MAGAZINE CONSTAS

C’était le temps de l’Expo

L’échangeur Turcot est né en pleine Révolution tranquille

Plongeon dans l’histoire

L’échangeur Turcot sera prêt seulement trois jours avant l’ouverture d’Expo 67. Son coût en dollars de l’époque ? 24,5 millions.

La construction de l’échangeur Turcot s’inscrit dans cette période bouillonnante qu’on a surnommé la Révolution tranquille. Dans le contexte d’une ville qui portait toujours le titre de métropole du Canada, ce grand projet se rattache à l’organisation d’un événement qui a fait connaître Montréal et le Québec au reste du monde et le monde aux Québécois : l’exposition universelle de 1967. Ce happening monstre fut peut-être la plus grande réalisation d’un homme qui symbolise plus que quiconque la démesure de cette époque où les différents paliers de gouvernement dépensaient sans trop compter : le maire Jean Drapeau.

Par Jean Brindamour

Cette effervescence montréalaise est sur fond d’optimisme démographique. Les planificateurs prévoient que la région métropolitaine comptera près de 5 millions d’habitants en 1981, environ 7 millions en l’an 2000. Les transformations profondes des modes de vie, notamment la démocratisation de la pilule contraceptive, ont rendu ces projections obsolètes. Les futurologues sont rarement des prophètes. Leur défaut est de toujours trop se fier à la régularité de leurs courbes que l’avenir modifie en général et quelquefois dément sans ménagement.

La hauteur singulière de cette infrastructure s’explique par le canal Lachine, qui servait encore de voie maritime, et par l’ancienne gare de triage Turcot du Canadien-National.

En quatre ans et demi, entre le 10 septembre 1962, date où fut annoncée la tenue de l’exposition universelle de 1967 à Montréal, et son ouverture officielle, le 27 avril 1967, la métropole s’est singulièrement transformée. Peu de villes en Amérique du Nord auront changé de visage aussi rapidement en un si court laps de temps. Nommons en vrac quelques réalisations d’un temps qui ne doutait de rien : la Place Ville-Marie (13 septembre 1962), la Place des Arts (21 septembre 1963), le métro de Montréal (14 octobre 1966), le pont tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine (21 avril 1967), et, la même journée, un 25 avril 1967, l’autoroute Décarie et l’échangeur Turcot, celui-ci, comme l’expliquait un communiqué du « ministère de la Voirie du Québec », devenant « la plus importante plaque tournante de la circulation dans la région de Montréal ».

16 décembre 1965, 12 heures 50 : 7 morts, 6 blessés

C’est le 10 mai 1965 que débutent les travaux. Le temps presse. L’Expo 67 approche à grands pas. Aussi faut-il garder la même cadence durant la période hivernale. Pour ce faire, des bâches sont installées afin de couvrir et de chauffer les espaces où le béton est coulé. Cette course contre la montre pourrait ne pas être étrangère au terrible accident qui surviendra quelques mois plus tard.

En effet, le 16 décembre de la même année, une tragédie frappe le chantier. Il est midi cinquante, dix-sept ouvriers viennent de reprendre le travail après la pause du lunch, lorsque l’échafaudage d’une voûte en construction s’effondre. Pendant que quelques ouvriers réussissent à s’agripper aux tiges d’acier tordues, plusieurs se retrouvent ensevelis sous les 1 600 tonnes de béton frais et sous les débris de l’échafaudage. Bilan : 7 morts et 6 blessés. Cette fin d’année 1965 fut particulièrement sombre pour les travailleurs de la construction québécois puisque, quelque trois mois plus tôt, un  7 septembre, un caisson servant à la construction du pilier central de la section nord du pont Laviolette à Trois-Rivières avait explosé, causant la mort de 12 travailleurs.

C’est Jacques Trahan qui est nommé coroner ad hoc pour débrouiller l’affaire. Il a déjà l’expérience de la tragédie récente du pont de Trois-Rivières, et aussi de l’incendie du 13 octobre 1965 à l’usine de produits chimiques de la compagnie Monsanto à LaSalle (11 morts). Si le coroner conclut à des décès accidentels sans responsabilité criminelle, il n’en reste pas moins que le président de la compagnie sous-traitante « Dominic Supports and Forms » avait donné instruction de construire une partie du coffrage de façon non conforme aux plans et devis et que le gestionnaire du chantier ne l’ignorait pas. À la suite du rapport de Jacques Trahan, le président de la CSN de l’époque, Marcel Pépin, a réclamé la création d’une commission d’enquête sur les conditions de sécurité dans l’industrie de la construction, tandis que le secrétaire général de la FTQ, Gérard Rancourt, déclarait que « les gouvernements doivent tenir compte de la sécurité des travailleurs
lorsqu’ils accordent des contrats de construction ».

L’échangeur Turcot photographié par un satellite KH-9/HEXAGON durant la mission 1201 du 16 juin 1971. CR : US Geological Survey

Vers Turcot 2.0

L’échangeur Turcot sera prêt seulement trois jours avant l’ouverture d’Expo 67. Sa construction a exigé 168 000 mètres cubes de béton et 21 000 tonnes d’acier, et coûté en 1967 24,5 millions de dollars. Ce sont les gouvernements provincial et fédéral ainsi que la Ville de Montréal qui ont financé le projet en versant respectivement 12,5 $ millions, 10,5 millions $ et 1,5 million $.



Avant d’être démolies et remplacées, ses 12 bretelles s’étendaient sur trois niveaux, totalisant 7,7, km, construites sur piliers d’une hauteur moyenne de 18 mètres, avec un sommet de 30,48 km (100 pieds !). La hauteur singulière de cette infrastructure s’explique par le canal Lachine, qui servait encore de voie maritime, et par l’ancienne gare de triage Turcot du Canadien-National. Avec le passage de 290 000 véhicules par jour, cet échangeur permettait l’accès aux autoroutes 15, 20 et 720, et reliait, via l’autoroute Décarie, le nord de l’agglomération au centre-ville de Montréal, à la Rive-Sud et à l’autoroute 20.

C’est au début des années 2000, que la vieille infrastructure a commencé à montrer des signes de détérioration, ce qui a poussé quelques années plus tard à la décision du MTQ de construire un nouvel échangeur. ■