MAGAZINE CONSTAS

Le gestionnaire de projet comme facteur de succès

Comment mieux le choisir

« Il existe un lien direct entre le succès d’un projet et l’intelligence émotionnelle du gestionnaire de projet, c’est-à-dire son habileté et son efficacité à gérer ses ressources humaines, son comportement par rapport à l’incertitude et aux situations conflictuelles, sa créativité et son intuition. » — Christiane Papineau et Gabriel Lefebvre

Christiane Papineau, Ph.D., architecte et urbaniste, et Gabriel Lefebvre, Ph.D., architecte, sont professeurs au département de génie de la construction, à l’École de technologie supérieure (ÉTS), et membres actifs de l’Observatoire en construction. Avec leur équipe de recherche composée d’étudiants des trois cycles universitaires, ils s’intéressent, entre autres, aux différents facteurs affectant la performance des projets de construction ainsi qu’à la gestion des équipes et des personnes en contexte de gestion de projets de construction. Constas les a interrogés.

Par Jean Brindamour

« L’industrie de la construction est l’un des plus importants secteurs économiques du Québec, expliquent-ils, mais c’est également une industrie dont la productivité ne cesse de décroître depuis 2007. L’une des avenues pour que celle-ci demeure compétitive consiste à embaucher des gestionnaires de projet capables d’assurer une meilleure coordination des équipes et de travailler en partenariat ou avec des stratégies de gestion qui favorisent la coopération, la confiance et de meilleures relations de travail. »

« Alors que la sélection des gestionnaires de projet peut faire toute la différence quant à la réussite ou non d’un projet, nous constatons que dans l’industrie de la construction au Québec, celle-ci se fait presque essentiellement sur la base des connaissances techniques, de l’expérience et souvent même, de la seule appartenance à un ordre professionnel, négligeant d’autres aspects jugés essentiels par plusieurs auteurs, comme l’intelligence émotionnelle. »

La recherche doctorale portant sur les compétences essentielles requises des gestionnaires de projets de construction au Québec réalisée au sein de l’industrie de la construction québécoise par Christiane Papineau, sous la direction de Gabriel Lefebvre, a mis en lumière certains éléments en lien avec les compétences du gestionnaire de projet qui permettent d’expliquer, en partie, les performances souvent décevantes des projets de construction.

« Ralf Müller et Rodney Turner ont d’ailleurs démontré en 2007 qu’il existe un lien direct entre le succès d’un projet et l’intelligence émotionnelle du gestionnaire de projet, c’est-à-dire son habileté et son efficacité à gérer ses ressources humaines, son comportement par rapport à l’incertitude et aux situations conflictuelles, sa créativité et son intuition. Ces deux chercheurs considèrent même le choix du gestionnaire comme un critère de succès d’un projet. Il est donc important, selon eux, pour assurer ce succès, de tenir compte de la personnalité du gestionnaire du projet dès sa sélection, personnalité qu’ils définissent comme étant une combinaison particulière de leadership et d’attitudes (son profil psychologique). »

« Alors que la sélection des gestionnaires de projet peut faire toute la différence quant à la réussite ou non d’un projet, nous constatons que dans l’industrie de la construction au Québec, celle-ci se fait presque essentiellement sur la base des connaissances techniques, de l’expérience et souvent même, de la seule appartenance à un ordre professionnel, négligeant d’autres aspects jugés essentiels par plusieurs auteurs, comme l’intelligence émotionnelle. » – Christiane Papineau et Gabriel Lefebvre

 Une recherche menée au Québec

La recherche doctorale portant sur les compétences essentielles requises des gestionnaires de projets de construction au Québec réalisée au sein de l’industrie de la construction québécoise par Christiane Papineau, sous la direction de Gabriel Lefebvre, a mis en lumière certains éléments en lien avec les compétences du gestionnaire de projet qui permettent d’expliquer, en partie, les performances souvent décevantes des projets de construction. « L’enquête terrain, racontent les deux chercheurs, réalisée dans le cadre de ce projet de recherche s’est déroulée sur deux ans, de 2015 à 2017, auprès de 100 employeurs (architectes, ingénieurs, entrepreneurs et donneurs d’ouvrage publics) ayant réalisé des travaux de construction de 20 millions de dollars et plus dans le secteur public, au cours des 5 dernières années, et de 50 gestionnaires de projets de construction à l’emploi de ces derniers. 90% des gestionnaires de projet de l’enquête étaient ingénieurs ou architectes, membres de leur ordre professionnel respectif. 6% avaient une formation universitaire en génie ou en architecture sans être membres de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) ou de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) et 4% avaient une formation dans un autre domaine. »
Sept questionnaires ont d’abord été remis à des employeurs pour identifier les compétences, les caractéristiques personnelles et le profil psychologique qu’ils jugeaient nécessaires pour un gestionnaire, tandis que dans une deuxième étape, quatre questionnaires psychométriques ont été remplis par des gestionnaires afin d’identifier leur profil.

