MAGAZINE CONSTAS

Le chaud et le froid sur la ville

Le défi urbain des changements climatiques

Dossier Constas 
LA CONSTRUCTION À L’ÈRE DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

«Nous devons intégrer une nouvelle façon de penser nos villes et leur fonctionnement», soutient Suzanne Roy, présidente par intérim de l’UMQ.

Les changements climatiques se font particulièrement sentir depuis quelques années et les villes devront désormais gérer cette problématique exponentielle sur plusieurs plans : financiers, techniques, mais aussi humains, et ce, entre le présent et l’avenir. La difficulté sera de travailler avec des données incertaines sur notre futur climatique. Ne serait-ce pas alors une opportunité de repenser le développement durable de nos villes dans une dimension plus humaine ?

Par Michel Joanny-Furtin

Suzanne Roy, de l’UMQ

«Chaque municipalité se doit d’agir comme agent de changement auprès de sa population afin de diminuer l’empreinte carbone. Il faudra être à la fois pédagogue, engagé, et savoir s’adapter à des phénomènes de plus en plus fréquents et intenses : inondations, tornades, grandes marées, érosion des berges, précipitations fortes, etc. », explique Suzanne Roy, présidente par intérim de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et présidente de son Comité des changements climatiques.

« On a connu l’hiver dernier quinze redoux alternés de gels. Alors que les nids-de-poule sont un phénomène plutôt printanier, ils apparaissent désormais en janvier-février, soit bien avant le printemps ! En ce qui concerne les pluies, certaines municipalités ont reçu en une heure l’équivalent pluvial de 24h de précipitations… », poursuit Suzanne Roy. « Autrefois, il suffisait de déneiger en tassant la neige. De nos jours il faut la déplacer, et casser la glace qui s’est formée avec les redoux. Ce qui nécessite plus de temps et d’équipements, c’est-à-dire des coûts pour les municipalités qui doivent également composer avec les conséquences de ces changements climatiques sur la population. »

Changements climatiques… et sociaux !

Ces écarts de température se révèlent difficiles pour les citoyens, notamment lors des épisodes de chaleur. « Les Villes portent une attention particulière aux populations vulnérables (enfants, aînés, malades, etc.) et s’organisent par exemple pour préparer des lieux d’accueil plus frais, ouvrir plus longtemps les piscines, etc. », souligne la présidente de l’UMQ qui ajoute : « On fait face à l’inconnu… »



Selon elle, il faut dès maintenant envisager plusieurs aménagements et projets citadins : limiter les îlots de chaleur en reverdissant nos municipalités, mettre de l’ombre dans les quartiers et aménager des toits verts, mais aussi des toits blancs avec des matériaux plus pâles. Parallèlement, « les Villes doivent repenser le transport pour limiter l’empreinte carbone et les gaz à effets de serre (GES) », avance Suzanne Roy. « Nous devons favoriser l’électrification, promouvoir le transport collectif et actif, aménager le territoire dans ce sens (voies réservées, pistes cyclables, zones piétonnes), modifier les règles du bâtiment dans les municipalités et réglementer des développements urbains densifiés et à proximité piétonne des services. En bref, nous devons intégrer une nouvelle façon de penser nos villes et leur fonctionnement… »

Les Villes devront limiter les îlots de chaleur en aménageant des zones d’ombre, des espaces rafraîchis et en reverdissant les rues.

Incertitudes environnementales

Dans les années à venir, « les agglomérations devront faire face à deux principaux aléas : les hausses de températures, et les modifications des précipitations », confirme Alain Mailhot, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Centre Eau Terre Environnement.

Les vagues de chaleur et les canicules sont déjà plus fréquentes et plus intenses et définissent plusieurs enjeux dans les milieux urbains. « Les îlots de chaleur sont produits par les surfaces imperméables qui, la nuit, rendent la chaleur emmagasinée pendant la journée », explique-t-il. « Les températures nocturnes ne descendent pas suffisamment pour rafraîchir la ville. Un phénomène qui ne touche pas seulement les grandes villes ! », ajoute ce chercheur qui analyse les statistiques hydro-climatiques et les incertitudes en modélisation environnementale.

« Les températures nocturnes ne descendent pas suffisamment pour rafraîchir la ville. Un phénomène qui ne touche pas seulement les grandes villes ! »  –Alain Mailhot, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Centre Eau Terre Environnement.

« Des conséquences corollaires apparaissent, comme des espèces florales envahissantes et plus d’insectes dans les parcs. De plus, l’évaporation rapide entraîne l’assèchement des sols, souvent constitués de beaucoup d’argile. Cet assèchement exerce une pression sur les structures et entraîne l’apparition de fissures dans le bâti ». Nonobstant la mise en péril des personnes plus vulnérables, cette hausse de la température à l’échelle planétaire pourra s’accompagner de précipitations plus importantes, plus fréquentes, et d’épisodes de smog. Que l’on parle de pluie ou de neige, un hiver plus chaud génèrera plus d’humidité dans l’air et donc plus de précipitations.

Imaginer l’avenir à courte échéance… pour le long terme

L’impact sur les infrastructures a été établi selon des pluviométries passées, qui étaient moindres. Désormais plus intenses, elles expliquent pourquoi les capacités des réseaux d’égout sont depuis quelques années régulièrement dépassées et risquent de l’être encore davantage dans les décennies à venir. « Un réseau d’égout, conçu pour des précipitations extrêmes qui surviennent en moyenne une fois tous les 50 ans, verra sa capacité dépassée en moyenne tous les 25 ans en climat futur », pense Alain Mailhot.



Les Villes devront revoir la capacité des égouts et des bassins de rétention. Mais on ne peut pas reconstruire le réseau. Le remplacement, très coûteux, des égouts ne peut se faire qu’au fur et à mesure, en fonction des calendriers de rénovation des agglomérations et selon la vétusté de l’infrastructure. Alain Mailhot cite pour exemple la rue Saint-Maurice à Trois-Rivières dont on a rétréci la largeur de la chaussée et sa surface imperméable pour installer plus d’infrastructures vertes. Heureusement, les municipalités adoptent des réglementations sur ces infrastructures vertes capables de retenir l’eau ou l’infiltrer pour réduire les volumes d’eaux pluviales acheminés vers les réseaux. Les progrès des technologies des bétons et bitumes, mais aussi des nouveaux matériaux de construction vont également dans ce sens pour concevoir des surfaces poreuses et/ou perméables. « Il s’agit de regagner une marge de manœuvre pour réduire les eaux supplémentaires associées aux pluies extrêmes. »

Ces changements climatiques sont peut-être une belle opportunité pour revoir nos pratiques, repenser nos procédures d’aménagement et… reverdir nos villes. ■