La modélisation des données pour mieux décarboner
Faudra-t-il repenser la façon dont nos routes sont conçues ?
Des études de modélisation comparant différents scénarios pour atteindre la carboneutralité sont menées par l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal. Elles visent à déterminer quelles sont les approches les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec et ailleurs au Canada. Une décarbonation qui nécessite aussi de repenser la façon dont les routes sont conçues au Québec.
par Leïla Jolin-Dahel

La modélisation est faite par la firme Esmia Consultants avec un schéma présentant l’ensemble du système énergétique canadien, explique Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal. Ce schéma inclut la production d’énergies fossiles et renouvelables, leur transport, leur transformation et leur consommation. « Ça comprend une description des principales technologies pour les secteurs des voitures, des bâtiments, de l’industrie, etc. » ajoute celui qui est aussi professeur de physique à l’Université de Montréal.
Les équipes de recherche de l’Institut de l’énergie Trottier évaluent ensuite quelle est la solution la moins coûteuse en mesurant les investissements et les technologies essentielles à la réduction des émissions de GES. « Nos modèles montrent qu’en termes de production d’énergie, c’est l’électricité qui sera la première source, fait-il observer. On voit que la demande va augmenter d’à peu près 50 %. »
Ce sont ces écosystèmes qu’il faut déployer, davantage que simplement octroyer des subventions à gauche et à droite.
— Normand Mousseau
Si environ la moitié de la consommation énergétique actuelle au Québec est encore composée de pétrole et de gaz naturel, il ne sera toutefois pas nécessaire de doubler la production d’électricité pour cesser le recours aux énergies fossiles. « Pourquoi ? Parce que, par exemple, si on se déplace avec une voiture électrique, on utilise trois fois moins d’énergie qu’avec un véhicule à essence. On n’a pas de perte de chaleur », explique Normand Mousseau.
Créer une économie autour de la décarbonation
Si les modèles étudiés par l’Institut proposent les solutions optimales d’un point de vue technico-économique, ces solutions ne sont pas nécessairement les meilleures à appliquer sur le terrain, souligne son directeur scientifique.
« Un autre défi est que ces modèles ne nous révèlent pas comment opérationnaliser la transition et quoi mettre en place », relève le professeur. Ainsi, avec son équipe, il effectue des analyses supplémentaires afin de comprendre quels sont les freins à leur instauration et d’identifier les stratégies à privilégier pour atteindre la carboneutralité.
Bien que le Québec propose actuellement des programmes pour la pose d’équipements visant l’efficacité énergétique, ces mesures n’exigent pas nécessairement la décarbonation, note M. Mousseau. Selon lui, le Québec devrait s’inspirer des démarches structurantes élaborées à l’étranger. « Ce sont des approches qui favorisent l’émergence d’un écosystème qui va soutenir les technologies, dit-il. Ce sont ces écosystèmes qu’il faut déployer, davantage que simplement octroyer des subventions à gauche et à droite », fait-il valoir.
Le difficile accès aux données énergétiques est également un défi au Québec et ailleurs au Canada. « On a des informations qui sont souvent dépassées ou incomplètes », déplore le directeur scientifique. Avec la collaboration de l’Institute for Integrated Energy Systems de l’Université de Victoria et la School of Public Policy de l’Université de Calgary, l’Institut de l’énergie Trottier a donc mis sur pied le Carrefour de modélisation énergétique. Cet outil est le fruit d’un investissement de près de 5 M $ en 2022 par Ressources naturelles Canada. Il permet la collecte des données qui ne sont pas disponibles actuellement auprès des gouvernements. « L’accès à ces informations est crucial pour pouvoir comprendre correctement les changements à opérer, souligne Normand Mousseau. Si on n’est pas capables d’appuyer la transformation de notre économie, elle sera moins compétitive sur le plan mondial. »
L’accès [aux données énergétiques] est crucial pour pouvoir comprendre correctement les changements à opérer.
— Normand Mousseau
Repenser la conception et l’entretien des routes
Cette transition globale de l’économie s’applique également au réseau routier du pays. Ainsi, M. Mousseau souligne la nécessité de décarboner le béton et de fabriquer un asphalte émettant moins de GES. « Dans l’ensemble, on doit repenser le transport pour faire baisser la demande pour des produits à plus grand impact environnemental et tenter d’amener les gens vers les transports en commun », croit le professeur.
C’est en ayant cette visée en tête que le secteur du transport, incluant le génie civil, doit revoir la manière dont les matériaux sont utilisés et récupérés pour réduire l’empreinte carbone, dit-il. « Ça peut être l’approche de conception des routes et des ponts pour faciliter leur maintenance et étendre leur durée de vie », illustre-t-il.
Dans un contexte de décarbonation des transports, le Québec devra créer beaucoup d’infrastructures en matière de transport électrique, avance Normand Mousseau. « Il faut repenser les façons de faire pour aussi améliorer la productivité dans la construction de ces ouvrages », dit-il.
Le professeur observe d’ailleurs qu’« aucun » gain en productivité n’a été fait depuis plusieurs années en matière de grands travaux. « Au contraire, on voit que ça coûte plus cher et que ça prend plus de temps. On a besoin d’un effort massif et des investissements nécessaires en infrastructures pour amener à la décarbonation », plaide-t-il. ■