« Dans un premier temps, rapportent les chercheurs, l’analyse des résultats nous a permis d’identifier 13 habiletés essentielles que doivent posséder les gestionnaires de projet.

Deux sont des compétences conceptuelles :

  • la capacité à voir le projet dans son ensemble;
  • la capacité à déterminer la portée du projet.

Deux autres sont des compétences politiques :

  • la capacité à user de finesse sur le plan social;
  • la capacité à influencer.

Huit habiletés sont des compétences humaines :

  • la capacité d’adaptation;
  • la capacité à motiver l’équipe;
  • la capacité à reconnaître les changements, à éliminer les obstacles, à entraîner les autres et à défier le statu quo;
  • la capacité à être consciencieux (habiletés associées à l’intelligence émotionnelle);
  • la capacité à assurer la liaison entre les intervenants;
  • la capacité à communiquer efficacement : écoute active, solides habiletés en communication orale, écrite, graphique et en présentation;
  • la capacité à gérer les conflits;
  • la capacité à développer le travail d’équipe et la coopération (habiletés de type interpersonnel).

Finalement, la seule compétence technique identifiée comme essentielle par les employeurs a été :

  • la capacité à gérer les risques. »

« Les travaux ont également permis de retenir 11 caractéristiques personnelles essentielles que devraient posséder les gestionnaires de projets de construction pour œuvrer au sein de l’industrie de la construction au Québec :

  • analytique;
  • structuré;
  • discipliné;
  • calme et confiant;
  • efficace;
  • à l’écoute des propositions;
  • coopératif;
  • conscient des priorités;
  • persévérant;
  • efficace dans le suivi;
  • attentif aux autres.

La moitié de ces caractéristiques sont nécessaires pour exercer les habiletés associées aux compétences humaines identifiées comme essentielles. Ces résultats confirment l’importance des compétences humaines (soft skills) dans la gestion de projet par rapport aux compétences techniques (hard skills). »

Leur recherche a aussi permis d’identifier le profil des gestionnaires de projet actuellement en poste dans l’industrie et de le comparer à celui recherché par les employeurs. Les résultats sont étonnants : « Seulement cinq gestionnaires de projet ont un profil qui se rapproche de celui recherché par les employeurs, indiquent les chercheurs. Donc 90 % ne possèdent pas les compétences nécessaires pour gérer les projets de manière à en assurer la réussite. »

Détail de la fresque L’École d’Athènes, de Raphaël, peinte en 1508 et qui symbolise la recherche du Vrai par le dialogue et la communication. On y retrouve, au centre gauche, sous les traits de Léonard de Vinci, Platon, le doigt vers le ciel, tenant le Timée, l’une de ses dernières œuvres, et, au centre droit, Aristote, le bras tendu vers le sol, l’Éthique à Nicomaque dans sa main gauche.

Une formation à améliorer

Ce ne sont pas les compétences techniques qui manquent, mais les compétences humaines, celles-là mêmes pourtant considérées plus importantes par les employeurs : « Les employeurs, poursuivent Christiane Papineau et Gabriel Lefebvre, continuent toutefois à embaucher des gestionnaires de projet ayant un profil trop technique et pas assez relationnel. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de projets réalisés au Québec ne respectent pas les objectifs de coût, d’échéancier et de qualité fixés. »

« Alors que la sélection des gestionnaires de projet peut faire toute la différence quant à la réussite ou non d’un projet, expliquent les chercheurs, nous constatons que dans l’industrie de la construction au Québec, celle-ci se fait presque essentiellement sur la base des connaissances techniques».

Une des leçons de cette recherche est d’établir clairement que les critères de sélection actuels des gestionnaires de projet de construction sont peu efficaces. Les chercheurs soulignent également « l’absence dans les programmes de formation des ingénieurs et des architectes, de cours visant à développer les compétences autres que techniques de ces futurs professionnels ».

Parmi les avenues de recherche et de développement envisagées par les deux chercheurs et leur équipe, mentionnons la création d’outils technologiques de sélection des gestionnaires de projet de construction tenant compte des compétences humaines identifiées dans leur recherche, l’élaboration d’un cours de niveau maîtrise visant à développer ces compétences et d’une formation sur mesure pour l’Industrie, et, enfin, l’identification de méthodes pour intégrer dans la formation des ingénieurs, et éventuellement des architectes, ces compétences humaines nécessaires pour agir comme gestionnaire de projet dans le cadre de leur profession. •