MAGAZINE CONSTAS

La santé-sécurité sur le chantier

Le maître d’œuvre responsable, est-ce vous ?

Chronique juridique
AVIS DE COUR

La Loi sur la santé et la sécurité du travail [1] (ci-après la « LSST ») impose à celui qui est considéré comme étant le maître d’œuvre sur un chantier de construction une lourde responsabilité en matière de santé et de sécurité. La LSST définit ainsi le maître d’œuvre : « Le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux » [2].

Par Me Andréanne Sansoucy, LL.B., LL.M*

Il y aura un maître d’œuvre pour chaque chantier de construction. On se pose souvent la question de savoir qui, entre l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage, revêt ce rôle. Pour le déterminer, il est nécessaire d’identifier, dans un premier temps, le chantier lui-même. L’identification du chantier s’effectue en considérant les critères suivants : l’unicité de temps, l’unicité de lieu et la finalité de l’œuvre. Dans un deuxième temps, il faut identifier le maître d’œuvre, c’est-à-dire celui qui a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux et les pouvoirs nécessaires pour faire respecter les consignes de sécurité. L’analyse des documents contractuels et de la réalité du chantier est alors requise.

Pour l’entrepreneur, être maître d’œuvre entraîne des coûts qu’il devra prévoir dans sa soumission (par exemple, pour assurer la gestion de la circulation sur le chantier ou veiller à l’affectation d’un agent de sécurité). Outre l’aspect monétaire, il faut savoir que le non-respect des obligations imposées au maître d’œuvre entraîne des conséquences pénales et criminelles.

Le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur peuvent-ils prévoir par contrat qui assumera les obligations du maître d’œuvre? Oui ! Il est possible et fortement préférable de convenir par contrat qui assumera les obligations du maître d’œuvre. Ces stipulations contractuelles sont reconnues comme étant valides.

Validité du contrat prévoyant qui assumera les obligations du maître d’œuvre

Ce principe de validité a été établi par le juge Alain dans la décision Corporation d’hébergement du Québec c. Consortium MR Canada ltée [3].

Par les clauses incluses au contrat de construction d’un CLSC-CHSLD confié par la CHQ au Consortium MR, ce dernier s’engageait à agir à titre de maître d’œuvre sur le chantier. Appliquant ce même principe, dans l’affaire Société immobilière du Québec et Syndicat québécois construction [4], la Commission des lésions professionnelles a donné raison à la SIQ et a déclaré que le gérant de construction Verreault était le maître d’œuvre du chantier de construction compte tenu des faits et des clauses contractuelles lui confiant cette responsabilité.

Le cas du MTQ et la force des clauses prévues au CCDG

Dans le cas des entrepreneurs qui contractent avec le ministère des Transports du Québec (ci-après « MTQ »), ceux-ci se voient obligés de respecter les termes du Cahier des charges et devis généraux (ci-après « CCDG ») [5]. Le CCDG fait partie du contrat entre l’entrepreneur et le MTQ.
L’article 7.4 du CCDG impose à l’entrepreneur de prendre en charge les obligations du maître d’œuvre en matière de santé et sécurité du travail. De plus, l’article 7.4.1. du CCDG (inclus au CCDG depuis 2014) prévoit que l’entrepreneur s’engage à tenir indemne le MTQ de toute réclamation ou infraction, dans la mesure où celles-ci peuvent être imputables à l’entrepreneur ou à quiconque dont il est légalement ou contractuellement responsable ou imputable.

Le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur peuvent-ils prévoir par contrat qui assumera les obligations du maître d’œuvre? Oui !

Quelle est la force de ces clauses prévues au CCDG ? Malgré la clarté de l’article 7.4 du CCDG, nous constatons que cette clause n’a pas pour effet de restreindre les débats devant les tribunaux sur la question de savoir qui de l’entrepreneur ou du MTQ est le maître d’œuvre sur le chantier, comme l’identification du maître d’œuvre nécessite de prendre en compte aussi la réalité du chantier. Par exemple, dans l’affaire Québec (Transports) (Re) [6], le MTQ contestait être le maître d’œuvre responsable de la sécurité des travaux.

La Commission des lésions professionnelles (CLP) juge qu’en dépit des documents contractuels identifiant l’entrepreneur général comme maître d’œuvre, la preuve révèle que l’entrepreneur n’avait pas d’autorité réelle sur les moyens, méthodes, procédures et échéances des sous-traitants. C’est donc le MTQ qui assumait la responsabilité de maître d’œuvre. De la même façon, dans l’affaire Québec (Ministère des Transports) et ASSS Côte-Nord [7] , le MTQ est reconnu maître d’œuvre du chantier, notamment en raison du fait qu’il avait joué un rôle prépondérant en ce qui avait trait à la coordination des travaux et du principe selon lequel à défaut de pouvoir identifier, sur un chantier, une personne qui a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux, le propriétaire sera maître d’œuvre.

En somme, nous pouvons retenir que les clauses du CCDG n’ont pas pour effet de rendre l’entrepreneur nécessairement responsable des responsabilités qui découlent de la LSST. L’identification du maître d’œuvre nécessite d’aller au-delà des clauses contractuelles et d’analyser ce qui s’est réellement passé sur le terrain.

S’assurer de bien cadrer la volonté des parties dans un contrat avant le début des travaux est tout de même une étape primordiale. Les entrepreneurs doivent bien vérifier les clauses relatives à la santé-sécurité dans les contrats qui leur sont soumis par les donneurs d’ouvrage. Lorsqu’il s’agit de projets pour lesquels les formulaires de contrat du CCDC (Comité canadien des documents de construction) sont utilisés, la responsabilité de la santé-sécurité sera attribuée différemment selon le mode contractuel retenu (contrat à forfait, à prix coûtant majoré, de gérance, etc.) bien que les clauses qui en traitent portent les mêmes numéros (CG 9.4 et CG 3.2).

* Me Andréanne Sansoucy est associée chez Miller Thomson. Écrit avec la collaboration de Me Yann-Julien Chouinard.


[1] Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1.
[2] LSST, article 1.
[3] Corporation d’hébergement du Québec c. Consortium MR Canada ltée, 2006 QCCS 760 (appel rejeté, 2007 QCCA 1288).
[4] Société immobilière du Québec et Syndicat québécois construction, 2011 QCCLP 7809 (CanLII).
[5] Ministère des Transports, Cahier des charges et devis généraux : « Le Cahier des charges et devis généraux contient les principales exigences relatives aux travaux de construction d’infrastructures routières exécutés par l’entreprise privée pour le compte du ministère des Transports. »
[6] Québec (Transports) (Re), 2006 CanLII 69724 (QC CLP).
[7] Québec (Ministère des Transports) et ASSS Côte-Nord, 2015 QCCLP 5117 (CanLII), Désistement de la requête en révision judiciaire : C.S., 2015-11-27.