Quand la Technologie protège des vies

Dossier Innovation et SST

L’utilisation des drones sur le chantier Turcot a permis de protéger les travailleurs, notamment les arpenteurs, qui ont été jusqu’à 45 sur le terrain.

Considérée comme l’un des chantiers routiers les plus complexes en Amérique du Nord à l’époque, la reconstitution de l’échangeur Turcot a comporté son lot de défis. Pour assurer la sécurité des travailleurs sur le terrain, l’équipe de Kiewit, membre du consortium KPH Turcot, a utilisé des drones pour survoler le chantier et minimiser les risques, voire les éliminer.

Anne-Marie Tremblay

Arpenteur superviseur, Elias El Murr se souvient d’un lundi matin, alors qu’il y avait eu de fortes averses toute la fin de semaine. « Il fallait fortifier la paroi de la falaise avec des ancrages de béton pour maintenir le tout en place. » Mais, avec la pluie, il y avait un risque de glissement de terrain et d’accident, raconte-t-il. « La direction a donc évacué les travailleurs et utilisé le drone pour inspecter ce qu’il y avait derrière la paroi », poursuit-il. Toute la zone a été survolée minutieusement, mètre par mètre, pour capter photos et vidéos. Des images qui ont permis aux ingénieurs d’analyser le terrain et de déterminer si les lieux étaient sécuritaires ou non.

Voici l’un des exemples où l’utilisation des drones sur le chantier Turcot a permis de protéger les travailleurs, notamment les arpenteurs, qui ont été jusqu’à 45 sur le terrain. « Ces derniers se retrouvaient souvent exposés à des risques de chute, devaient travailler dans des endroits difficiles d’accès ou se retrouvaient reclus, seuls. Pour un projet de ce type, nous n’avions pas le choix de trouver des solutions optimisées pour répondre aux enjeux de santé et de sécurité », explique Daniel Landry, directeur santé-sécurité chez Kiewit.

En effet, reconstruire un nouvel échangeur, tout en maintenant la circulation, rend difficile, voire impossible, l’accès à certains espaces. Sans compter que plusieurs travaux se déroulaient en hauteur ou sur un terrain parfois fortement escarpé. « Le drone permettait donc d’avoir les informations en main rapidement, sans que l’être humain ait lui-même à se déplacer et donc à se mettre physiquement à risque », résume le directeur.

Dès le début du chantier, en 2015, l’équipe a donc décidé de « pousser les capacités de cette technologie pour obtenir un maximum de ce qu’elle offrait », mentionne Elias El Murr. En plus de recueillir du visuel, les appareils étaient aussi équipés pour enregistrer un nuage de points, des données très précises qui permettent de recréer le terrain, et son relief, en trois dimensions.

Grâce à cela, l’équipe a pu éliminer certains dangers à la source. Ainsi, au début des travaux, plusieurs talus de matières premières étaient installés sur le chantier pour compresser le sol. Les arpenteurs devaient y effectuer régulièrement des relevés. « Mais, il y a des normes à respecter, parce que le sol est parfois instable selon les matériaux, ce qui rend les lieux difficiles d’accès, explique Daniel Landry. Les travailleurs peuvent se fouler une cheville, par exemple. » Les drones permettaient donc à la fois de calculer la pente et la hauteur de ces amas ainsi que les quantités de matières premières.

De la préparation à l’inspection

Les drones ont été très utiles pendant toutes les étapes du chantier, jusqu’à l’inspection. En effet, à cause de la présence de voies de circulation, de voies ferrées et de dénivelés importants, il était parfois difficile de monter pour vérifier l’état des colonnes de béton, parfois hautes de 20 mètres. Les drones sont donc devenus les yeux des inspecteurs, qui n’ont pas eu besoin de se jucher sur des nacelles ou des échafauds pour effectuer leurs contrôles. « Les drones ne permettent pas une précision aussi grande que les méthodes conventionnelles, nuance toutefois Elias El Murr. Mais pour une inspection visuelle, cela fonctionnait. C’est un peu comme un inspecteur qui monte pour voir, à l’œil nu, si tout est correct. »

D’autres technologies ont aussi été déployées pour s’assurer de la sécurité de tous, comme des détecteurs qui sonnent l’alarme quand un travailleur est à risque de collision avec la machinerie, ajoute Daniel Landry. « Les arpenteurs, tout comme les signaleurs de chantier, sont parmi les travailleurs qui se trouvent dans les zones les plus à risque sur les chantiers. C’est notre rôle de tenter d’éliminer les dangers à la source et de contrôler les risques. » L’utilisation de la technologie, et des drones, permet donc de franchir un pas de plus dans cette direction.

