1909. CR: Archives de la Ville de Montréal

La crise et la guerre ralentissent ou interrompent bien des travaux tant à Québec qu’à Montréal. Ils reprirent après 1945. L’usine de filtration d’Atwater ne suffisant plus à la tâche, la Ville de Montréal acquiert des terrains pour une seconde usine de filtration, la construction de l’usine Charles-J.-DesBaillets commence en 1973 et se termine en 1978. À Québec, ce n’est qu’en 1969 qu’une usine de filtration, située à 12 km au nord du centre-ville en bordure de la rivière St-Charles, est inaugurée par le maire de Québec, Gilles Lamontagne, le 17 octobre 1969.

Le traitement des eaux usées: le cas de Montréal

En 1898, le Conseil municipal a fait bâtir la ferme d’épuration St-Denis, située dans le prolongement de la rue St-Denis, au nord de l’actuel boulevard métropolitain. C’est la Compagnie d’assainissement et d’utilisation des eaux d’égout, une compagnie privée, qui exploitait cette ferme, moyennant les revenus de la culture et des champs d’épuration. Dans les années 1910, cette ferme fut abandonnée.

Engin à briser le béton, employé lors de la pose des canalisations de l’aqueduc de Montréal, vers 1927. CR: Archives de la Ville de Montréal

Le rôle de l’État québécois a été décisif pour tout le Québec. Dès 1884, le Conseil d’hygiène de la province de Québec avait l’autorité de s’opposer à tout système de drainage qui ne tenait pas compte de l’hygiène.

En 1916, la Ville fit construire une fosse Imhoff, un procédé de traitement des eaux usées nommé digesteur-décanteur, conçu par Karl Imhoff. Mais au pays de Québec, tout va à petits pas. En 1929, l’ingénieur en chef du service technique de la Ville présente un plan directeur de drainage qui recommande la construction d’un égout collecteur et d’une usine d’épuration. En 1930, une commission approuve ce plan directeur. Le Conseil de la Ville adopte un règlement d’emprunt de 7 500 000 $ pour la construction d’un égout collecteur au nord de Montréal et d’une usine d’épuration située à l’île de la Visitation. L’égout collecteur du nord commencé en 1931 n’est achevé qu’en 1955; l’usine d’épuration, elle, n’a jamais été construite (la décision finale de ne pas la construire a été « approuvée » en 1967). Ce n’est que dans les années 1960 que des usines d’épuration furent finalement bâties.

Travaux d’installation des égouts à l’est de la rue Molson à Montréal, le 5 avril 1939. CR: Archives de la Ville de Montréal.

Une petite station desservant 500 personnes fut complétée après que le village de Saraguay eut été annexé; deux stations furent construites pour l’Expo 67, celles de Kirkland et de Beaconsfield, et deux autres à Pierrefonds. À ce moment-là, 3 % seulement des eaux usées étaient traitées à la C.U.M., alors que les autres grandes villes d’Amérique du Nord en traitaient entre 60 et 95 %. Dans ce domaine, l’île de Montréal était scandaleusement mal servie.

 

Passage de tuyaux d’aqueduc sous la rivière Saint-Charles à Québec, le 20 octobre 1944. CR: Archives de la Ville de Québec

 

Les choses ne s’améliorèrent que dans les années 1970. Victor Goldbloom, le ministre des Affaires municipales et de l’Environnement du gouvernement Bourassa, promit une aide substantielle de l’État. L’entente signée le 27 octobre 1977 fut modifiée à plusieurs reprises et, en avril 1980, le Gouvernement s’engagea à rembourser 90 % des coûts. C’est donc le contribuable québécois qui a payé ce retard. L’un des points d’orgue de ce rattrapage a été la construction de la station d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal (nommée en 2009 J.-R.-Marcotte du nom de son premier directeur), qui s’est échelonnée d’avril 1976 à juin 1984, année où elle a débuté ses opérations.

Aqueduc de Montréal : pose de la canalisation parallèle au canal de l’aqueduc (chantier de l’élargissement du canal). 24 juin 1909. CR: Archives de la Ville de Montréal.

L’État, gardien du bien commun

Le rôle de l’État québécois a d’ailleurs été décisif pour tout le Québec. Dès 1884, le Conseil d’hygiène de la province de Québec avait l’autorité de s’opposer à tout système de drainage qui ne tenait pas compte de l’hygiène. Mais c’est la Régie d’épuration des eaux du Québec (1961-1965) qui fut la première véritable intervention du Gouvernement dans le domaine de la lutte contre la pollution. Près de 50 usines d’épuration ont été mises en opération pendant son mandat. En 1965, le gouvernement du Québec a créé la Régie des eaux du Québec (1965-1972), afin de regrouper la gestion de l’eau potable et celle des eaux usées. Une centaine d’usines municipales d’épuration des eaux usées furent mises en opération au cours de cette période. La Loi sur la qualité de l’environnement, adoptée en 1972, portait sur la qualité de l’eau, de l’air et du sol. À la suite de cette loi, est constituée une nouvelle entité administrative, le Service de protection de l’environnement (1973-1980), regroupant la Régie des eaux, la Direction générale des équipements en eau du ministère des Affaires municipales et la Direction générale de l’hygiène du ministère de la Santé. Pendant cette période, 696 millions$ environ sont consacrés à l’épuration des eaux dans les communautés urbaines et régionales. En 1978, le Gouvernement instaure le Programme d’assainissement des eaux usées. À partir des années 1980, toute une industrie se construira et se déploiera dans ce domaine.

Bassins de filtration et appareils de jauge à Québec, entre 1940 et 1950. CR: Archives de la Ville de Québec

 

Le grand écrivain victorien Anthony Trollope (1815-1882), de passage à Québec en 1861, a qualifié les Canadiens français, auxquels il prédisait un triste avenir, de porteurs d’eau (« In the cities they are becoming hewers of wood and drawers of water. »). Le mot est resté, autant que l’odieux « Speak white », crié par des députés anglophones à Henri Bourassa le 12 octobre 1889, lors d’une séance à la Chambre des communes. Et si les porteurs d’eau devenaient enfin les gardiens, les conservateurs, les guérisseurs de l’eau ? Le riche patrimoine hydrographique québécois justifie une telle ambition. •