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Délais de paiement

Un projet pilote qui soulève l’optimisme

Le gouvernement québécois fait un pas de plus vers un encadrement législatif en mettant sur pied un projet pilote visant à réduire les délais de paiement entre donneurs d’ouvrage, entrepreneurs et sous-traitants.

L’annonce faite en août dernier par le ministre délégué à l’Intégrité des marchés publics et aux Ressources informationnelles, Robert Poëti, relativement à la mise en place d’un projet pilote pour encadrer les délais de paiement dans les contrats publics de construction, soulève un vent d’optimisme dans l’industrie. Ces délais qui touchent les parties prenantes à des contrats vont même jusqu’à affecter la viabilité et la compétitivité de certaines entreprises. Or, le projet pilote annoncé plus tôt cet été pourrait changer la donne. Steve Boulanger, coordonnateur de la Coalition contre les retards de paiement dans la construction, nous dresse un portrait de la situation.

Par Magalie Hurtubise

La firme Raymond Chabot Grant Thornton, mandatée par la Coalition pour réaliser une étude d’impact, évaluait en 2015 que le délai moyen actuel de paiement était de 80 jours et que les entreprises étaient privées de 7,2G $ annuellement au-delà d’un délai normal de paiement de 30 jours. « La problématique est vécue à plusieurs niveaux. Du moins, c’est ce que nous avons réalisé à travers l’étude d’impact et les diverses consultations que nous avons menées », mentionne M. Boulanger. La libération des retenues et le non-respect des clauses contractuelles de paiement figurent parmi les facteurs pouvant expliquer ces retards de paiement. Le projet pilote, faisant suite au projet de loi 108, réjouit la Coalition qui, depuis sa création en 2013, souhaite que cette problématique soit reconnue et mieux encadrée.

Le projet pilote

Le projet pilote comprend deux mesures phares qui représentent les deux piliers des demandes faites par la Coalition contre les retards de paiement dans la construction.

D’une part, le projet pilote instaure un calendrier de paiements avec dates précises. D’autre part, il implante un mécanisme de recours impliquant un intervenant-expert de l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec (IMAQ) pour trancher les différends dans un court délai dans l’optique de ne pas retarder la bonne mise en œuvre des travaux.

Le manque à gagner causé par les retards de paiement représente plus d’un milliard de dollars annuellement selon l’étude de Raymond Chabot Grant Thornton.

Ce processus de règlement des différends s’inspire du principe d’adjudication anglais. « Il s’agit d’un concept de règlement des différends qui se fait extrêmement rapidement à l’intérieur d’un délai de 30 à 45 jours. La décision qui en résulte est exécutoire. Ce levier nous apparaît nécessaire pour faire respecter le calendrier de paiements », affirme M. Boulanger.

Pour l’instant, le projet pilote ne s’applique qu’à la Société québécoise des infrastructures et au ministère des Transports, mais dès le début 2019, son champ d’application pourrait s’étendre aux établissements des réseaux de l’éducation et de la santé et des services sociaux.

Un enjeu crucial

Un contrat prévoit des délais de paiement au même titre que des plans et devis, mais c’est lorsque des changements surviennent au niveau des travaux non prévus au contrat initialement qu’une problématique peut survenir.

Le manque à gagner causé par les retards de paiement représente plus d’un milliard de dollars annuellement selon l’étude de Raymond Chabot Grant Thornton.

« La viabilité de certaines entreprises, qui n’ont plus les liquidités nécessaires pour bien fonctionner, peut être mise en péril », soutient M. Boulanger. Selon ce dernier, les irritants reliés aux retards de paiement peuvent affecter la bonne conduite d’un chantier de construction lorsqu’il y a une relation d’interdépendance entre les donneurs d’ouvrage, les entrepreneurs généraux et les sous-traitants. « Qui plus est, les entreprises de plus petite envergure qui ont moins accès à des leviers financiers et au crédit peuvent être écartées de contrats pour lesquels elles ont l’expertise, mais peut-être pas les ressources financières pour supporter des délais de paiement aussi grands, ce qui affecte directement la concurrence », explique M. Boulanger.

Le Québec, innovateur?

Si le gouvernement québécois a choisi d’aller de l’avant avec des projets pilotes, le gouvernement ontarien a pour sa part opté pour l’adoption d’une loi. Cependant, la mise en œuvre des mesures pour contrer les délais de paiement se fera uniquement à l’automne 2019 en Ontario.

« Le gouvernement québécois sera donc le premier à tester de façon réelle ces nouvelles mesures pour contrer les délais de paiement dans l’industrie de la construction. Depuis l’annonce du projet pilote en août 2018, il y a déjà deux appels d’offres en cours dont les dépôts étaient prévus en novembre 2018. Début 2019, nous verrons déjà des projets ayant fonctionné sous l’égide du projet pilote », affirme M. Boulanger.

La Coalition, selon son coordonnateur, souhaite que le projet pilote pave la voie à l’adoption d’une loi plus extensive s’appliquant à tous les contrats, qu’ils soient publics ou privés. « Nous espérons que, fort de cette expérience, le gouvernement québécois étende les mesures, si elles sont concluantes, à l’ensemble des donneurs d’ouvrage et ce, d’ici un an ou deux », indique M. Boulanger. •