Opération cadenassage en mode technologique chez Eurovia

Si les procédures de cadenassage sont un rempart essentiel contre les accidents de travail, il est difficile de s’assurer que tous les travailleurs se conforment à la lettre à ces protocoles. Pour améliorer la sécurité de ses équipes, l’entreprise Eurovia Québec Construction a décidé d’utiliser la technologie comme moyen de prévention.

La mise à jour se fait automatiquement. Ainsi, on s’assure que les travailleurs ont toujours l’information exacte sous la main.

« Sur nos chantiers, nous avons différents équipements lourds. Quand on fait des interventions, comme de l’entretien ou des réparations mécaniques, on doit cadenasser les moteurs, les systèmes hydrauliques ou les batteries pour stopper les énergies et éviter les accidents », explique Valérie Larochelle, directrice prévention – Québec. Cette procédure s’applique à toutes les formes d’énergie, qu’elle soit électrique, mécanique, hydraulique ou pneumatique.

Toutefois, certains travailleurs passent outre cette étape, au risque de blessures graves, voire mortelles. « Nous avons réalisé que c’était le comportement des humains qui faisait une réelle différence par rapport aux procédures de cadenassage, indique Valérie Larochelle. Pour que ce type de protocole fonctionne, il faut le suivre rigoureusement, presque religieusement. » C’est pourquoi l’entreprise a lancé, en juillet 2022, un projet pilote pour tester une application permettant de suivre à la trace chaque procédure de cadenassage.

Ce faisant, les fiches papier qui se retrouvent habituellement dans les cartables de chantier sont maintenant disponibles sur ordinateur, tablette ou cellulaire. Il suffit de scanner un code QR pour voir apparaître la procédure appropriée sous ses yeux. « Chacune des étapes de cadenassage est aussi listée, et la personne doit cocher chacune d’entre elles, au fur et à mesure qu’elle les effectue, précise la directrice. L’application permet aussi d’enregistrer l’heure exacte où chaque étape a été faite. »

Ainsi, les responsables d’atelier ou les contremaîtres de chantier peuvent vérifier que le tout concorde, et intervenir en cas de besoin, explique-t-elle. « Cela nous permet donc d’avoir une certaine forme de traçabilité et de nous assurer de la rigueur des travailleurs à suivre toutes les étapes. » Autre avantage : la mise à jour se fait automatiquement. Ainsi, on s’assure que les travailleurs ont toujours l’information exacte sous la main.

« Les technologies sont faites pour être intuitives et faciles à utiliser, de façon à nous simplifier la vie et à être accessibles. Nous tentons de les utiliser pour rendre l’information disponible et standardiser nos pratiques », résume Valérie Larochelle.

« De cette manière, on élimine aussi les cartables, les papiers et les crayons. En fait, on va porter l’information dans la poche des travailleurs. Car, il ne faut pas se le cacher : quand le cartable se trouve dans la roulotte, certains travailleurs n’y vont pas. La technologie permet donc de rendre l’information disponible au bout de leurs doigts », indique Valérie Larochelle.

Des technologies qui simplifient la vie

L’entreprise utilise d’ailleurs différentes technologies pour prévenir les risques en matière de santé et de sécurité et former les travailleurs. Par exemple, des codes QR sont installés pour rappeler aux conducteurs de véhicules lourds la liste des vérifications avant de prendre la route ou encore pour signifier un événement en lien avec la santé et la sécurité. Cet outil sert aussi d’aide-mémoire pour les inspections et audits sur le terrain. « Les technologies sont faites pour être intuitives et faciles à utiliser, de façon à nous simplifier la vie et à être accessibles. Nous tentons de les utiliser pour rendre l’information disponible et standardiser nos pratiques », résume la directrice.

De surcroît, comme dans le cas du cadenassage, il peut s’agir d’une aide précieuse pour modifier les comportements, ajoute-t-elle. « Avec la technologie, on cherche à simplifier la vie des travailleurs et à absorber les irritants qui font qu’ils ne posent pas les bons gestes. Pour qu’ils y adhèrent, il faut leur proposer une solution efficace, utile et simple d’utilisation. » C’est d’ailleurs ce que cherche à valider l’entreprise par ce projet pilote, qui se terminera cet automne. Si les essais sont concluants, cette option devrait être offerte aux 2500 travailleurs de l’entreprise à travers le Québec. ■